Prendre un ro­bot par la main

Aussi mystérieux qu’inhospitaliers, les fonds océaniques sont le théâtre de nombreuses activités industrielles et scientifiques malgré les conditions extrêmes qui y règnent. Les plongeurs s’avèrent bien souvent indispensables pour les mener à bien. Mais face à la dangerosité et à la complexité des missions qu’ils effectuent, le recours à des robots (semi-) autonomes ouvre des pistes intéressantes. Avec leurs partenaires européens du projet DexROV, des scientifiques de l’Institut de recherche Idiap, à Martigny, spécialisés dans le domaine de l’apprentissage machine, ont développé un tel robot : les premiers tests grandeur nature ont eu lieu à l’été 2017 au large de Marseille.

Date de publication
01-11-2017
Revision
06-11-2017

Bien qu’ils représentent environ deux tiers de la superficie de notre planète, une grande partie des fonds marins est moins connue que la surface d’astres lointains. La faute à un environnement dangereux, complexe et agressif du fait de l’obscurité, de la pression, de la température et de la salinité qui y règnent.

Ces lieux regorgent pourtant d’infrastructures de télécommunication, d’exploitation de matières premières et de production d’énergie. Leur installation, leur maintenance et leur démantèlement représentent des tâches très lourdes. Ces travaux nécessitent bien souvent l’intervention de robots filoguidés. Mais ceux-ci se limitent en général à des missions d’observation et ce sont bien souvent des plongeurs qui doivent effectuer manuellement les tâches les plus complexes. Or, emmener des plongeurs à grande profondeur est chose compliquée car cela impose de très longs paliers de décompression, d’une durée allant jusqu’à dix jours. De plus, les spécialistes sont rares, la dangerosité du métier l’apparentant davantage à la mission d’un mercenaire qu’au travail d’un ouvrier. Si le projet se concentre actuellement sur l’environnement marin, rien n’empêchera d’utiliser ensuite cette technologie dans d’autres endroits dangereux, comme par exemple le site d’une catastrophe tel que la centrale de Fukushima ou encore l’espace.

Les limites des opérations à distance


Les robots filoguidés nécessitent quant à eux la présence in situ de toute une équipe de spécialistes dédiés à une seule mission bien précise. Une alternative serait d’opérer les robots à distance. Mais cette option se heurte à une limitation d’ordre physique : la transmission par satellite des informations nécessaires aux mouvements du robot impose un délai allant jusqu’à plusieurs secondes entre l’envoi d’un ordre et la réception du signal de retour, ce qui nécessite de décomposer tout mouvement complexe, rallongeant d’autant sa durée – une problématique à laquelle sont également confrontées les sondes spatiales.

A cet égard, le groupe Robot Learning & Interaction de l’Idiap, dirigé par Sylvain Calinon, travaille, dans le cadre du projet européen DexROV, sur le développement d’un robot semi-autonome qui serait précisément capable d’opérer de manière autonome durant ce temps de latence nécessaire à la transmission des ordres. Assis dans le centre de commande, avec la caméra stéréoscopique du robot comme œil, un opérateur transmet ses ordres au robot au moyen des deux bras mécaniques d’un exosquelette qu’il a revêtu. Ce dispositif lui permet d’avoir un retour de force comme feedback et de mieux appréhender la tâche du robot in situ.

Ayant appris à effectuer divers types de mouvements, le robot peut les reconnaître et en quelque sorte les mener à terme ou les prolonger durant les interruptions de signal. Dans le cas d’une vanne à ouvrir par exemple, une fois le mouvement de rotation du volant initié par l’opérateur, le robot devrait être à même de le poursuivre jusqu’à son ouverture complète.

Catalogue de gestes


Une période d’apprentissage est cependant nécessaire. Le téléopérateur, portant un exosquelette, est immergé dans un environnement de réalité virtuelle dans lequel il montre au robot comment effectuer une série de mouvements, que ce dernier va ensuite copier et répéter, pour parfaire leurs exécutions dans de nouvelles situations (figures). « Au contraire d’un robot industriel programmé pour effectuer de manière répétitive des tâches parfaitement identiques, explique Sylvain Calinon, il s’agit là d’apprendre des séquences de base que le robot adaptera et assemblera lui-même pour arriver à une séquence complète qui ne sera jamais deux fois tout à fait identique. »

Les chercheurs de l’Idiap ne disposant pas de robot sous-marin, ils ont tout d’abord développé et testé leurs algorithmes d’apprentissage machine sur un robot industriel, nommé Baxter, possédant lui aussi deux bras articulés, contrôlés avec des commandes en force. Baxter peut assimiler l’information via une caméra qui lui montre le mouvement à effectuer, qu’il va ensuite copier et répéter afin de le parfaire. On peut également lui prendre la main, littéralement, et le guider, un peu comme un ergothérapeute, dans la réalisation d’un geste. Des partenaires du projet ont développé les véritables bras du robot avant de les monter sur une plateforme robotique d’exploration « Apache » (figure) de la Comex, société spécialisée dans les technologies hypo- et hyperbares (sous-marines et spatiales).

Durant l’été 2017, les partenaires du projet DexROV ont fait le grand saut dans l’eau en envoyant leur robot simuler avec succès une mission de recherche archéologique par 100 m de profondeur au large de Marseille tout en le pilotant depuis Bruxelles dans les locaux de Space Applications Services, compagnie qui coordonne le projet. Mais le grand examen aura lieu en août 2018, quand il devra travailler par 1300 m de fond. D’ici là, DexROV poursuit son apprentissage sur des panneaux techniques (figures) représentatifs des tâches à accomplir dans les domaines archéologique, industriel et énergétique, qui ne sont pas sans rappeler les jeux d’éveil proposés aux bambins.

Sur ce sujet