Pour­quoi s'in­té­res­ser aux pro­ces­sus quand on re­cherche la qua­lité ur­baine?

Sion est une ville de taille moyenne située à l’écart des flux de déplacements du Plateau suisse, mais elle dispose d’un réel potentiel qualitatif – tant paysager que patrimonial – et surtout d’une forte volonté de faire. Cette ambition pour la ville s’est matérialisée dans un premier temps par les aménagements des espaces publics du centre ancien, ce qui a permis à tous de voir que des améliorations étaient possibles.

Date de publication
01-10-2012
Revision
19-08-2015

Arrivés à ce stade des premiers résultats rencontrant l’adhésion de tous, les élus et leurs services ont pris conscience de l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’une vision d’ensemble et d’un programme d’actions permettant d’étendre progressivement cette démarche qualité à l’ensemble de la commune. Les questionnements étaient nombreux. Quelle stratégie à long terme pour la Ville? Quelle valorisation exemplaire d’une vaste parcelle communale, sachant que le marché du logement est tendu comme partout ailleurs en Suisse? Que faire des projets en attente pour qu’ils contribuent tous – et chacun à sa manière – à la qualité de l’ensemble? Que faire de la ville ordinaire, au sens de celle dans laquelle chacun de nous vit, en dehors des opérations exceptionnelles?
C’est alors qu’un premier choix a été effectué, à l’opposé des démarches traditionnelles procédant du général (planification par les pouvoirs publics) au particulier (réalisation par le privé). La Ville a décidé de parier sur des réflexions et des projets conduits en parallèle, systématiquement de manière pluridisciplinaire, et jouant avec la richesse du multi-scalaire. Les questions de méthodes et de partenaires se sont alors posées avec acuité et que les choix pour chacune des démarches ont été réfléchis avec soin. L’impact de ces choix sur la qualité des résultats (projets et réalisations) constitue le fil rouge des lignes qui suivent.

Des workshops pour une vision stratégique communale

Très vite est arrivée la question de la nécessaire vision stratégique pour le développement communal. Convaincues par une série d’échanges avec les experts de l’utilité du croisement des regards, les autorités ont choisi – pour développer cette vision à moyen et long terme d’une ville compacte – d’organiser une série de workshops pluridisciplinaires (urbanisme, paysage, mobilité et économie) regroupant services de la Ville et experts externes reconnus dans chacun de ces quatre domaines essentiels de la production urbaine. 
Le premier workshop a consisté en une visite de site puis un brainstorming permettant de poser rapidement – par la confrontation des différentes rationalités – l’essentiel des enjeux. Les workshops suivants ont permis d’affiner progressivement le document, y compris par une journée de travail avec l’exécutif interrogé sur sa propre vision pour la commune. Le document final – équivalent à un plan directeur communal, mais sans le formalisme juridique correspondant – est volontairement resté synthétique, centré sur un système cohérent de principes et d’actions. Ce document est désormais validé par l’exécutif et le législatif communal, et constitue donc la «feuille de route» de la Ville.

L’étude test aux autres zooms

La Ville s’est posé en parallèle la question de sa parcelle de 4 ha à Uvrier, village voisin de la commune adjacente de St-Léonard. Pour réfléchir à la meilleure manière d’y développer un quartier exemplaire, le choix a été fait d’élargir la réflexion par l’organisation d’une étude test et d’intégrer plusieurs échelles de projet. Afin de croiser les regards et de favoriser les propositions innovantes, trois professionnels d’horizon géographique différent – un bureau valaisan, un romand et un suisse allemand – ont été invités à participer à cette étude. Les questions posées étaient de différentes natures. D’abord sur le fond : en quoi un quartier situé en limite de village peut-il être exemplaire? Ensuite sur les différentes échelles de projet, en étroite coordination intercommunale : comment imaginer le développement de l’ensemble constitué par la commune de St-Léonard et la localité d’Uvrier? Comment intégrer le développement de la parcelle communale dans cet ensemble ? Enfin, sur le quartier lui-même: quelle forme urbaine proposer, avec quelle(s) typologie(s) de logements, et quel phasage de réalisation? 
Une démarche de concertation a été intégrée en amont, sur l’annonce du déroulement de l’ensemble à la population locale, mais aussi en cours de projet, sur les attentes et besoins des habitants, ainsi que sur leurs réactions face aux projets.
Débutés en même temps, ou avec un léger décalage, d’autres zooms ont progressivement été développés, afin de préciser le devenir de lieux stratégiques de la commune. Ces schémas se sont révélés utiles, soit en raison de la nécessaire requalification de certains secteurs – comme un quartier d’immeubles dont la qualité réelle dépasse largement l’image, mais qui méritait une vision (Vissigen) – soit en raison de leur immense potentiel de développement, comme le secteur mixte déjà en cours de mutation qui s’étend de la gare aux berges du Rhône (la ville du XXIe siècle). 
Le cadre stratégique ayant déjà été posé, le choix de la méthode a alors volontairement été orienté vers un nouvel objectif : celui de renforcer le milieu local des jeunes bureaux d’urbanisme. C’est ainsi que ces projets ont été élaborés par une succession de workshops regroupant les jeunes urbanistes sédunois, leur permettant à la fois de mieux se faire connaître, et d’apprendre de la confrontation entre eux et avec les pilotes expérimentés de la démarche.

Mandats d’études parallèles

Deux projets emblématiques sont alors venus se greffer, par des voies différentes, mais concourant tous deux de manière particulièrement intéressante à cette recherche de qualité : les berges du Rhône et la friche urbaine de Cour de Gare. Ces deux projets importants (9 km de long pour le premier et 65 000 m2 de plancher pour le second) sont différemment stratégiques: les berges du Rhône réaménagées vont pouvoir concilier la sécurité hydraulique et la qualité d’un cheminement de mobilité douce connecté au réseau des espaces publics de la ville ; et le projet urbain de Cour de Gare va pouvoir renforcer la mixité et l’attractivité du centre ville, à proximité immédiate de la gare.
Ces deux démarches ont été co-pilotées sous forme de MEP, organisant chaque fois la représentation équitable des différents maîtres d’ouvrage : Rhône 3, Canton et Ville pour le Rhône, et les trois propriétaires fonciers pour Cour de Gare : la Ville (public), CFF immobilier (semi-public) et le Comptoir Immobilier (privé). Les Collèges – regroupant, conformément au règlement (SIA 143), élus et experts – ont été composés avec soin, afin de favoriser le dialogue, tout en évitant le risque de la « pensée unique ». Les débats successifs ont permis pour chacun des deux projets un mûrissement intéressant des parties prenantes et le choix d’un lauréat ayant particulièrement bien perçu à la fois le génie du lieu et la juste échelle de Sion. 
Enfin, le fin travail au quotidien sur la ville ordinaire, à l’occasion de chaque demande de renseignement ou d’autorisation, vient clore cette description. Cette position finale n’est pas due au manque d’importance du sujet, ni véritablement à la chronologie, mais à son caractère à la fois diffus et extrêmement important. Par l’instauration du dialogue en amont des demandes d’autorisation, par la systématisation de commissions d’experts pour juger des bâtiments en relation avec leur voisinage, par la négociation de détails de toutes sortes lors de l’examen des projets, la Ville avance progressivement sur le chemin de la qualité aussi de cette manière-là.

Retour sur les processus 

Quels enseignements peut-on tirer de cette succession de démarches qui font de la Ville de Sion un partenaire intéressant de plus en plus reconnu par les professionnels, la croissance systématique du nombre de candidatures à chaque procédure sélective le démontrant sans peine?
En premier lieu le type d’outils utilisés et recherchés: des documents stratégiques et des projets, avant toute réglementation. La constitution progressive – et jamais arrêtée – d’une vision pour la ville passe par cet équilibre délicat entre la définition d’un cap à tenir et la mise en place d’outils souples, adaptables dans la durée et ne prétendant pas tout fixer plusieurs décennies à l’avance. L’incertitude qui caractérise les mutations des territoires ne peut être valablement prise en compte que par l’articulation de la stratégie et des projets, la réglementation étant utilisée dans un deuxième temps, afin de ne définir avec précision que ce qui doit l’être, et surtout pas plus.
Ensuite, les quelques principes fondamentaux ayant guidé les choix méthodologiques, même s’ils n’ont pas forcément été explicités. Les démarches utilisées (étude test, workshop et MEP) ont toutes fait le pari de l’intelligence collective – en d’autres termes «on est plus intelligent à plusieurs» – et de l’intégration de la multi-rationalité dans chacune des approches. Ces croisements de regards – et leur hybridation, a contrario de leur juxtaposition – sont la seule manière de relever le défi de la complexité, caractéristique essentielle des territoires d’aujourd’hui. Et la qualité s’acquiert progressivement, au fil de ces échanges successifs, permettant de faire émerger les propositions qui résistent aux critiques.
Dans ce type de choix méthodologique, il existe quelques points délicats que les professionnels doivent savoir gérer avec doigté. D’abord le choix des partenaires : qui sont aujourd’hui les porteurs du projet? Qui sera porteur demain des résultats de la démarche? De quelle multi-rationalité a-t-on besoin, la transdisciplinarité ou le multiculturalisme ? Puis le moment opportun de leur intégration: quand faut-il questionner les propriétaires fonciers ? Et enfin les questionnements adressés à chacun: que peut-on raconter du territoire et de ses besoins ? Qu’en est-il des différents futurs possibles? Et qui sera en charge de faire vivre le projet, une fois réalisé, et quels conseils peut-on leur demander? La qualité due aux auteurs des projets est bien entendu incontestable, mais la qualité découlant de la conduite des processus existe bel et bien aussi, et implique deux savoir-faire essentiels: la capacité à organiser ces démarches dans ce but, et celle d’élaborer des synthèses pertinentes, permettant de ne pas se perdre en cours de route, grâce à la traçabilité du cheminement de la pensée et des décisions prises.

Michèle Tranda-Pittion est docteur en urbanisme et art de bâtir, www.toposurbanisme.ch

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