L’ar­se­nal cultu­rel: la Mé­dia­thèque Va­lais, Sion

Propos recueillis par Marc Frochaux

Née de l’adéquation entre un travail de restauration et de nouvelles conceptions en matière de bibliothèques, la Médiathèque Valais est un nouveau pôle qui anime la ville de Sion avec une offre multiple: bibliothèque, expositions, café, animations culturelles. Entretien avec le directeur du Service de la culture du Canton du Valais et l’architecte en charge du projet.

Date de publication
03-05-2017
Revision
04-05-2017

Comment est née l’idée de créer une grande médiathèque dans les deux anciens arsenaux de la ville?
Jacques Cordonier: C’est une idée qui a mis du temps à éclore. A la fin des années 1990, nous avons investi le site en utilisant, sans grandes transformations, le bâtiment de l’arsenal fédéral. Nous y avons ouvert des espaces de consultation en accès libre. Depuis lors, les bibliothèques ont évolué : nous sommes passés d’une époque où elles étaient conçues pour gérer la rareté de l’information, où les documents, presque sacralisés, étaient au centre, à une période où l’information est devenue extrêmement accessible et où l’espace, paradoxalement, est devenu plus important pour le public. C’est le passage d’une bibliothèque dont le modèle historique serait le magasin à ce que les bibliothécaires appellent aujourd’hui le « troisième lieu» (voir éditorial 9/2017, note 1).
Le projet actuel s’explique donc par une double évolution: celle des institutions, au sens large, mais aussi celle du contexte local, qui favorise ces synergies. Ce qu’on appelle aujourd’hui Les Arsenaux réunit à Sion la médiathèque (c’est-à-dire la fusion de la bibliothèque cantonale et de la bibliothèque municipale), les archives de l’Etat, la direction du Service de la culture, un restaurant et une structure de soutien à la culture, Culture Valais.

Quel était l’enjeu du projet du point de vue architectural?
Martin Jaques : Les deux anciens arsenaux ont une valeur patrimoniale importante. Il fallait les mettre en valeur dans le projet, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Au début du concours, nous avons mené notre propre étude de faisabilité pour déterminer de quelle manière la structure pouvait accueillir une nouvelle circulation, un libre accès, des espaces partagés. Nous avons ensuite dû créer un nouveau bâtiment de liaison, dont l’écriture contemporaine se démarque de l’existant. C’est un espace de distribution, d’échanges, un lieu qui assure la centralité de toute l’institution.
Au-delà de la question patrimoniale, le grand enjeu de la restauration était évidemment très symbolique: le passage d’une affectation militaire à un programme culturel. Le problème sémantique était particulièrement intéressant: il y avait là l’opportunité de matérialiser un geste politique fort, que nous avons saisie dans le traitement du nouveau bâtiment, appelé « le pli ». Il nous semblait important de l’affirmer comme un signe distinctif, car le programme exigeait un geste emblématique. Avec son revêtement métallique, l’enveloppe donne, par réflexion, une nouvelle lecture des bâtiments existants.

Dans le grand espace d’entrée, on trouve aussi bien des revues à grand tirage que des revues spécialisées. A quel public s’adresse la Médiathèque Valais?
JC : La Médiathèque Valais incarne la rencontre de deux philosophies de projet: celle d’une bibliothèque municipale et celle d’une bibliothèque cantonale. Si on regarde sur une certaine durée, l’évolution des premières a mis l’usager au centre ; toute la relation bibliothécaire-usager (conseil, accueil) y a pris énormément d’importance. C’est avant tout un lieu où l’on se sent bien. En revanche, la bibliothèque cantonale, que l’on désignait alors comme «bibliothèque d’étude et de culture générale», était investie d’une exigence scientifique plus importante. Son but n’était pas seulement de servir les lecteurs mais également de permettre à des travaux d’une certaine exigence intellectuelle de rencontrer des usagers particuliers, comme des chercheurs ou des doctorants. La rencontre de ces deux philosophies de travail a supposé davantage de collaboration. Des formations ont ainsi été engagées pour intégrer ces nouvelles contraintes programmatiques, d’une part dans la relation interpersonnelle, dans l’accueil et l’attention aux usagers, mais aussi dans le choix des ouvrages mis en prêt.

Comment se traduisent ces nouvelles exigences dans le projet architectural?
MJ: L’idée était de mettre en valeur la salle hypo-style de l’arsenal cantonal, afin qu’elle retrouve sa qualité spatiale, qui se prêtait à en faire une entrée majeure, et de relever certaines de ses finesses, comme le rythme des travées, plus larges au centre ainsi que sur les bas-côtés. Il a d’abord fallu mettre en relation deux bâtiments construits à plus de vingt ans d’intervalle, avec deux modes constructifs différents: charpente métallique pour l’arsenal cantonal, charpente en bois pour l’arsenal fédéral. Auparavant, les deux édifices étaient reliés par une simple passerelle. Nous avons voulu unifier le tout par un geste unique et donner à comprendre au visiteur comment passer d’un bâtiment à l’autre.
Ensuite, le lien stylistique entre les deux bâtiments se matérialise par le revêtement de sol continu et des interventions ponctuelles au caractère contemporain : des dispositifs en forme de boîtes, qui créent des seuils, accueillent des services ou délimitent des espaces confinés.
Enfin, le passage sémantique d’une affectation «pour les armes» à une affectation «pour les livres» a évidemment nécessité une intégration technique dans le respect de la substance historique. Il fallait gérer des climats intérieurs, à la fois pour une bibliothèque et pour des archives historiques, tout en assurant des conditions acoustiques adéquates. Dans l’arsenal cantonal, la nouvelle affectation a exigé un apport technique spécifique. Au second étage, par exemple, il y a une salle de lecture silencieuse, avec un taux hygrométrique et une température contrôlés, afin d’assurer la conservation des ouvrages précieux.

Aujourd’hui, le nouveau bâtiment – le «pli» – permet de passer intuitivement d’un bâtiment à l’autre. Il est même possible d’emporter un livre jusqu’à la cafétéria et de le consulter en y buvant un café. N’est-ce pas mettre en péril les collections?
JC: C’est une question que les bibliothécaires ont dû trancher : certains aspects étaient effectivement dépassés, comme l’interdiction de boire et de manger dans une bibliothèque. Or, quand un usager emprunte un livre, on ne sait pas ce qu’il en fait chez lui. Il y avait donc une sorte de contradiction sur laquelle il a fallu travailler. Aujourd’hui, un portique situé à l’entrée du bâtiment sonne si un ouvrage est sorti. C’est là que la notion de « troisième lieu » prend son sens, parce que c’est un espace public partagé dans lequel chacun peut se comporter comme bon lui semble. La bibliothèque est un lieu culturel qui laisse l’usager libre de ce qu’il veut en faire. Au théâtre, il y a une proposition du metteur en scène, vous devez regarder le spectacle, vous ne pouvez pas faire autre chose. Dans une bibliothèque, l’offre est large et peut être personnalisée.

Existe-t-il une relation tangible entre l’évolution de la profession de bibliothécaire, les usages des lecteurs et les nouveaux dispositifs de mise en espace propres aux bibliothèques?
JC: Oui, absolument. Et ce processus est itératif: certes, c’est le bibliothécaire qui pense et utilise l’espace, mais une fois que l’espace est là, il fait évoluer les pratiques.

MJ: Nous avons conçu des espaces en fonction de chaque usage : lire en silence, écouter de la musique ou parcourir une exposition. Ensuite, les espaces de travail sont différenciés : certains sont fermés, d’autres ouverts, comme la mezzanine qui permet d’observer la salle centrale. Dans le grand open space, malgré la cafétéria, la régulation sonore se fait naturellement, chacun s’adaptant au niveau ambiant. Pour les travaux de groupes, quatre petites salles de séminaires ont été aménagées entre des pans de verre, afin de conserver une relation visuelle.
Les revêtements de sol participent également à caractériser des ambiances: chape cirée pour la salle hypostyle, moquette dans l’ancien arsenal fédéral. Quant à la salle de lecture silencieuse, elle est recouverte d’une moquette plus épaisse, qui favorise une atmosphère confinée. Les chaises y sont également plus confortables, en lien avec le travail patient des chercheurs.

Récemment, le directeur de la bibliothèque de l’ETH Zurich a soulevé une polémique en déclarant vouloir numériser entièrement ses collections et se débarrasser des livres en papier2. Pensez-vous que l’information est condamnée à terme à prendre une forme numérique?
JC: Le propos du directeur de la bibliothèque de l’ETH est réducteur et ne fait sens que dans un milieu scientifique très pointu, dans une université où l’on ne consulte que des revues spécialisées. D’un côté, il est vrai que nous ne devrions pas continuer à proposer des formats qui ne correspondent plus aux besoins. Ce serait comme continuer d’imprimer avec du plomb, à l’ère du digital. Il y a une évolution, certes, mais les bibliothèques ont aussi un autre rôle : elles sont des partenaires de la numérisation. La Médiathèque, par exemple, a été leader dans la numérisation de la presse de ce canton. On pourrait croire qu’elle scie la branche sur laquelle elle repose, car on n’a plus besoin de se rendre sur place pour consulter des publications du 19e siècle. Aujourd’hui, on peut les consulter en ligne, mais ce serait oublier que la Médiathèque investit également massivement l’internet en tant qu’institution dont elle affirme qu’il est un de ses « sites », virtuel, au même titre que les espaces physiques qu’elle utilise.

MJ: La Médiathèque Valais met à disposition toutes sortes de supports du savoir, numériques comme analogiques. En septembre prochain sera inaugurée la dernière pièce de l’ensemble, qui témoigne de cette diversité : une artothèque, dans laquelle les usagers pourront louer des œuvres d’art, sur simple présentation d’une carte de lecteur. Il sera également possible de tester des partitions de musique sur un piano mis à disposition, avant de les emprunter.

JC: Le lieu de l’institution s’est inversé : désormais nous voulons beaucoup d’espace pour les usagers, moins d’espace pour les documents. Dans une société où l’information est de plus en plus dématérialisée, il est important d’avoir des lieux où l’on accède à l’information dans des espaces collectifs. C’est pour cela que se développe dans les bibliothèques une médiation culturelle, un espace où l’on donne des clés d’interprétation, non pas à destination du chercheur, qui dispose d’autres espaces pour cela, comme les colloques scientifiques, mais pour le public en général. La fonction sociale autour de l’information devient de plus en plus importante. J’en suis de plus en plus convaincu. Avec le phénomène qu’on appelle aujourd’hui la «post-vérité», nous aurons besoin de plus d’institutions de validation ou de référence par rapport aux savoirs et à la connaissance. Les bibliothèques vont devoir jouer ce rôle-là, physiquement, dans l’espace, mais également dans les réseaux virtuels.

 

Note

2 Dans un article publié dans la NZZ am Sonntag, Rafael Ball, directeur de la bibliothèque de l’ETH Zurich, plaide pour une gestion dynamique des supports scientifiques, qui suppose une remise en question complète des modes de conservation contemporains propres aux bibliothèques scientifiques. « Bibliotheken : Weg damit ! », entretien de Rafael Ball, NZZ am Sonntag, 07.02.2016.

 

Intervenants

Maître d’ouvrage : Etat du Valais
Architecte : meier + associés architectes, Genève
Architecte réalisation : CAGNA + WENGER Architectes SA, Sion
Ingénieur civil : Bisa
Ingénieur géotechnique : BEG
Ingénieur cvs : GD Climat
Ingénieur E : Lami
Ingénieur acoustique : bS Lucane
Ingénieur façade : Arteco
Géomètre : Geosat
Artistes : Daniel Schlaepfer et Pierre Vadi
Surface : 9235 m2
Volume : 39 740 m3

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