Pour un mo­ra­toire glo­bal… à Pully (VD)

Date de publication
22-05-2023

Dans une prise de position (Hochparterre 4/2023), Marcel Bächtiger établit un lien curieux entre genre et créativité. Opposé à l’idée d’un moratoire global sur les constructions nouvelles, il s’en prend à son initiatrice, la professeure EPFL Charlotte Malterre-Barthes. «Des problèmes sérieux exigent des solutions sérieuses», estime le rédacteur, avant de suggérer que les architectes (au féminin: Architektinnen) feraient mieux d’employer leur créativité autrement plutôt que jouer les Cassandre1. Souhaitons qu’il s’agît là d’une faute de frappe (ArchitektInnen). Pourtant un moratoire est chose sérieuse, c’est un outil de politique urbaine régulièrement déployé, pour différents motifs. Ainsi en 1993, le moratoire sur les constructions fédérales de deux ans instauré à l’échelle des États-Unis pour raisons budgétaires2. Ou, plus récemment, celui sur la démolition et la construction d’édifices non-essentiels dans la région de Delhi (un peu plus grand que la Suisse, 46 mio d’habitants), qui a duré le temps que la pollution de l’air diminue. Ou encore le moratoire de Pully (VD).

En avril, le Conseil communal de ce gros village étalé dans l’Est lausannois a largement approuvé deux postulats, «Vers un moratoire partiel sur les PPA» et «Vers un moratoire sur toutes les constructions». Le dispositif devrait être mis en place pour une législature (cinq ans), le temps de réviser le PDcom et le PAcom. L’idée est née d’une association opportune entre ceux qui ne veulent plus construire parce que cela nuit à la planète et ceux qui ne veulent plus construire parce que cela nuit à leur confort. On met en avant la protection du patrimoine, mais aussi de la biodiversité et «l’adaptation au changement climatique».

Faut-il rappeler que la principale conséquence de ce phénomène est la migration de millions d’êtres humains? Réchauffement climatique ou non, les pronostics démographiques prévoient une augmentation de 100 000 habitant·es dans le canton d’ici 2030. En voulant interdire les constructions nouvelles, le législatif de Pully semble nous indiquer qu’il ne compte pas participer à l’effort collectif, que son contingent devra être absorbé par les autres (comme toujours, à l’Ouest). Pully be like: «La barque est pleine»?

Non, nous explique Lucas Girardet, le municipal (Vert) en charge de l’urbanisme, car les projets que l’on ne parvient pas à stopper à Pully ne mènent pas vraiment à une densification qualitative, et surtout humaine. Pully ne doit pas être comparée avec les communes de l’Ouest lausannois, prévient-il: il n’y a pas ici de grandes friches ferroviaires ou des terrains à bâtir. Son tissu est constitué de maisons individuelles, certes, mais aussi et surtout d’immeubles de moyenne dimension, sur des parcelles privées qu’il est difficile de densifier. Le règlement communal, daté, ne permettait ni de gérer les oppositions, ni d’éviter les «verrues». Or les Puilléran·es sont des spécialistes des oppositions (même pour les écoles, c’est malheureux), la meilleure option est donc peut-être de tout bloquer avant de disposer d’un nouveau plan directeur.

Mais avec des exceptions: le moratoire appliqué pourrait fonctionner par dérogations; il permettrait aux architectes de transformer, densifier et adapter l’existant, et les forcera à réduire drastiquement l’empreinte au sol. Le municipal estime qu’il inciterait les architectes (ArchitektInnen) à trouver des solutions nouvelles, à condition de faire preuve de créativité3.

Notes

 

1 Cassandre, fille du roi de Troie, prédisait des malheurs mais personne ne l’écoutait. Elle est soit la semeuse de zizanie qui condamne les hommes qui l’approchent à un triste sort, soit celle qui dit la vérité que personne ne veut entendre. Question d’interprétation. En tous les cas, Troie a été dévastée.

 

2 Ce cas est étudié dans l’ouvrage de Charlotte Malterre-Barthes à paraître en septembre 2023 chez Steinberg Press, A Moratorium on New Construction.

 

3 Voir le travail en cours des étudiant·es du studio Stop Building: The Case of Lausanne à l’EPFL, RIOT: il s’agit de répondre à la croissance démographique (30 000 habitant·es d’ici 2030 à Lausanne) sans construire.

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