Pé­tanque, plan­cha et réem­ploi

Dans l’Ouest lausannois, la déconstruction d’un ancien immeuble de bureau pour le réemploi d’éléments structurels en béton armé va donner naissance à quatre nouveaux projets. Zoom sur l’un d’entre eux, le futur boulodrome de Renens (VD).

Date de publication
04-09-2023

Quand on pense chantier, on pense surtout construction. Mais qu’en est-il des chantiers de déconstruction ? Phénomène actuellement trop rare pour que l’on puisse se permettre de l’ignorer, celui qui s’est déroulé récemment avenue des Baumettes à Renens ambitionne le réemploi d’éléments structurels en béton armé. Mardi 20 juin 2023, sous une chaleur caniculaire, nous rejoignons sur le chantier de déconstruction d’un petit immeuble de bureau les équipes du groupe Steiner, de la société de logistique et transports Cand-Landi, du laboratoire de Théorie de l’environnement, des matériaux et de l’architecture à l’EPFL (THEMA), de MacIver-Ek Chevroulet architectes et des ingénieur·es de 2401 – cocktail étonnant, qui mélange ténors de la construction suisse, société de transport historique, chercheur·euses, architectes et ingénieur·es.

Le mariage est forcé: l’un des intervenant·es glisse que c’est la Ville de Renens, très proactive sur les questions d’aménagement durable du territoire, qui est à l’initiative de l’incitation à la déconstruction. À la place du petit immeuble de bureaux des années 1980, Steiner Promotions et Participations entend construire d’ici 2024 Mix’City, un projet immobilier dédié aux commerces et aux bureaux, pour répondre aux besoins de la petite industrie et de la logistique du dernier kilomètre.

Réemploi de structure porteuse

Ce projet de déconstruction vise à découper sur place les dalles et les piliers porteurs de la structure existante de l’ancien bâtiment de bureau en éléments prédéfinis. Ceux-ci seront réutilisés pour l’édification de la structure porteuse de quatre nouveaux projets dans la région. Le premier, RebuilT (laboratoire d’exploration structurale SXL, EPFL), est un projet mené avec des étudiant·es visant l’édification d’un pavillon communautaire à Ecublens qui combine une approche low-tech et circulaire, et dont la structure réutilisera six modules composés d’une dalle inférieure, d’un pilier et d’une dalle supérieure (structure en sablier). Pour le deuxième projet, une partie des dalles découpées seront réutilisées directement sur le site pour la réalisation d’un mur de soutènement pour Mix’City (instituts TRANSFORM, iTEC, et ENERGY, HEIA / 2401 / Steiner SA). Le troisième, ConcReTe, est un projet de recherche appliqué pour la construction d’un abri vélos qui utilisera des blocs de taille moyenne extraits des dalles (instituts TRANSFORM, iTEC, et ENERGY, HEIA). Le dernier projet issu de cette déconstruction, enfin, est le futur boulodrome de Renens (MacIver-Ek Chevroulet).

Boulodrome

Le nouveau bâtiment du Club de Pétanque de Renens sera construit sur le site du parking du Censuy, dont l’asphalte sera dégrappé afin de le transformer en parc. Ce projet, développé en collaboration avec l’Atelier du paysage, est une petite construction compacte en béton armé qui rassemblera une buvette accessible pour les associations du quartier et des terrains de boules sous une charpente en bois. Pour la structure porteuse, les architectes n’ont pas jeté leur dévolu sur le béton recyclé, mais sur le réemploi d’éléments structurels en béton, ce qui permettrait de diminuer l’empreinte carbone du bâtiment de plus de 90 %. Trois modules de béton sont ainsi découpés dans les dalles du bâtiment de bureau aux Baumettes: socles (185 × 98 cm), murs périphériques (185 × 260 cm) et noyaux (185 × 446 cm). Ceux-ci sont actuellement stockés sur le parking en attendant le début du chantier.

L’innovation de ce projet tient dans l’idée simple de redresser les dalles pour en faire des murs porteurs, sur lesquelles la charpente en bois se posera. Structurellement, l’idée est moins saugrenue qu’il n’y paraît: en réalité, les armatures de la dalle travaillent nettement plus horizontalement en raison des longues portées à franchir; une fois mises à la verticale, les dalles ne travaillent plus qu’en compression, ce qui est idéal pour du béton. Les armatures ne seront donc sollicitées qu’au moment où les dalles seront pivotées à la verticale par une grue. Les ingénieur·es ont également constaté que l’autre avantage d’utiliser des dalles de réemploi pour réaliser cette structure porteuse tient dans la connaissance que l’on en a déjà: les tests statiques et de carbonatation ont démontré une excellente résistance de ces éléments, ce qui les rend pratiquement plus performants que du béton neuf.

La simplicité du programme et les contraintes feu réduites font de ce projet un terrain de jeu idéal pour l’expérimentation : pour la charpente, les intervenant·es envisagent de travailler avec de petites sections de bois, qui pourraient elles aussi être issues du réemploi.

Réemploi: qui y gagne?

Pour les membres de la coopérative 2401, la pratique du réemploi, autrefois courante pour des raisons de coûts, renaît aujourd’hui principalement pour des motifs de préservation des ressources et de réduction de l’impact environnemental de la construction. Toutefois, en ce qui concerne la structure porteuse, les exemples de réemploi sont encore extrêmement rares1, à plus forte raison pour le béton armé, en dépit de son impact environnemental majeur.

De nombreuses questions subsistent encore: comment calculer correctement le coût de l’exercice (frais de décharge en moins, prix de la main d’œuvre en plus)? Comment alléger la pénibilité du processus de déconstruction, qui oblige les ouvrier·ères à découper un à un, sur une dalle béton transformée en plancha, les modules qui seront réutilisés? Face à l’efficacité rationnelle des démolitions gérées par les grands groupes, les déconstructions et le réemploi font encore figure de bricolages portés par des individus enthousiastes. Mais l'avenir leur est ouvert.

Dernière question quand même: pourquoi le bâtiment de bureau actuel ne pouvait-il pas être conservé et transformé pour répondre à de nouveaux besoins? Ça, l’histoire ne nous le dit pas.

Note

 

1 Voir Audanne Comment, «Réemploi en construction: l’inspiration vient d’Échallens», Tracés 12/2022 ou encore Camille Claessens-Vallet, «Structure à réemployer cherche maître d’ouvrage pour relation durable», TRACÉS 11/2022

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