Limiter les constructions neuves, une idée de droite ou de gauche?
L’idée est plus fédératrice qu’on pourrait le croire: sous cet étendard se rangent aussi bien les tenants du «zéro carbone» (on ne démolit plus, on ne construit plus, on arrête l’extractivisme) que les anticapitalistes (construire, c’est spéculer), les défenseurs du patrimoine et de l’environnement (préservons ce qui existe), les propriétaires de villas (pas dans mon jardin!) ou encore les partisans de la fermeture des frontières («la barque est pleine»).
Objectivement, si on y réfléchit, la logique voudrait qu’on limite les constructions neuves, quand tant de locaux sont vacants, transformables, rénovables, et cela, aussi bien au nom de la lutte contre le réchauffement climatique, de la préservation des terres agricoles, des espaces naturels, que des spécificités des territoires et de la qualité de vie. C’est la voie dans laquelle s’engagent aujourd’hui certaines collectivités, du Grand Genève à Pully (éditorial de TRACÉS 05/2023) ou Vevey (TRACÉS 07/2023) en passant par Renens, qui vient de mettre à l’enquête son futur plan d’affectation communal (PACom).
En réponse à un article de 24 Heures qui titrait un peu rapidement, «Renens ne veut plus se densifier», Tinetta Maystre, municipale verte en charge de la direction urbanisme et travaux, précise: «Nous ne sommes pas anti-densification, ni anti-ville. Renens est déjà une ville très dense, qui a beaucoup construit dans les années 1970. Aujourd’hui, nous avons décidé de nous concentrer sur des secteurs spécifiques, comme Malley ou les Entrepôts pour développer des morceaux de ville». Ailleurs, la Municipalité entend privilégier le maintien des constructions existantes et ne pas encourager la réalisation de nouveaux bâtiments. «Nous avons laissé démolir trop de bâtiments et supprimer trop d’arbres que nos outils de planification ne nous permettaient pas de protéger, regrette-t-elle. Tout était constructible à Renens, même les parcs et la piscine!» L’objectif est maintenant de faire évoluer les tissus existants et de transformer le bâti pour répondre au plan Climat, dans une recherche de qualité des opérations qui passe (entre autres) par une plus grande attention à l’existant, au patrimoine bâti comme arboré. La Ville souhaite se développer sur un mode plus qualitatif, et plus maîtrisé, à un rythme moins soutenu.
Mais une question vient après: peut-on vraiment se permettre de limiter les constructions neuves? La densification raisonnée par la transformation et la rénovation de l’existant suffira-t-elle à répondre à la pénurie actuelle de logements dans cette partie du pays, notamment de logement abordable, dans un contexte de croissance démographique soutenue portée par une économie florissante et les flux migratoires. Ce qui ne sera pas construit dans les grandes agglomérations le sera ailleurs, dans des secteurs moins bien équipés et moins bien desservis, générant de nouveaux flux de déplacements.
Certains aimeraient limiter cette croissance, les plus à droite au nom de la préférence nationale, les plus écolos pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais faut-il vraiment être moins nombreux pour que la planète, les villes, les quartiers soient vivables? Ou moins s’étaler? Ou tout simplement moins consommer? Sachant que la croissance démographique, qu’on y souscrive ou non, semble inéluctable et que l’économie suisse, si elle entend se maintenir à ce niveau, aura besoin de ces nouveaux arrivants pour faire tourner la machine (et surtout pour l’entretenir, car la population vieillit). En janvier 2023, lors des ateliers de la Vision territoriale transfrontalière 2050 du Grand Genève, Julia Steinberger, co-autrice du dernier rapport du GIEC, appelait à ne pas faire d’amalgame entre croissance démographique et croissance économique: pour elle, on peut à la fois accueillir de nouveaux habitants et diminuer nos consommations. Croître et réduire donc. Sacré défi.