L’Étang à Ver­nier: de quoi le la­bel SNBS-Quar­tier est-il le nom?

Premier quartier de Suisse à décrocher le nouveau label SNBS-Quartier, l’Étang ne présente pas, a priori, de signes d’excellence environnementale. L’ensemble monumental, ultra-dense, posé sur quatre niveaux de sous-sol et réalisé 100 % en béton, a fait jouer d’autres leviers pour obtenir sa certification.

Date de publication
13-02-2024

Coincé entre l’autoroute A1, les voies ferrées de la ligne Genève-Bellegarde, les réservoirs d’hydrocarbure et la route de Meyrin, le nouveau quartier de l’Étang s’est construit en moins de six ans sur une friche industrielle de 11 ha. Depuis son inauguration fin 2023, cette ville dans la ville, développée par un unique propriétaire-­investisseur privé, accueille plus de 2500 habitants, 50 000 m2 d’activités, 2500 emplois et des équipements publics, sur un parking souterrain de 1770 places. Ce qui frappe de prime abord, outre la rudesse du contexte, c’est la monumentalité de l’ensemble : le « mur » des Fabriques – deux bâtiments-écran d’activités le long des voies ferrées (contraintes OPAM) –, le centre commercial et les bureaux des Atmosphères, jusqu’à R+10 en façade sur l’A1, la hauteur et la proximité des bâtiments entre eux, le « tout béton ». Malgré une échelle hors norme, ou à cause d’elle, le quartier réussit à produire de la ville, de l’urbanité, par son programme mixte et sa configuration en îlots, ses alignements sur rue et le traitement très urbain (et minéral) de ses espaces publics. À l’intérieur, les espaces résidentiels sont préservés des nuisances d’un environnement ingrat par les bâtiments d’activités qui forment la cuirasse autant que la vitrine du quartier1.

Où l’Étang marque-t-il des points?

Précédemment certifié Site 2000 watts « en développement » (certificat obtenu en 2016, reconduit en 2019), l’Étang a bénéficié d’une passerelle avec le label SNBS-Quartier2. Cette nouvelle certification revendique une approche globale des enjeux sociétaux (gouvernance, participation, bien-être, santé…), économiques (cycle de vie, potentiel de réversibilité, matériaux locaux…) et environnementaux (réduction des émissions de GES construction exploitation, mobilité, économie circulaire, gestion de l’eau…). Elle entend laisser aux développeurs, aux architectes et aux planificateurs spécialisés une grande liberté pour répondre aux exigences et donc pour aménager les quartiers.

Le label est structuré en 12 thèmes, 30 critères et 80 indicateurs. Avec une note moyenne de 5.4 sur 6, l’Étang remplit le contrat. Si le maître d’ouvrage ne souhaite pas communiquer sur le détail des notes par critères3, Francine Wegmüller, du bureau Weinmann-Energies, qui a accompagné et évalué le projet, est revenue, lors de la conférence de presse annonçant la labellisation, sur les points saillants qui ont permis au quartier de décrocher le label :

  • la culture du dialogue et de l’échange, entre les acteurs et avec les habitants, la communication auprès des habitants, la présence d’équipements publics
  • la mixité, à travers la diversité des usages – logements, bureaux, activités, loisirs, commerces, restaurants, public – et des typologies de logements
  • les aménagements extérieurs, qui assument de nombreuses fonctions : rencontres, lutte contre le réchauffement, biodiversité
  • la mobilité, avec une modération du trafic motorisé obtenue grâce au stationnement en sous-sol, la mutualisation des parkings (qui a permis de réaliser une économie de 20 % du nombre de places), 2600 places de stationnement vélo dont les ¾ en intérieur, des transports en commun (tram et deux arrêts de bus), une connexion à la voie verte, une passerelle en cours de planification vers la gare de Vernier
  • l’énergie et la gestion des matériaux. En matière d’énergie grise, les matériaux de démolition et d’excavation qui étaient sains (soit 50 % du volume total de la friche industrielle) ont été traités et valorisés directement sur site grâce à l’installation d’une centrale à béton mobile sur le chantier. La mutualisation des places de parc a permis de réduire l’énergie grise de l’infrastructure
  • l’énergie d’exploitation : un concept d’approvisionnement énergétique 100 % renouvelable défini en 2016 reposera à terme sur le réseau Genilac pour le chauffage et le rafraîchissement de l’ensemble du quartier grâce à l’eau du Léman via une centrale de chauffe de 6 mégawatts. L’électricité fournie est 100 % renouvelable grâce aux panneaux photovoltaïques et à la « fourniture verte » des SIG. Tous les bâtiments sont THPE

Le béton est-il soluble dans l’excellence environnementale?

Les milliers de m3 de béton coulés pour la construction du quartier, même si une partie est issue du recyclage des déchets du site, questionnent la note obtenue sur les critères intégrant l’énergie grise. Francine Wegmüller explique que l’usage du béton est compensé par la taille des bâtiments, la mutualisation des sous-sols et la possibilité de déconstruire les bâtiments en fin de vie pour réemployer leurs éléments.

Dans une démarche holistique cohérente avec l’idée de durabilité, SNBS-Quartier couvre un spectre très large de critères : de la communication avec les habitants à l’accessibilité par modes doux, l’économie circulaire ou la biodiversité. Mais en mettant au même niveau des champs hard et soft, qui ne requièrent pas tous le même niveau d’investissement et/ou d’expérimentation, dont la mise en œuvre est plus ou moins complexe et coûteuse, certains pouvant évoluer (la gouvernance, les aménagements paysagers) et d’autres qui resteront longtemps figés dans le béton (les parkings souterrains), le label induit certains biais. Par son système de calcul, le SNBS-Quartier permet de compenser partiellement les notes faibles sur certains critères par les efforts faits sur d’autres, avec le risque que les critères plus « faciles » à réaliser, sur lesquels on surinvestit, deviennent des critères « alibis ». L’attribution du nouveau label à l’Étang cautionne ainsi l’idée qu’on peut construire tout en béton, sur quatre niveaux de sous-sol, et obtenir un label « green ». Elle valide aussi un modèle économique de production de la ville – celui de l’investisseur privé – qui doit être rapidement rentable et exploiter au maximum les droits à construire. Au-delà des objectifs de durabilité valorisés par le label, les choix de densité et de mutualisation des parkings relèvent d’abord de l’équation économique du maître d’ouvrage. La volonté d’aller vite, qui se traduit notamment par la réalisation en entreprises totales, ne laisse pas non plus de place à l’expérimentation constructive, sur des matériaux alternatifs au béton par exemple. 

La transparence sur les notes attribuées permettrait de reconnaître les qualités du quartier – la reconversion d’une friche, sa densité, sa mixité, les espaces apaisés dans un environnement ingrat, un projet d’espace public qualitatif, l’investissement sur l’énergie d’exploitation – et d’assumer qu’il aurait pu mieux faire sur les questions d’énergie grise des bâtiments et des infrastructures souterraines.

Notes

1. Sur le quartier, voir « Avanchet-Parc, l’Étang, de la barre à l’îlot, de la cité au quartier », Marion Cruz Absi, 17.05.2023, espazium.ch

 

2. À partir de septembre 2023, le label Site 2000 watts a été remplacé par deux nouveaux labels Minergie-Quartier et SNBS-Quartier.

 

3. On apprendra juste que le quartier a obtenu 5.95 dans le domaine « Société », 5.25 pour « Économie » et 5.25 pour « Environnement ».

Quartier de l’Étang, Vernier (GE)

  • Investisseur : Claude Berda
  • Promoteur et administrateur : Jean-Bernard Buchs, Bugenia
  • Pilote : Urban Project
  • Masterplan (2011)  : Dominique Perrault Architecture
  • Architectes : Favre + Guth, AAG +, Groupe H, PEZ arquitectos, CCHE
  • Architectes-paysagistes : agence TER 
  • Bureau d’ingénieurs conseils pour la certification : Weinmann-Energies
  • Constructeurs en entreprises totales : Implenia, HRS Real estate, Edifea, Steiner 
  • PLQ : 2015
  • Réalisation : 2017-2023
  • Programme : 248 636 m2 SBP
    • 16 immeubles d’habitation
    • 580 logements locatifs
    • 290 logements PPE
    • 30 % LUP
    • 55 % SBP d’activités pour 45 % SBP de logements 
  • Programmes publics : groupe scolaire, crèche, espaces socio-culturels, 1770 places de parking
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