Du­ra­bi­lité de l’im­mo­bi­lier: les la­bels sont-ils la so­lu­tion?

En matière de labels, qu’est-ce qui fait courir les investisseurs? Au-delà de la durabilité, quelles sont leurs stratégies pour certifier leurs bâtiments ou leurs quartiers? Quelles sont les limites actuelles de l’usage des labels?

Date de publication
14-02-2024

TRACÉS: Les investisseurs et les grands acteurs de l’immobilier recourent-ils massivement à l’éco-étiquetage pour leurs projets?
François-Xavier Favre et André Bittner : Il faut faire la distinction entre les nouvelles constructions et les bâtiments existants. Pour les nouvelles constructions, ils vont effectivement souvent (mais pas toujours) rechercher un standard ou un label lors de la planification, que ce soit SNBS, DGNB ou un certificat énergétique des bâtiments comme le CECB ou Minergie et ses déclinaisons. Pour les bâtiments existants, les propriétaires, les gestionnaires d’investissement et les gestionnaires d’actifs se demandent souvent s’il vaut la peine de consacrer des ressources supplémentaires pour faire certifier le bâtiment, car ces démarches sont généralement très coûteuses et prennent beaucoup de temps. C’est pourtant là que réside, à notre avis, le plus grand potentiel et le levier pour changer réellement les choses dans le secteur de la construction et de l’immobilier, car 40 % du parc immobilier existant en Europe est responsable d’environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre. Agir sur le parc existant permet d’économiser plus de CO2 que d’agir sur le neuf avec des labels. C’est comme si, en tant que société de transport, vous décidiez de préserver l’environnement en achetant de nouvelles voitures électriques au lieu d’agir sur votre vieux porte-conteneurs diesel. Cela est vrai pour le CO2 en exploitation, cible actuelle des stratégies de décarbonation, mais il ne faut pas oublier le CO2 embarqué sous forme d’énergie grise. Pour ce dernier, les nouvelles constructions ont bien un rôle majeur à jouer. Il s’agit donc de jongler entre ces deux sujets.

Quelles sont les motivations des acteurs de l’immobilier, en dehors de la réduction des émissions et du souci de la qualité de vie de leurs locataires, qu’on imagine premières : augmentation de la valeur de leurs biens, rendements plus ­élevés, réputation de leur entreprise sur les marchés financiers?
Tous les exemples que vous citez sont de bonnes raisons pour les investisseurs de se servir d’un label type Green Building. Certains grands bailleurs, surtout internationaux, insistent même pour que leurs surfaces louées ne soient situées que dans des bâtiments certifiés, tels que des immeubles de bureaux avec, par exemple, la certification LEED, reconnue internationalement.

La standardisation, qui permettrait d’établir et d’utiliser sur le marché une norme uniforme avec une valeur de reconnaissance élevée, est une autre raison. Cela peut paraître paradoxal car le nombre de labels a entre-temps augmenté de manière presque incalculable. Vous avez par exemple le label SNBS en Suisse, l’américain LEED, le britannique BREEAM, DGNB en Allemagne, HQE en France, CASBEE au Japon et Green Star / NZ en Australie / Nouvelle-Zélande. Tous les labels ne peuvent pas systématiquement être appliqués dans tous les pays car les normes en matière d’énergie (et les structures associées) sont différentes. La Suisse, par exemple, utilise SNBS, DGNB, LEED, BREEAM, mais aussi Minergie et CECB. Il existe cependant quelques adaptations des labels pour les différents pays, comme par exemple pour DGNB et BREEAM. Néanmoins, la valeur de reconnaissance parmi les utilisateurs est élevée et les spécialistes savent ce qui se cache derrière un label, surtout lorsqu’ils ont déjà participé à un tel processus de certification.

En termes économiques et financiers, quels sont les avantages de la labellisation?
Les propriétaires immobiliers et les bailleurs ne sont pas les seuls à s’intéresser aux labels et à la durabilité. Tous les acteurs immobiliers sont concernés, notamment les banques qui prêtent de plus en plus d’attention au sujet. Cela se traduit par des stratégies internes liées au financement de biens présentant ou non des avantages énergétiques, par des labels ou des audits énergétiques tels que le CECB.

Si le financement se voit de plus en plus impacté, il en va de même pour la valeur du bien et les rendements attendus. Certains acteurs sont prêts à payer un premium pour des immeubles à haute qualité énergétique, via des labels ou d’autres certificats. À l’inverse, certains fonds plus opportunistes se positionnent sur des immeubles à forts besoins de rénovation énergétique, et donc aussi à fort potentiel de croissance de loyer et de valeurs.

Les labels offrent également la garantie pour les investisseurs que des critères de durabilité ont bien été respectés.
De plus en plus d’investisseurs ont besoin de transparence, de clarté et d’ordre sur les données ESG1 de leurs immeubles. Le recours aux labels est le meilleur moyen d’assurer cette transparence avec un degré important de fiabilité. Si un propriétaire prétend que son immeuble construit en 2010 répond aux standards de Minergie-P, sans avoir obtenu la labellisation, comment peut-il le démontrer au futur acquéreur lors de la phase de Due Diligence2 qui ne dure souvent que quelques semaines ? Comment tout recalculer en si peu de temps et comment croire le vendeur ? Avec le label en force, il n’aurait pas ce problème.

Est-il «facile» d’obtenir un label?
En principe, l’obtention d’un label n’est pas un quick win et implique des efforts, parfois considérables. Surtout si c’est la première fois qu’une telle certification est réalisée.

Que représente l’obtention d’un label en termes de temps de travail et de coûts pour les entreprises?
La certification de bâtiments en «bâtiments plus durables» est généralement un processus coûteux. Ce travail dépend du label, de l’expérience du certificateur, du nombre de bâtiments à certifier, de la version des normes de certification, du nombre d’indicateurs à vérifier dans le catalogue de critères, etc. La qualité des données est ici un critère central, car plus on dispose de données qualitatives, meilleur sera le résultat final. Mais la quantité, c’est-à-dire la disponibilité des données nécessaires, joue également un rôle, car on ne peut évaluer que ce qui est disponible!

Les investisseurs anticipent-ils dès le début du projet pour viser stratégiquement un label plutôt qu’un autre?
D’un point de vue stratégique, il est bien sûr judicieux de réfléchir dès le départ à l’objectif visé. Ainsi, un label or ou platine sera plus difficile à obtenir qu’un « simple » label argent, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’un mauvais bâtiment en termes de durabilité, mais seulement qu’il n’est pas aussi bon que les labels supérieurs.

Les labels ont évolué au point d’être relativement similaires et adaptés aux normes de chaque pays (par exemple SNBS et DGNB). Si un investisseur a déjà certifié quelques bâtiments dans son portefeuille selon la norme SNBS et qu’il souhaite en faire certifier d’autres, il est logique de continuer à les certifier selon cette norme – également en termes de coûts.

Il peut aussi y avoir des recoupements entre les critères ESG de l’entreprise et un certificat Green Building : les acteurs de l’immobilier savent utiliser les enseignements et les synergies de manière stratégique et ciblée dans un contexte plus global.

François-Xavier Favre est directeur de Wüest Partner Genève et responsable des thématiques ESG sur le marché romand. 

 

André Bittner est Senior Consultant chez Wüest Partner Zurich et responsable des thématiques finance durable et ESG stratégie. 

Notes

1. Données environnementales, sociales et de gouvernance. Les critères ESG s’appliquent aux entreprises comme aux objets immobiliers.

 

2. Phase d’analyse des documents juridiques, financiers, techniques, etc., avant acquisition d’un immeuble par le potentiel acheteur.

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