La­bel­li­ser, mode d’em­ploi

La certification devient une prestation supplémentaire qu’un bureau d’études peut proposer à ses clients, comme auditeur ou accompagnateur d’un projet. Entretien avec Lúcia Silva et Pierre-Antoine Legrand, d’Amstein + Walthert, au sujet de ce marché en expansion.

Date de publication
19-02-2024

TRACÉS: L’entreprise Amstein + Walthert Genève est spécialisée dans la technique du bâtiment. Quelles sont les raisons qui l’ont amenée à être active dans le domaine de la labellisation/certification? Et à quel moment cela s’est-il produit?
Lúcia Silva (L.S.)
: Au niveau des labels de bâtiment, nous nous sommes lancés dans cette activité à partir de 2006 pour les labels nationaux (par exemple Minergie-ECO) et 2016 pour les labels internationaux (par exemple BREEAM, LEED, DGNB, etc.). Nous avons effectué les formations nécessaires avant de faire face à une véritable demande, car nous avons senti que cela représentait un marché intéressant nous permettant d’offrir des prestations supplémentaires pour amener nos clients vers plus de durabilité, dans un sens plus large que la seule question énergétique. L’intuition était bonne, car la demande est très vite arrivée et ne cesse de croître. Nous accompagnons aussi depuis près de 10 ans la labellisation des quartiers, à travers le label Site 2000 watts, remplacé dès 2024 par les labels Minergie-Quartier et SNBS-Quartier.

Comment devient-on certificateur?
L.S.: Il faut suivre des formations, qui nécessitent un investissement plus ou moins grand selon les différents labels. Pour Minergie, par exemple, il suffit que l’ingénieur thermicien avec de l’expérience dans le domaine énergétique fasse un suivi des cours Minergie, sans avoir besoin de passer un examen pour être certifié. En revanche, certains labels internationaux exigent des formations spécifiques et le passage d’examens afin d’obtenir des certificats.

Chez Amstein + Walthert, nous avons les compétences requises pour endosser la double casquette d’auditeur et d’accompagnateur de projet pour certains labels, comme SNBS par exemple. Dans la moitié des cas, l’organisme de certification nous mandate pour auditer un projet avant de délivrer le label visé. Dans l’autre moitié des cas, nous accompagnons un maître d’ouvrage ou un investisseur sur le chemin de la certification, en l’aidant, lui et ses mandataires, à développer son projet et à produire les pièces qui permettront au certificateur d’effectuer son travail. Bien évidemment, on ne peut pas jouer les deux rôles simultanément sur un même projet.

Quelles sont les étapes d’un processus de certification?
Pierre-Antoine Legrand (P-A.L.): La première étape est de choisir le label approprié en fonction du projet et des motivations du maître d’ouvrage et de son expérience avec les labels. Va-t-il, par exemple, exploiter lui-même son bâtiment ? Ou plutôt le vendre ou le louer ? Veut-il voir ses charges d’exploitation baisser ? Veut-il s’engager vers plus de durabilité ou estime-t-il qu’un label permettra d’améliorer son image ?

S’il n’a pas d’idée ou d’envie précise, nous commençons par lui présenter les labels existants, en détaillant leurs avantages et leurs inconvénients, ainsi que les coûts qui y sont associés. Une fois la décision prise, commence alors le véritable travail : accompagner le client tout au long du projet et aider ses mandataires à prouver le respect des critères spécifiques au label choisi.

Ensuite, chaque label s’inscrit dans un processus qui lui est propre. Par exemple, les labels Minergie et SNBS délivrent systématiquement un certificat provisoire à la fin de la phase de développement du projet, puis un certificat définitif une fois le projet réalisé. Dans le cas de SNBS-Quartier, le certificat doit être confirmé une fois, cinq ans après la mise en service.

Peut-on estimer facilement les (sur)coûts liés à une certification?
P-A. L. : C’est une question qu’on nous pose souvent et à laquelle il est difficile de répondre tant cela dépend du projet, mais une certification engendre immanquablement des coûts. Il y a évidemment les surcoûts liés au développement d’un projet plus qualitatif. De plus, les mandataires devront produire des pièces justificatives qu’ils n’ont pas l’habitude de produire, notamment pour les labels étrangers se rapportant à des normes anglo-saxonnes. Enfin, il reste les coûts liés au processus de certification lui-même.

L. S. : Les coûts dépendent surtout de l’architecture et de la capacité des architectes et des maîtres d’ouvrage à anticiper des choix constructifs qui s’accorderont avec les principes d’un label. Certains aiment bien les grandes surfaces vitrées ou des constructions avec des aspects architecturaux remarquables, par exemple pour des sièges d’entreprise, ce qui peut augmenter le défi pour trouver des solutions conformes aux labels envisagés. Quand il faut les convaincre de changer un aspect central du projet, cela peut être très chronophage… Pour maîtriser les coûts, le meilleur levier reste la prise en compte de la durabilité en amont, très tôt dans la phase de conception du projet.

Étant donné l’effort, est-ce que cela amène vraiment un retour sur investissement ?
P-A. L.: Les surcoûts de la labellisation sont compensés par les efficiences gagnées qui font qu’on exploite un bâtiment plus performant, fait encore plus notable avec le renchérissement actuel de l’énergie. Il y a encore d’autres gains, plus ou moins quantifiables, comme l’image ou les plus-values commerciales liées à la vente ou la location de locaux labellisés.

«Penser label» amène ainsi une réflexion sur les coûts en terme de cycle de vie du bâtiment : conception, construction, exploitation et, enfin, démolition/transformation. Donc oui, si un développeur est prêt à réfléchir sur le long terme, il va s’y retrouver. Il ne faut pas perdre de vue l’objectif principal derrière ces labels, qui est de proposer une manière plus durable d’occuper l’espace urbain.

L. S. : Il y a aussi d’autres motivations, comme l’amélioration de l’image des entreprises d’un point de vue durabilité (« image verte »). Ceci est visé souvent par des grandes multinationales – les labels internationaux ont une reconnaissance internationale et les nationaux sont souvent souhaités par les entreprises suisses. Une autre motivation peut être d’augmenter l’attractivité de l’entreprise pour les employés. Par exemple les labels WELL et FitWELL sont très intéressants au niveau de l’augmentation du confort des occupants, et peuvent être un atout pour les entreprises qui souhaitent retenir les talents.

Une partie de ces coûts est liée au processus de certification. Existe-t-il en quelque sorte un business des labels?
P-A. L. : Il n’y a pas de réponse unique, cela dépend des labels. Les labels suisses comme Minergie, SNBS et jusqu’il y a peu Site 2000 watts sont portés par des associations à but non lucratif et soutenues par la Confédération. Les frais servent à payer les coûts relatifs à la certification et à défrayer les personnes qui travaillent à l’établissement des critères et à leur évolution. Certains labels étrangers répondent à une autre logique, plus anglo-saxonne, de business et peuvent coûter plus cher.

Le développement de quartiers passe immanquablement par un dialogue avec les autorités. Une Commune peut-elle contraindre un développeur à recourir à tel ou tel label?
P-A. L. : Oui, c’est le cas par exemple dans le canton de Vaud. Mais à Genève, contrairement à ce qui se passe ailleurs, ce ne sont pas les Communes qui délivrent les permis de construire. Ces dernières ne peuvent donner qu’un préavis. Elles peuvent donc encourager une certification, surtout s’il s’agit d’une parcelle communale développée par un privé, mais en aucun cas l’imposer. Pourtant, au bout du lac, les obligations légales liées aux questions énergétiques sont relativement fortes. Un label comme SNBS-Quartier permettra surtout d’aller beaucoup plus loin sur d’autres questions que l’énergie, comme les aspects de durabilité, d’enjeux sociaux, de gouvernance, de mobilité et d’environnement. Le processus de labellisation permet d’impliquer les développeurs et les autorités dans un projet qui sera donc le fruit d’une collaboration réfléchie, dans un objectif de construction durable.

Plusieurs de ces aspects dépendent étroitement de la position du projet dans le tissu urbain, comme par exemple les questions de mobilité, liées aux réseaux existants et à leur développement mais sur lesquelles un développeur/promoteur n’a, a priori, que peu prise. Quelle est sa marge de manœuvre?
P-A. L. : Cette marge existe du fait des différents niveaux, comme argent, or ou platine d’un label tel que SNBS-Bâtiment. Pour atteindre le niveau le plus élevé, le projet se doit d’atteindre toutes les exigences minimales. Pour les niveaux moins élevés, il peut se permettre de ne pas les atteindre toutes. Ainsi un développeur peut compenser les faiblesses d’un projet dues à une situation innée. On retrouve cette philosophie également dans les labels bâtiment, surtout au niveau national. La méthode de calcul dépend finalement de chaque label. 

Les labels quartier sont prévus pour couvrir le cycle de vie du projet. Que se passe-t-il si un développeur décide de quitter le navire ou si un label disparaît, à l’image de Site 2000 watts?
P-A. L. : Dans le cas de Site 2000 watts, la continuité est assurée car des passerelles ont été prévues avec les nouveaux labels de quartier Minergie et SNBS. Une partie de notre travail actuel consiste d’ailleurs à aider les anciens quartiers labellisés Site 2000 watts à effectuer leur transition vers le SNBS-Quartier. Il y a aussi des simplifications de procédure prévues qui ont été mises en place pour assurer la continuité.

L. S. : Le quartier de l’Étang, à Vernier (GE) visait le label Site 2000 watts. Il a obtenu une équivalence et est ainsi devenu le premier à obtenir le SNBS-Quartier.

Lúcia Silva est responsable du département Bâtiment durable chez Amstein + Walthert. 

 

Pierre-Antoine Legrand est responsable de la planification énergétique territoriale chez Amstein + Walthert. 

Le Closalet : de Site 2000 watts à SNBS-Quartier

     

    Le premier plan d’affectation de ce quartier d’Épalinges (VD), mis à l’enquête en 2015, a été refusé par la population lors d’un referendum tenu en 2019. Suite à ce rejet, son promoteur, le Fonds de prévoyance de CA Indosuez, a développé un nouveau projet comprenant une certification Site 2000 watts. Il a obtenu un premier certificat lors de la phase de planification en 2020 et l’a renouvelé avec succès pendant la phase d’avant-projet en 2022.

    À la suite du remplacement du label Site 2000 watts par deux nouvelles certifications, le Closalet est aujourd’hui en cours de labellisation SNBS-Quartier – qui évalue la durabilité globale du site sur les plans social, économique et environnemental. Quelles ont été les implications de ce changement de label en cours de projet? Rencontre avec l’architecte Santiago Pagés (RDR architectes).

     

    TRACÉS : Monsieur Pagés, comment avez-vous géré cette transition?

    Santiago Pagés: Dans un premier temps, il nous a fallu comprendre la philosophie de chacun des deux nouveaux labels pour déterminer lequel correspondait le mieux à notre projet et à ses motivations. Le choix s’est porté sur SNBS-Quartier, notamment en raison de sa vision plus sociétale. Une fois la décision arrêtée, nous avons vécu une période d’incertitude en raison de la complexité administrative car si les deux labels sont parents, ils ne sont pas jumeaux. Les deux reposent sur 30 critères, mais seuls 23 sont identiques. Il y avait donc sept indicateurs pour lesquels nous devions produire des données. Et pour les 23 autres, les coefficients, les méthodes de calcul, ne sont pas forcément identiques. Nous avons à ce moment constaté que, bien qu’étant un label quartier, SNBS avait également des exigences significatives sur la partie bâtiment.

     

     

    Comment ce changement se traduit-il concrètement sur le projet?

    L’un des aspects les plus visibles est la réduction du nombre de bâtiments de 14 à 12, afin d’obtenir une forme urbaine plus compacte, moins dispersée. Ensuite, pour des questions de réduction de l’énergie grise, nous avons augmenté la part du bois dans les matériaux de construction au détriment du béton. Enfin, nous avons dû revoir en profondeur le concept du parking souterrain – déjà réduit à la base car le quartier a un taux de satisfaction de 0.7 par rapport à la norme VSS – là aussi pour réduire la quantité de matière.

    Le Closalet, Épalinges (VD)

    • Maître d’ouvrage : Fonds de Prévoyance de CA Indosuez, Lausanne
    • Direction générale de projet : BG Ingénieurs Conseils, Lausanne
    • Architecte : RDR architectes, Lausanne
    • Architecte-paysagiste : L’Atelier du Paysage, Lausanne
    • Ingénieur environnement : Ecoscan, Lausanne
    • Ingénieur mobilité : Transitec Ingénieurs-Conseils, Lausanne
    • Ingénieur civil : B+S Ingénieurs, Genève
    • Ingénieur civil passerelle : Ingeni, Lausanne
    • Ingénieur géotechnique : Karakas & Français, Lausanne
    • Ingénieur CVS : Weinmann Energies, Lausanne
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