Les li­mites (pla­né­taires) du con­fort

L’événement annuel organisé par la SIA section Vaud, la Fédération suisse des urbanistes (FSU) et la Fédération suisse des architectes paysagistes (FSAP) proposait d’explorer la notion polysémique de confort, de manière pluridisciplinaire et avec comme fil rouge la tension entre l’intime et le collectif.

Date de publication
30-01-2024

Confort d’usage, confort thermique, confort climatique… Si la perception du confort varie d’un individu à l’autre, il n’en demeure pas moins que certaines variables ont fait l’objet d’une validation collective dans nos sociétés contemporaines, au point de s’insérer dans nos modes de vie, jusque dans les normes ou les législations. Avec des répercussions évidentes sur le bâti. Mais au fond, qu’est-ce que le confort?

Quand le confort devient le problème

«Le confort est politique». Luca Pattaroni, professeur de sociologie de l’EPFL, rappelle que la notion est à la fois objectivable (technique) et expérientielle (liée au bien-être, à la tranquillité), mais que c’est aussi un acquis social: dans l’après-guerre, on promettait à la population d’accéder au «confort moderne». L’accélération qui s’ensuit conduit à un paradoxe: le consumérisme provoque un cumul d’appareillages qui encombrent les foyers, et «le confort cesse de nous conforter». Le trop plein d’objets, de signes (la publicité envahissante), de flux (la congestion automobile), provoque une fuite en avant sans précédent. Pour la guérir, Pattaroni préconise de repartir de l’expérience, du corps, de l’usage. En regardant du côté des squats et de la contre-culture, il y trouve une définition du confort comme acte d’appropriation collective, un projet de transition bien plus crédible que les solutions technologiques.

«Le confort est un problème de mobilité.» Benoît Ziegler (ingénieur EPF) et Florence Schmoll (responsable du Département de l’urbanisme) ont présenté les blocages qu’ils ont rencontrés dans l’aménagement de Bienne depuis 2017. Avec un constat simple: aborder l’espace public, c’est toujours parler de mobilité. Un biais inventé dans les années d’après-guerre persiste: la planification par la demande. Or, en appliquant les normes, on génère des espaces confisqués : en cumulant les pistes des transports individuels, les bandes des bus, des vélos, les arbres, le stationnement et les piétons, on arrive à une largeur de… 30 m. D’après Ziegler, on consomme en Suisse 50 m2 d’espace par personne pour le logement, et 150 pour la mobilité individuelle. «Si on craint la densité, c’est bien de la mobilité individuelle qu’il faut se méfier», en déduit l’ingénieur. Pour assurer le confort dans l’espace public, les urbanistes préconisent de chercher un équilibre entre les ­usager·ères en les faisant collaborer. L’Île de la Suze et, plus encore, les quais du Bas sont présentés comme des exemples où la mixité vélos-voitures-piétons a fait l’objet d’une réflexion attentive, en recherchant des solutions communes au lieu d’opposer les intérêts.

Ne rien cacher

«Le confort, c’est la température, l’hygrométrie, l’effusivité et la pollution de l’air.» Stéphane Fuchs (atba) répond en présentant la coopérative La Bistoquette à Genève. Les façades, perspirantes, ont été réalisées avec des copeaux de bois insufflés et mélangés à de l’argile. Les murs sont réalisés avec un béton de terre récupérée sur le site. La terre absorbe l’humidité, ce qui diminue l’exigence de ventilation et favorise un air sain à l’intérieur. L’emploi du bois pour les structures et les planchers donne des surfaces chaleureuses et augmente le confort perçu, tandis que la végétation grimpante en façade sud contribue à éviter les surchauffes. Toutes les décisions de projet, raconte Stéphane Fuchs, ont été discutées par des groupes de travail de la coopérative: les choix matériels comme les options sur les espaces communs. C’est dans cet effort de discussion que le confort individuel et collectif peut être abordé.

«Il faut un confort plus fragile que l’hyperconfort imposé par les normes actuelles.» Si Stéphanie Bru reste floue dans sa présentation, c’est que l’architecte parisienne défend précisément l’inconfort comme projet: Bruther recherche des environnements changeants, qui «défient les sens» avec une stimulation physique constante, comme dans les lieux populaires animés. La méthode employée est l’addition et le collage; l’objectif, un dépassement des programmes préétablis pour permettre des usages imprévus, des situations singulières. «Les usages, dit-elle, sont plus importants que les fonctions.» Vers 2050, avec l’augmentation de quelques degrés supplémentaires, il faudra pouvoir faire évoluer les espaces et les dispositifs climatiques. Dès lors, les appareillages liés au confort (ventilation, technique, brise-soleil, etc.) sont assumés comme des éléments autonomes adaptables tandis que l’enveloppe du bâtiment est considérée comme une membrane climatique – une zone de transition exploitable, à l’exemple de celle qui a été proposée pour le nouveau bâtiment des Sciences de la vie sur le campus UNIL-EPFL.

Le confort, une discussion collective

Les deux architectes invité·es semblent avoir proposé des orientations complètement opposées: Fuchs promeut des façades intégratives, un rendu haptique chaleureux et des espaces clairement définis; Bru la dissociation des fonctions, des éléments, et un floutage des usages dans l’espace. Pourtant tous les deux convergent vers une même idée: la transparence des processus, chez atba, des dispositifs techniques, chez Bruther, sont la clé pour que la notion de confort soit réappropriée.

Le thème hautement philosophique de cette édition a pu en dérouter plus d’un·e. Pourtant, un motif revient clairement à travers les interventions: le confort est une affaire collective. Dans son récit, la Municipale en charge de la mise en œuvre du développement durable à Vevey n’a pas dit autre chose: confort individuel et urgence climatique sont trop souvent opposés dans la planification: réduire la température d’un bureau se heurte à la loi sur le travail, faire baisser de quelques degrés la température d’une piscine mène à l’abandon de certains habitués, etc. Pour résoudre de tels problèmes, l’élue peut employer deux approches, celle technico-légale de la planification et ses outils, ou le dialogue participatif. Or seule cette voie permet de les aborder ensemble et amène à des solutions inédites. À condition, dit-elle, de n’exclure personne de la discussion.

En table ronde, les intervenant·es ont conclu que pour aborder le confort, il faut travailler de manière transdisciplinaire: éviter les réflexions en silo, planifier non par la demande mais par l’offre, avec ce qu’on a; déjouer, en somme, le capitalisme règlementaire qui multiplie normes, règlements et processus administratifs et investir dans ces nouvelles sciences dédiées à l’habitabilité du monde, qui proposent de regarder ensemble les milieux sur lesquels on veut agir.

Forum Bâtir + Planifier

 

Le 16e Forum Bâtir + Planifier «Les limites du confort» s’est tenu le 28.11.2023 au Pavillon du Théâtre de Vidy, à Lausanne.

 

Intervenant·es:

  • Stéphanie Bru, architecte associée de l’agence Bruther, diplomée de l’ENSA Paris-Belleville, Pr titulaire à l’Universität der Künste (UdK) de Berlin
  • Stéphane Fuchs, architecte HES/SIA et écobiologiste, fondateur d’atba architecture + énergie
  • Gabriela Kämpf, conseillère municipale Accueil et population, cohésion sociale, durabilité, Ville de Vevey
  • Luca Pattaroni, Dr en sociologie,
  • maître d’enseignement et de recherche, LASUR, EPFL
  • Florence Schmoll, urbaniste-­aménagiste EPF/FSU, responsable Urbanisme de la Ville de Bienne
  • Benoît Ziegler, ingénieur en transport EPF/SVI/FSU, associé mrs partner sa, coprésident SVI

 

Modération:

  • Tanguy Auffret-Postel, architecte SIA, associé M–AP architectes, Lausanne, doctorant au sein du laboratoire TEXAS, EPFL

 

Informations et présentations des intervenant·es à télécharger:

 

-> vd.sia.ch/BP-2023

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