Les li­mites de la «du­ra­bi­lité»: l’ar­chi­tec­ture du con­fort

Date de publication
14-01-2022

Le concours pour le nouveau bâtiment des sciences humaines de l’Université de Lausanne à Dorigny est un cas d’école. Il montre les limites de ce que nous pouvons atteindre aujourd’hui en architecture, malgré les bonnes intentions et les compétences d’ingénieur·es et d’architectes qui se montrent prêt·es à formuler des solutions. Rigoureusement organisé, ambitieux, porté par un maître d’ouvrage conscient de ses responsabilités, ce concours exemplaire échoue pourtant à faire éclore un projet révolutionnaire, qui marquerait clairement le changement de direction que nous attendons. Le problème ne vient ni du jury, ni du cahier des charges, ni de l’organisateur. Il est structurel: aujourd’hui, un maître d’ouvrage public ne peut pas prendre de décision qui engage une quelconque incertitude, financière, technique, ou en qui remet en cause le confort d’usage. Le programme du concours prévoyait pourtant ce cas de figure: les usager·ères devraient être en mesure d’adapter leur comportement au climat ambiant. Soit de renoncer probablement à un degré de confort. Mais l’Université de Lausanne est-elle en mesure d’exiger cela de ses étudiant·es et du corps enseignant?

Le projet lauréat propose une ventilation mécanisée en raison de la pollution sonore de l’autoroute voisine: ouvrez les fenêtres et vous entendrez les voitures. Les options de projet sont donc adaptées à la suprématie de l’automobile, un contexte sur lequel on ne veut pas avoir prise. La structure est en bois, mais les dalles seront mixtes, avec 16 cm de béton, afin de donner une masse thermique et renforcer le confort acoustique.

La solution semble simple: il faudrait accepter que, parfois, à certains moments de l’année, à certaines heures de la journée, les températures puissent fluctuer, qu’il faille ouvrir la fenêtre et entendre le bruit des voitures, entendre les déplacements à la sortie d’un cours – accepter en somme l’environnement que nous habitons. Est-ce si grave? Une fois de plus: ce n’est pas la norme qu’il faut pointer du doigt, mais son emploi, la difficulté à mener un débat culturel sur des questions qu’on préfère déléguer à des spécialistes. Or une norme ne devrait pas être un canevas, mais une trame; un tracé régulateur utile pour se repérer et discuter des options de projet, pas une contrainte. Sur le campus, il y a des bâtiments qui respectent toutes les normes – et qui donnent pourtant envie de se jeter par la fenêtre (à condition de pouvoir l’ouvrir).

Dans ce contexte, le projet lauréat est excellent; mais il peut être amélioré. Le jury propose ainsi de supprimer la ventilation mécanisée. On pourrait aussi réfléchir à des dalles sans béton. Qui doit décider? L’usager·ère! Le bâtiment innovant qui répond à nos besoins avant même que nous ne les ayons formulés n’est plus souhaitable. Ce sont les étudiant·es et membres du corps enseignant des facultés de droit et HEC qui doivent être impliqué·es, prendre part à la construction de leur bâtiment, avoir prise sur une décision qui les implique directement. Car ils sont les spécialistes de leur environnement. Accepteront-ils·elles quelques nuisances sonores, quelques degrés Celsius de plus ou de moins au gré des heures et des saisons? Posons-leur la question.

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