Le Va­lais a-t-il sur­vécu à la pre­mière ré­vi­sion de la LAT?

D’abord refusée en votation, la révision de la LAT s’est finalement imposée aux élus et aux citoyens valaisans comme une mesure nécessaire et qualitative qui a permis de requestionner les manières de faire et les outils de planification devenus obsolètes, explique Lucien Barras, architecte-urbaniste à Sion.

Date de publication
20-05-2024

TRACÉS: Avant la révision de la LAT, comment le canton et les communes du Valais appréhendaient-ils l’aménagement du territoire et la planification?

Lucien Barras: Pendant longtemps, la planification a accompagné la croissance plus qu’elle ne l’a encadrée. Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de la mobilité individuelle, la construction d’infrastructures et de villas étaient perçus positivement, comme un signe de dynamisme économique, porteur d’emplois, donc de richesse, qu’il fallait favoriser. Les Communes géraient les problèmes au fil de l’eau, comme ils venaient, sans imaginer que ce développement pourrait devenir problématique.

Puis la plaine du Rhône s’est considérablement développée, les villes ont acquis le statut d’agglomérations après le boom de la construction des années 1980-1990; elles ont dû gérer des questions plus complexes, qui nécessitaient de planifier autrement, en anticipant. Parallèlement, la montagne a connu elle aussi un boom touristique avec la construction de nombreuses résidences secondaires et les effets délétères qu’on connaît. Une partie des acteurs s’est enrichie – les propriétaires et les constructeurs – alors que les collectivités, qui ont dû équiper ces zones à bâtir et entretenir ces équipements, se sont appauvries. La Lex Weber1 a été farouchement combattue par les élus et les citoyens mais beaucoup reconnaissent aujourd’hui qu’elle a permis d’éviter une catastrophe en portant un coup d’arrêt à la fuite en avant de la construction, qui mettait en danger les collectivités et plus largement l’économie touristique des stations.

Il faut dire également que le métier d’urbaniste ou d’aménagiste n’existait pas vraiment il y a 15 ans dans le canton. Aucune commune n’employait un urbaniste et seuls quelques bureaux d’architectes ou d’ingénieurs agronomes offraient ces prestations. Les nouvelles lois ou leurs mises à jour – la LAT, la loi cantonale sur l’aménagement du territoire, la loi sur les constructions – et l’apparition de nouvelles thématiques – les résidences secondaires, l’énergie ou la protection du patrimoine – ont complètement renouvelé les bases légales, les manières de faire, les outils, et nécessitent de nouvelles compétences.

La révision de la LAT, qui prône le développement vers l’intérieur et la lutte contre le mitage du territoire, avait été refusée massivement par les Valaisannes et Valaisans en 20132. Comment l’expliquez-vous?

La LAT a effectivement été largement refusée en Valais parce qu’elle venait sanctionner les pratiques en usage, désormais non conformes à la loi. Le dimensionnement des zones à bâtir avait été calculé non pas en proportion du développement réel mais d’un développement touristique rêvé, et ces zones étaient donc largement surdimensionnées. Avec comme conséquence une augmentation de la valeur de nombreux terrains agricoles, et la création de richesse dans des régions en déprise agricole. La révision allait de fait imposer de déclasser des terrains constructibles.

Malgré les résistances, la révision de la LAT s’est finalement imposée comme une mesure nécessaire et qualitative. Les effets concrets sont difficiles à évaluer aujourd’hui parce que la révision des plans de zones est encore en cours, mais nous avons toujours senti une volonté de bien faire de la part des élus, de comprendre les lois, leurs avantages, les contraintes, pour trouver des solutions acceptables, reconnues assez largement comme positives.

Concrètement, comment la révision de la LAT est-elle mise en œuvre en Valais?

Le canton a élaboré son plan directeur cantonal ainsi qu’une méthode de travail à destination des communes, qui restent maîtresses de l’aménagement de leur territoire. Le canton a aussi rappelé aux communes la dimension stratégique et politique de la planification. En amont des calculs et des dimensionnements de zones à bâtir, elles doivent définir leurs objectifs de développement, leur vision d’avenir: veulent-elles attirer de nouveaux habitants, rester stables, privilégier les familles? En zone touristique, combien de lits veulent-elles accueillir? C’est une nouveauté pour les élus qui n’avaient pas l’habitude qu’on leur demande de se projeter à 10 ou 15 ans.

Les communes ont donc d’abord élaboré des options communales de développement (équivalent des plans directeurs communaux ou intercommunaux) pour fixer les grandes lignes du développement à 5, 10, 15 ans, avant de définir les outils – plans de zones, règlements de construction – pour atteindre ces objectifs. L’exercice a permis aux élus de comprendre qu’ils avaient des manettes de contrôle assez puissantes pour orienter leur développement, et que leur rôle ne devait pas se limiter à laisser couler le flot.

De nouveaux sujets s’invitent dans la planification pour faire face à l’urgence climatique: le bilan carbone, le vivant, les sols, l’énergie… Les communes se sont-elles approprié ces sujets, qui viennent parfois contredire leurs volontés de développement et imposent en tout cas de se développer autrement?

La révision d’un plan de zones exige de mettre à niveau toutes les connaissances que nous avons sur tous les aspects du territoire: les sols, l’énergie, les zones de protection de la nature, agricoles, forestières… Cette nouveauté complexifie le processus du fait de la masse des données à traiter, mais elle introduit une démarche globale et croisée qui va nous donner des arguments objectifs, explicables, justifiables pour réduire les zones à bâtir ou les maintenir, voire les développer. Biodiversité, état des sols, impacts sur le paysage, énergie: toutes ces données entrantes nous servent à justifier les mesures prises, qu’elles aillent dans le sens du développement prévu ou le contredisent, ce qui donne lieu à des pesées d’intérêts compliquées.

En matière de dangers naturels aussi, le Valais a changé de perspective : alors qu’on construisait des ouvrages de protection pour maintenir n’importe quelle zone constructible, à n’importe quel prix, on prend conscience aujourd’hui que ce coût est très élevé, sans garantir une protection absolue, et qu’il vaudrait mieux déclasser certains terrains pour les reclasser ailleurs plutôt que d’investir dans une protection aléatoire.

Le Valais est particulièrement concerné par la question du dézonage, très sensible politiquement. Est-ce une difficulté supplémentaire?

La réduction des zones à bâtir, parce qu’elle va toucher certains propriétaires beaucoup plus que d’autres, est perçue comme très injuste et met le politique dans une situation délicate. C’est donc à nous de leur donner des arguments objectifs pour expliquer les choix qu’on va faire. Tous les critères que j’évoquais permettent de construire un consensus autour des terrains favorables ou non à la construction et de lever ainsi les craintes des élus vis-à-vis du dézonage, parce qu’ils peuvent le justifier auprès de leurs administrés.

A posteriori, certains élus conviennent eux-mêmes qu’il n’aurait pas fallu construire dans certaines zones, mais qu’on l’a fait parce que c’était autorisé. Nous n’avons jamais eu l’impression de proposer le dézonage de surfaces qui méritaient de rester constructibles. À court terme, le dézonage est perçu comme une restriction des droits à bâtir, mais sur le long terme, chacun a compris qu’il valait mieux ne pas construire dans certains secteurs, dans l’intérêt de tous.

Peut-on déjà mesurer les impacts de la révision de la LAT à l’échelle communale? Y a-t-il une prise de conscience des enjeux de développement vers l’intérieur de qualité et des changements dans les méthodes?

Oui, on peut constater que les petites communes rurales ou villageoises reprennent la main sur leur aménagement en encadrant et en accompagnant beaucoup plus les acteurs privés. Alors qu’elles se contentaient de mettre en zone un secteur et de laisser les propriétaires s’entendre entre eux, elles doivent maintenant maîtriser qualitativement leur développement, en construisant dans des zones plus restreintes, donc plus densément, mais avec une plus grande attention à la qualité des opérations. Elles définissent des périmètres avec des cahiers des charges (plans de quartier, plans d’affectation spéciaux), fixent des règles de construction, obligent les propriétaires à planifier, voire à construire ensemble. C’est une garantie au niveau de la qualité des projets.

Dix ans après l’entrée en vigueur de la LAT, où en est le processus de révision des plans communaux en Valais?

Quelques communes ont déjà fait un avant-projet qui a été soumis au canton pour examen préalable, mais aucun projet n’a encore été mis à l’enquête. Nous verrons à ce moment-là s’il y a beaucoup d’oppositions mais nous serons en mesure de justifier nos choix. Nous avons l’espoir que la grande majorité des gens qui verront leurs droits consolidés avec des facilités de construire soutiendront le projet et que les personnes qui pourraient se sentir lésées ne seront qu’une petite minorité.

Le premier plan communal révisé homologué selon la nouvelle LAT aura valeur d’exemple. S’il est de qualité, il déterminera le niveau d’exigence des suivants. Les communes qui mettront leurs plans à l’enquête les premières sont des défricheuses de ces procédures longues, complexes et coûteuses. Il faut dix ans pour faire un plan de zone et, une fois qu’il est homologué, il faudrait presque lancer un nouveau processus de révision pour prendre en compte l’évolution de toutes les problématiques (énergie, climat, forêts, eau). Les communes, qui se sont beaucoup investies dans cette procédure, seront sans doute réticentes à s’y relancer; il faudra les convaincre de l’importance de faire régulièrement des mises à jour pour éviter le grand rattrapage actuel, assez indigeste, parce que rien n’avait été fait pendant 20 ans.

Notes

 

1 Loi fédérale sur les résidences secondaires (LRS) de 2015, entrée en vigueur en 2016, suite à l’initiative populaire «Pour en finir avec les constructions envahissantes de résidences secondaires», approuvée en votation fédérale le 11 mars 2012. Le canton du Valais avait voté contre cette initiative qui limite la part des résidences secondaires à 20 % pour les communes.

 

2 Lors de la votation fédérale du 3 mars 2013, la population suisse s’est prononcée en faveur de la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Seul le canton du Valais s’y est opposé à plus de 80 %.

Magazine

Sur ce sujet