L’ap­proche hé­lio­mor­phique

Extrait issu de: Sascha Roesler et Madlen Kobi, «Urban Climate Indoors: Rethinking Heating Infrastructure in China’s Non-Heating Zone»

Date de publication
19-04-2021
Sascha Roesler
architecte et théoricien, professeur boursier FNS à l’Académie de Mendrisio

L’approche héliomorphique

L’approche héliomorphique appréhende le soleil comme une force déterminante de la forme urbaine, mais s’est d’abord concentrée sur des bâtiments isolés. Peter Behrens, Adolf Loos ou Alexander Klein ont poursuivi dans leurs projets l’idée d’une ville héliomorphique, en développant des typologies de logements pourvus de terrasse. Dans un brevet déposé en 1930, Behrens cherche à combiner un maximum de «surfaces éclairées» avec un minimum d’ombres en surface et projetées, poursuivant le fantasme d’une ville sans ombre. La solution réside dans la forme des bâtiments en pyramides tronquées mais aussi dans «le positionnement des unes par rapport aux autres». Contrairement à la primauté moderne, alors très répandue, qui consiste à privilégier certaines directions cardinales pour l’orientation des bâtiments, la proposition de Behrens est une conception urbaine d’axes décalés qui, fondée sur des considérations héliomorphiques, conduit à un nouveau type d’ordre urbain. Des recompositions similaires sont également présentes dans les recherches de Loos à Vienne. À la même période, Alexander Klein poursuit des recherches d’un même ordre sur l’ombrage réciproque au sein de groupes de bâtiments. Dans une étude du quartier optimal de maisons individuelles, les «constructions d’ombre» systématiques fonctionnent comme des indicateurs de la disposition et de la matérialisation souhaitables des maisons. Dans l’étude The Influence of Climate on the Organic Design of Ground Plan and View, Klein examine l’architecture souhaitable d’un immeuble similaire, à Haïfa, Tel-Aviv, Berlin et Oslo, sur la base des facteurs d’influence climatiques.

Le Thermenpalast

En 1928, l’architecte Hans Poelzig se voit confier un projet dédié au sport, à la culture physique et à la santé. Avec ses 150 m de diamètre, le Thermenpalast réunit une piscine, un gymnase, un restaurant et plusieurs thermes dans des espaces définis sur le plan thermo-atmosphérique. Pour garder l’illusion d’un environnement naturel, la salle devait être à portée libre. D’immenses puits de lumière (40 % de la surface de la halle) devaient créer un «soleil artificiel» et, au sol, des systèmes de chauffage devaient procurer des sensations microclimatiques inédites, imitant les rayons du soleil, de sorte que les baigneurs aient « la sensation d’être sur une plage naturelle chauffée par le soleil par une belle et chaude journée d’été ». Le projet anticipe les immenses paysages des stations thermales et des centres commerciaux que l’on trouve aujourd’hui dans le monde entier. Mais plus que tout autre projet, le Thermenpalast reflète les conditions techniques, politiques et sociologiques préalables au discours sur le climat urbain de l’entre-deux-guerres ; il fait écho à la climatologie urbaine émergente. Contrairement au célèbre dôme de Buckminster Fuller au-dessus de Manhattan, le Thermenpalast avait une dimension explicitement sociopolitique, car il était motivé par des préoccupations démocratiques en fournissant à la classe ouvrière berlinoise un monde thermique à l’inverse des atmosphères changeantes de leur environnement. Le Thermenpalast devait contrecarrer le climat urbain donné par un climat délibérément créé. La climatisation était alors moins considérée comme une affaire privée que comme une partie du dispositif urbain.

La culture milanaise des façades

Les bâtiments de la bourgeoisie milanaise de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre, avec leurs façades, leurs attiques et leurs cours très différenciées, peuvent être réexaminés en termes de qualités microclimatiques. La Casa della Meridiana (Giuseppe De Finetti, 1924-1925) est conçue comme une maison de campagne en ville, avec un jardin déployé sur différentes terrasses. Dans les bâtiments d’Asnago Vender, chaque partie est intégrée au tissu urbain, par des opérations spatiales et constructives spécifiques dont résultent toujours des espaces qui font référence au climat urbain milanais, telle la toiture habitable de l’immeuble de la Via Andrea Verga (1961-1965), qui présente côté rue un attique en terrasses et côté cour un toit en croupe perforé de fenêtres. Cette relation différenciée aux appartements, à l’espace public et au climat urbain caractérise également l’immeuble construit par Luigi Caccia Dominioni à la Piazza Carbonari (1960-1961). Enfin, le Condominio XXI Aprile de la Via Lanzone 4 d’Asnago Vender (1951-1953) se compose de deux volumes : l’un abritant des bureaux, aux façades rectangulaires ; l’autre des appartements, avec des bandes de fenêtres horizontales contenant des jardins d’hiver. Un système de chauffage et de climatisation permet de répondre à des conditions saisonnières contrastées. Ces exemples milanais montrent la diversité des options de refroidissement dans des conditions atmosphériques changeantes et ouvrent de nouvelles perspectives. La façade n’est plus une simple couche de séparation entre un intérieur et un extérieur, mais une zone tampon multicouche et multi-échelle qui sert de médiateur entre les différentes zones thermiques.

West Village à Chengdu

Contrairement aux pays européens, les normes thermiques chinoises ne sont pas systématiquement orientées vers les températures extérieures. La demande de chauffage est évaluée sur la base d’un raisonnement géographique. Suivant un modèle soviétique, le gouvernement a en effet donné la priorité aux régions du nord pour le développement du chauffage urbain. Jusqu’à la libéralisation économique, il était interdit d’équiper les bâtiments résidentiels du sud de la Chine d’un système de chauffage urbain. Cette approche, qui s’éloigne de l’idée moderne d’un universalisme thermique, suivait implicitement une géographie culturelle des peuples et de leur supposée résilience thermique. Aujourd’hui, la modernisation écologique du parc immobilier du sud de la Chine doit d’abord se référer à cette tradition reliant l’intérieur et l’extérieur plutôt que de se concentrer uniquement sur les concepts d’« efficacité énergétique » – et donc implicitement sur l’hypothèse d’un climat intérieur homogène. Le West Village (Liu Jiakun, 2015) est situé à Chengdu, dans le sud non chauffé. Il entremêle délibérément l’intérieur et l’extérieur: le site de 135 000 m2 forme un terrain multicouche composé de cours à différents niveaux, de rampes et d’une enceinte de bâtiment ressemblant à un échafaudage. De petites cours sont destinées à des événements culturels et servent en hiver de salles communes. Des espaces tampons créent des interactions dynamiques entre l’intérieur et l’extérieur et forment également des espaces multifonctionnels qui s’adaptent aux fluctuations saisonnières et diurnes. Ces espaces sont une partie essentielle du patrimoine thermal de la Chine. Ils fournissent, selon la saison, des gains de chaleur solaire ou servent de couches d’isolation. Ils représentent donc une ressource malgré l’absence de chauffage centralisé.

Extrait issu de: Sascha Roesler et Madlen Kobi, « Urban Climate Indoors: Rethinking Heating Infrastructure in China’s Non-Heating Zone », ABE Journal [En ligne], 17/2020

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