La­bo­ra­toire du réem­ploi: De l’hy­po­thèse à la réa­lité

Depuis quelques années, les pratiques de réemploi gagnent du terrain dans le secteur français du bâtiment. Les architectes du collectif Encore Heureux, ont livré en 2019 le projet Grande Halle en Normandie.

Date de publication
09-06-2021

L’extension des pratiques de réemploi est motivée par la demande croissante des politiques publiques, mais aussi par le rôle des modèles, aux avant-postes de la transition écologique. Les architectes « généreux généralistes » du collectif Encore Heureux ont livré en 2019 le projet Grande Halle en Normandie, dans la droite ligne du Pavillon Circulaire en 2015.

Située sur l’un des points les plus élevés de la périphérie de Caen, la Grande Halle est à Colombelles l’un des derniers vestiges du bassin industriel normand dédié à la métallurgie, depuis la fermeture en 1993. Après plus de 25 ans d’abandon, et sur proposition de Normandie Aménagement, le bâtiment laissé en marge d’une urbanisation massive et générique du plateau, fait l’objet d’une reconversion : porte-drapeau d’une modification des pratiques en matière d’aménagement et de modèle économique, à la lisière d’un mitage pavillonnaire menaçant qui s’étend vers la plaine. C’est un choix délibéré et symbolique, celui de dégager les conditions nécessaires à la naissance, en ce lieu déclassé, d’un tiers-lieu à vocation collaborative.

Vitrine de l’économie circulaire

Le premier acte de récupération, à savoir la réhabilitation d’un bâtiment existant plutôt qu’une nouvelle construction, est l’objet même de la commande. Jamais écarté, cet objectif ne constitue pas en lui-même une pratique de réemploi puisqu’il induit une remise en état d’éléments déjà présents sur le site, et dans un usage relativement équivalent – en tant que contenant principalement. Il s’agit d’abord d’un changement de destination. L’enjeu est programmatique : faire endosser à ce bâtiment en friche le rôle de vitrine de l’économie circulaire. À l’imbrication portée par la commande, la maîtrise d’œuvre répond par une seconde mise en abîme. L’ancien atelier électrique sera non seulement réaffecté, mais son détournement portera en lui-même et dans ses éléments secondaires les marques affirmées d’une architecture du réemploi.

Vous pouvez en savoir plus sur l'économie circulaire dans notre e-dossier.

La proposition, menée de front par les architectes – initiés et initiateurs – et leurs bureaux d’études compétents, est appuyée par une maîtrise d’ouvrage décidée à soutenir le caractère expérimental du projet. Deux principales innovations en la matière définissent un cadre opérationnel capable de réunir l’ensemble des parties. En premier lieu, l’introduction d’un lot dédié dans la contractualisation du marché marque un engagement financier du commanditaire, soutenu ici à hauteur de 100 000 €. Environ 1,7 % du coût total des travaux est attribué par son biais à un partenaire compétent chargé de l’accompagnement des entreprises dans leurs pratiques du réemploi. Coordonné par le gestionnaire du lieu (le Wip), sa dénomination emblématique en tant que « lot 01 » le positionne au centre du projet, à l’intersection de tous les corps de métier, chaque poste étant potentiellement concerné par l’alternative au matériau neuf. L’ouverture au réemploi trouve ensuite une faisabilité pratique dans l’utilisation d’un cahier des clauses techniques et particulières à variantes. À chaque prestation proposée en réemploi, l’équivalent neuf est soumis à comparaison.

Restaurer les compétences

L’appréciation des gains offerts par chacune des variantes oblige à décentrer les cibles courantes du rapport qualité/prix, au profit d’une approche transversale entre coût, durabilité, empreinte environnementale et impact socio-économique. La récupération d’anciens radiateurs en fonte de services administratifs voisins est plus onéreuse qu’un achat d’équipement standard, mais plus écologique sur le plan de la distance, de l’extraction des métaux et de la durée de vie inégalable du matériel. L’utilisation de portes palières ou d’éléments de charpente issus de logements ouvriers n’est là encore pas avantageuse sur le plan financier, mais porteuse de sens sur le plan de la mémoire collective, économe en plantation, en transport, et vertueuse dans l’emploi de main d’œuvre locale compétente. Sur le chantier, les menuisiers déclarent renouer avec leur compétence artisanale, de plus en plus réduite à un travail de pose.

Déconstruire des idées reçues

Pour Valentin Blanlot de Wip et Morgan Moinet de Remix – Encore Heureux, le ré­emploi implique autant de déconstruire des bâtiments que des idées reçues. En tant que projet laboratoire, le projet de la Grande Halle a permis de banaliser une grande partie des démarches nécessaires à la pratique du réemploi avec l’ensemble des partenaires : des modalités de discussions avec la maîtrise d’ouvrage au processus de validation des assurances en amont de la dépose, une fois le diagnostic réemploi réalisé. La localisation des « gisements » – les lieux voués à démolition présentant des opportunités de récupération – est une étape clef nécessitant une coopération interprofessionnelle et un travail permanent de prospective, plus délicat dans les régions à faible rotation de démolitions et chantiers. À contrario, les situations de forte densité en roulement et cadence de chantiers permettent de faire l’économie d’une logistique du stockage, au bénéfice d’une dé­construction et construction simultanée facilitée entre des sites jumelés.

La Grande Halle se positionne en laboratoire du réemploi, portant l’hypothèse d’une généralisation à travers la région, et dans une dimension non seulement technique, mais aussi militante. Son projet s’inscrit dans une vocation plus large à l’économie circulaire : du faire avec ce qu’on a sur place, avec les ressources et matériaux voisins à revaloriser, mais aussi avec les compétences locales à prolonger. De manière hautement symbolique à Colombelles, le réemploi entretient l’espoir de pouvoir réimplanter un réseau de la construction dans le territoire auquel il est lié, en relais des bassins industriels du siècle précédent, et de leur capacité d’interdépendance sociale, économique et productive à l’intérieur d’un territoire donné.

Participants au projet

 

Maître d’ouvrage : SEM Normandie Aménagement, + EPFN Colombelles

 

Architecture : Encore Heureux, Paris

 

Statique : Ligne BE + T&E Ingénierie, Carquefou

 

 

Facts & Figures

 

Terrain : 25 927 m2

 

Surface restaurée : env. 3700 m2

 

Grande nef : 1100 m2

 

Salles de conférences : 16-115 m2

 

Offices : 500 m2

 

Coûts du bâtiment : 5.8 Mio Euro

Commandés par l'Office fédéral de l'environnement, les numéros spéciaux suivants sur l'économie circulaire ont été publiés par Espazium - Les éditions pour la culture du bâti :

 

No. 1/2021 «Architecture circulaire : Bâtiments, concepts et stratégies d’avenir»

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