La mo­bi­lité par l’im­mo­bi­lité

Le nouveau cahier technique SIA 2060 Infrastructure pour les véhicules électriques dans les bâtiments est enfin disponible. Entretien avec Jules Pikali, à la tête du groupe de travail SIA 2060, qui nous en apprend davantage sur la raison d’être de ce texte et nous explique pourquoi les automobiles portent souvent mal leur nom…

Date de publication
22-06-2020

SIA: Une question qui fâche pour commencer: pourquoi aura-t-il fallu attendre si longtemps avant d’élaborer un cahier technique consacré à ce sujet?

Jules Pikali: Ce texte était très attendu des professionnels de la construction – je dirais donc que cette perception est proportionnelle à l’impatience qui a précédé cette publication. D’ailleurs, si l’on en compare la durée d’élaboration avec celle d’autres normes et cahiers techniques, il apparaît que la commission a été efficace.

D’autres organisations, Swiss eMobility en tête, ont déjà publié une série de fiches techniques. En quoi le cahier technique SIA 2060 s’en distingue-t-il?

La mission de la SIA ne consiste pas à documenter le sujet de l’électromobilité, mais à définir les bonnes pratiques architecturales pour la conception d’installations relatives à cette thématique. Le cahier technique constitue donc l’étape préliminaire à la norme, qui fixe les règles applicables ainsi que le statu quo technique en matière de construction. Il s’agit donc de bases solides sur lesquelles tout architecte ou ingénieur doit pouvoir se fonder. À ce titre, celles-ci doivent permettre d’informer de manière compétente le maître d’ouvrage sur l’intégration de ces installations dans les bâtiments.

Ce nouveau cahier technique est donc explicitement destiné aux concepteurs?

Sa raison d’être est de fournir une base de compréhension commune. Le cahier technique offre des repères communicationnels auxquels peuvent se référer maîtres d’ouvrage, concepteurs et entrepreneurs dans leurs échanges. Les pouvoirs publics peuvent en outre l’utiliser pour définir les exigences conditionnant l’octroi de permis de construire.

À qui conseilleriez-vous d’étudier ce cahier technique de manière approfondie?

Je conseille fortement à tous les maîtres d’ouvrage, développeurs de projets, architectes ou planificateurs électriciens travaillant sur une nouvelle construction ou une transformation qui prévoit l’installation de plus de deux ou trois bornes de recharge au niveau des stationnements, de l’étudier. Ne pas se tenir aux recommandations, c’est courir le risque de réaliser un projet qui, par la suite, pourrait ne pas s’avérer viable. Ceci ne concerne pas uniquement le résidentiel, mais aussi les bureaux ou constructions commerciales. Prenons un exemple: le locataire d’un garage en sous-sol comptant 20 places souhaite y garer son véhicule électrique et voir installer une borne de recharge. La capacité de réserve électrique pourrait éventuellement permettre la mise à disposition d’une seconde borne. Au-delà, une gestion de la puissance devient, toutefois, nécessaire. Pour cette raison, il y a tout intérêt à adopter une perspective d’ensemble dès le départ.

Ce problème concerne plutôt les maisons multifamiliales, plus anciennes que les constructions neuves. Pensez-vous que ce cahier technique y remédiera?

La publication SIA 2060 est un cahier technique, pas une norme. Les prescriptions qui y sont contenues sont donc des recommandations. Nous connaissons actuellement une évolution vers l’électrique; intégrer des bornes de recharge dès la conception tombe donc sous le sens – même si cela ne semble pas être le cas pour nombre de nouvelles constructions. Lorsqu’on parle de bâtiments existants, la situation est différente: le raccordement est déjà fait, la question qui se pose est donc de savoir combien de véhicules peuvent être garés et rechargés. Dans certains cas, on constate que les capacités sont insuffisantes, et que l’alimentation électrique doit être augmentée. Le cahier technique fournit les bases de calcul nécessaires à cet effet.

Les investissements dans l’infrastructure des bâtiments sont pensés sur le long terme avec, pour principe directeur, la durabilité.

Qui doit payer l’ardoise lorsqu’un bâtiment existant doit être équipé?

Les frais sont à la charge de l’utilisateur. Locataire et bailleur peuvent ensuite s’entendre sur les modalités de paiement.

Comme pour les lave-linges en libre-service... Mais à qui appartient-il de supporter les coûts initiaux d’installation de l’infrastructure?

Il incombe au propriétaire du bâtiment de les financer. Mais en ce que la possibilité de recharger des véhicules électriques constitue une valeur ajoutée dont bénéficient les locataires, rien ne l’empêche ensuite de compenser cet investissement par le biais du loyer. Alors que l’électromobilité tend à s’imposer, les bornes de recharge deviendront un critère prépondérant dans le choix des locations. Le bailleur peut également opter pour le contracting – de manière similaire à ce qui se fait pour les installations de chauffage.

Pouvez-vous préciser de quoi il s’agit?

Avec cette formule, c’est le tiers exploitant qui investit dans le renouvellement ou l’installation des infrastructures et en amortit indirectement les coûts. En ce que les conducteurs de véhicules électriques contribuent à la réduction des émissions de CO2, il ne serait pas inenvisageable que les pouvoirs publics subventionnent les bornes de recharge. En effet, comme c’est le cas pour les taxes incitatives sur les combustibles fossiles, la pression fiscale peut également être mise à profit pour réduire la pollution au CO2 occasionnée par la consommation de carburants: une partie des taxes prélevées pourrait donc être investie sous forme de subventions. Mais il faut voir qu’en tant que commission spécialisée, nous ne pouvons peser sur de telles décisions politiques.

Souvent, les bornes de recharge ne sont installées qu’en réponse à une demande. Toutefois, si les consommateurs hésitent à opter pour l’électrique faute d’infrastructures, c’est le serpent qui se mord la queue…

C’est pourquoi il est important que tous les acteurs s’engagent à leur niveau. L’Office fédéral de l’énergie a donc élaboré, en 2018, une feuille de route pour la mobilité électrique. Des représentants des secteurs de l’électricité, de l’immobilier, de l’automobile et des exploitants de flottes de véhicules ainsi que des représentants de la Confédération, des cantons, des villes et des communes s’y engagent à contribuer à ce que, d’ici 2022, les véhicules électriques se taillent une part de 15% des nouvelles immatriculations. La SIA également s’est ralliée à cet objectif et œuvre à sa concrétisation par ce cahier technique.

En asseyant les pratiques de conception dans le domaine des infrastructures dédiées à l’électromobilité...

Par rapport aux véhicules consommant des énergies fossiles, les véhicules électriques pêchent par la lenteur du chargement ; en revanche, ce mode d’alimentation présente l’avantage de ne nécessiter qu’un raccordement électrique. S’il est certes pratique de pouvoir recharger son véhicule au bureau, à la maison ou dans son garage sans devoir se rendre dans une station-service, il faut voir que cela implique que ces automobiles soient suffisamment à l’arrêt – temps de chargement oblige. Paradoxalement, ce qui leur permet donc d’être mobiles, c’est de ne pas l’être pendant assez longtemps! Ainsi, la plupart des conducteurs ont pour réflexe de recharger leur véhicule dès qu’ils le garent, indépendamment du niveau de batterie. La distance journalière étant en moyenne nettement inférieure à 50 kilomètres, ils n’attendent pas pour faire le plein. C’est pourquoi il est important qu’ils disposent d’un réseau d’infrastructures dense. Toutefois, à long terme, l’électromobilité individuelle ne pourra couvrir tous les besoins en mobilité.

Pour quelles raisons?

Outre celui de la consommation énergétique, les transports individuels motorisés posent le problème de la place, surtout dans les villes. Pour résoudre l’équation et assurer une mobilité durable, celles-ci devront miser sur les transports en commun, la mobilité douce et réduire les besoins en mobilité de leurs habitants.

Cela rejoint vos déclarations dans un article publié sur le site de la SIA: que ce soit d’un point de vue économique ou écologique, les formes de mobilité douce et collective doivent être priorisées.

Tout à fait. En tant qu’ingénieurs et architectes, nous nous devons d’adopter une perspective globale.

 

Cahier technique SIA 2060: formations SIA

 

Vous souhaitez en savoir davantage sur le nouveau cahier technique SIA 2060 Infrastructure pour les véhicules électriques dans les bâtiments? Sachez que SIA-Form organise deux formations en français les 3 juillet (sous forme de webinaire) et 4 septembre 2020 (format à déterminer), de 14 h à 17 h. Milton Barella, votre formateur, vous présentera les principaux contenus de ce nouveau cahier technique: que vous soyez architecte, maître de l’ouvrage ou planificateur électricien, vous apprendrez ainsi les bases de l’électromobilité, de la technique de chargement ainsi que des méthodes de calcul de la performance requise et des besoins en énergie. Détails relatifs au webinaire et inscription sous : www.sia.ch/form/EMO03-20F.

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