La li­brai­rie Ar­chi­gra­phy tourne sa der­nière page

Installée depuis 1985 dans le bâtiment des Halles de l’Île, l’unique librairie d’art et d’architecture de Suisse Romande cessera son activité courant août

Date de publication
20-07-2017
Revision
14-10-2019

Après plus de trois décennies au service des amateurs et des professionnels de l’architecture et des arts visuels, la librairie Archigraphy ne peut plus faire face à la situation économique accumulée ces dernières années et devra fermer ses portes avant la fin de l’été. Prise de court par les nouvelles technologies et habitudes digitales et entourée peu à peu d’activités financières plus rentables, ce lieu culte pour les amoureux du livre se voit forcé de mettre un terme à son action de divulgation culturelle et artistique.
Créée en 1985 puis reprise en 1989 par son gérant actuel, David Rossi, la librairie devint au fil du temps la référence des passionnés d'architecture et de graphisme. Des disciplines représentatives selon David Rossi de «l’excellence suisse». Depuis, cet espace installé dans l’ancien abattoir municipal de Genève1 n’a cessé de tisser des liens de confiance avec tous les spécialistes et curieux de l’art de bâtir. Lieu de représentation, d’expositions et souvent de rencontres fortuites, cet atoll entouré par les eaux du Rhône est devenu jour après jour une oasis culturelle au cœur des grandes enseignes, des multinationales et du tourisme d’achat.
Soutenue jusqu’ici par un travail constant mais individuel, la librairie ne peut plus honorer ses engagements et le bilan a été déposé au tribunal de commerce pour clore précipitamment son activité. L’investissement nécessaire au bouclement des redevances et à la survie de cet espace, estimé à 80'000 CHF, n’est pourtant pas insurmontable. La société n’a pas réussi à trouver tout au long de ces dernières mois un soutien public ou privé intéressé par le maintien de sa structure et de sa fonction de catalyseur social.

Genève: une ville orientée2… vers la musique et le théâtre.
L’orientation culturelle genevoise de ces derniers temps laisse entrevoir une inclination des autorités publiques et locales pour la musique et le théâtre. Investisseurs publics et privés sont majoritairement engagés dans le financement de ces deux arts. Les projets développés et accumulés ces dernières années en attestent: l’extension du conservatoire de musique en cours, la rénovation de l’Alhambra, la future cité de la musique et sa philharmonie, la construction du théâtre de la Nouvelle Comédie, le pavillon de la danse, l’Opéra éphémère des Nations, …tous porteurs de budgets bien plus conséquents3.
L’architecture ou le graphisme sont des domaines qui touchent un public certes moins large et varié. Mais dans une ville qui exhibe en permanence son ouverture multiculturelle, un équilibre des installations et des institutions culturelles au service des diverses collectivités sociales et artistiques serait vraisemblablement souhaitable.
Reste à voir si les associations professionnelles, les écoles ou l’association d’architecture créée tout récemment sous les voiles du Pavillon Sicli4 reçoivent un soutien suffisant et à la hauteur de leurs engagements. Une tutelle pourrait par exemple permettre à l’une de ces entités d’optimiser l’organisation de la librairie et de reprendre cet emplacement stratégique pour en faire un véritable point d’ancrage pour tous les passionnés et les corps de métier liés à l’art de bâtir et dessiner

…une opportunité pour inverser la tendance?
La dimension artistique et culturelle d’une ville se mesure souvent à la qualité de son offre académique et de sa diversité pédagogique. Ainsi, la fermeture de l’institut d’architecture de Genève5 en 2009 – centre de référence pendant une bonne partie du 20ème siècle – a progressivement réduit la diffusion de l’architecture comme discipline critique d’intérêt collectif.
Si entretemps nombreuses ont été les activités et les événements créés pour satisfaire principalement la demande des professionnels (cycle de conférences de la MA6 depuis 2007, quinzaine de l’urbanisme depuis 2014, visites SIA, journées du patrimoine, dialogues & cycles de cinéma, etc.), la disparition d’un établissement indépendant comme Archigraphy est un signe de transformation significatif quant aux inquiétudes culturelles genevoises. Surtout si l’on s’en tient aux échos sur l'une des activités qui pourrait venir remplacer la librairie malgré le souhait de son régisseur: un marché bio. Par chance, le plan d'utilisation du sol (PUS) – qui prévoit pour cette arcade une activité ouverte au public – ne le permettrait pas.
C’est pourquoi au-delà des coutumes et de l’activité purement commerciale que représente la vente de livres au public, ce qui est en jeu avec la fermeture de cet établissement est la pérennité d’un bastion culturel au cœur d’une ville à vocation multiforme. Par son histoire et son emplacement emblématique, ce ne sont pas l’architecture et le graphisme qui souffriront le plus de cette éclipse, mais tout simplement la culture de la pensée et de la critique comme support de transmission des savoirs.

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