In­ves­tir au­tre­ment, le cas de la fon­da­tion Aben­drot

Entretien avec Christian Geser

Fondée en 1984 à Bâle, la fondation Abendrot est l’une des principales caisses de pension de Suisse. L’immobilier résidentiel représente une part significative de ses investissements1. Avec Christian Geser, architecte et responsable de la division immobilière de la fondation, nous discutons des stratégies et des ­principes d’investissement immobilier : basés sur la création de logements abordables, avec les futurs habitants, ils privilégient la transformation de bâtiments existants et sont axés sur la création de valeur à long terme, tant du point de vue économique qu’architectural et, surtout, social.

Date de publication
24-03-2021

Isabel Concheiro : Quel est le rôle des fondations, et en particulier des caisses de pension, dans le marché immobilier suisse ?
Christian Geser : Il faut tout d’abord préciser qu’il existe plusieurs types de fondations. Les « fondations à but non lucratif », comme la fondation Habitat ou la fondation Edith Maryon dans la région bâloise, qui ont pour but la promotion de logements abordables à long terme ou de logements adaptés à des besoins spécifiques qui ne sont pas couverts par le marché (musiciens, familles nombreuses, etc.). Les fondations collectives de droit privé2, de caisses de pension – par exemple Abendrot –, et les fondations de placement de fonds collectifs, surtout des investisseurs institutionnels, qui, au contraire, ont un besoin d’investissement de capital énorme et croissant. Les caisses de pension en particulier se caractérisent par leurs stratégies d’investissement à très long terme, ce qui explique que beaucoup d’entre elles investissent dans l’immobilier en cherchant la qualité et en agissant selon des critères de durabilité. Depuis les années 1990, le nombre de caisses de pension est en diminution en faveur de regroupements et de fusions en caisses de plus grande échelle3. Dans notre cas, Abendrot réunit environ 1200 entreprises qui n’ont plus leur caisse propre.

La fondation Abendrot a comme objectif de « développer des espaces de vie et de travail de qualité à des prix équitables, en coopération avec les utilisateurs ». Quels sont ses principaux critères d’investissement immobilier ?
Nous effectuons des investissements immobiliers directs uniquement en Suisse, en règle générale dans les centres urbains et leurs agglomérations, dans des régions que nous connaissons et où nous avons nos réseaux. Ceci garantit de garder le contrôle des immeubles et de leur développement, et d’établir un contact direct avec les locataires et utilisateurs pendant la phase d’utilisation et d’exploitation. La majorité de nos investissements, environ 90 %, correspond à des immeubles en propriété exclusive de la fondation ou des immeubles en copropriété qui sont mis en location. Ils sont gérés soit par la fondation (80 %), soit par une autre société, par exemple une coopérative (10 %). La fondation en tant que propriétaire peut aussi octroyer un droit de superficie4 à une société responsable de l’investissement et, dans certains cas, quand il y a une volonté de collaboration à long terme (pouvoirs publics ou d’autres fondations), elle peut construire des bâtiments en droit de superficie.

Deux types d’opérations immobilières nous intéressent particulièrement. D’abord, le développement de projets destinés au logement et au travail sur une base coopérative et dans l’intérêt des utilisateurs, avec des partenaires et des groupes d’utilisateurs locaux engagés, ou avec des institutions qui garantissent l’ancrage solide du projet et favorisent l’identification des habitants. Ensuite, la transformation progressive et durable de friches industrielles, de bâtiments commerciaux et de propriétés à usage mixte dont l’utilisation d’origine est devenue obsolète ; nous proposons des concepts d’exploitation spécifiques qui favorisent les structures de voisinage, les synergies et l’utilisation mesurée des ressources. Ces projets sont développés à notre initiative et/ou en coopération avec d’autres partenaires et groupes d’utilisateurs locaux.

Quelles ont été les principales évolutions dans la stratégie d’investissement immobilier de la fondation depuis sa création ? Dans quelle mesure sont-elles liées aux évolutions globales du marché immobilier ?
Les premiers investissements de la fondation, dans les années 1990, étaient des immeubles locatifs à Bâle. Ils étaient considérés comme des investissements plus sûrs, comparés à des titres et des obligations. Dès le départ, il était important pour la fondation de garder le contrôle sur ses investissements immobiliers et de garantir aux assurés une transparence maximale, ainsi qu’un contact direct avec les habitants-locataires.

Le portefeuille immobilier a continué à se développer au fur et à mesure de l’agrandissement de la fondation. À partir des années 2000, elle a commencé à faire des acquisitions en dehors de la région de Bâle, notamment à cause du risque de tremblements de terre, Bâle étant située dans la zone à risque sismique du fossé rhénan. Cette situation augmentait les coûts de construction par rapport à d’autres régions, à une époque où il n’y avait pas encore d’assurances contre les dommages dus aux tremblements de terre. Actuellement, les investissements à Bâle représentent un quart de notre portefeuille, le reste se situant essentiellement dans le canton de Zurich, et surtout à Winterthour.

À partir des années 2010, en lien avec la hausse exponentielle des prix du marché immobilier, et donc la difficulté croissante d’acheter des immeubles existants, Abendrot a commencé à développer et à construire elle-même presque tous ses projets immobiliers, ce qui lui a permis de concevoir de nouveaux projets complétement en phase avec ses valeurs, autrement dit de faire de nécessité vertu !

Ce qui est intéressant pour nous ce sont les villes situées dans les cantons intermédiaires, par exemple Bienne ou Fribourg, où la pression immobilière est moins forte. Dans les centres des grandes villes comme Zurich, Bâle ou Berne, on ne pourrait jamais acquérir un terrain ou un immeuble, parce que les rendements y sont tellement bas et la pression immobilière tellement haute qu’ils obligent à développer des projets haut de gamme avec des loyers très élevés, qui ne correspondent pas aux critères d’investissement de la fondation.

Dans ce contexte, comment parvenez-vous à acquérir des propriétés pour développer vos projets ?
Il y a deux situations qui nous donnent un avantage. D’abord, l’achat direct auprès d’un propriétaire privé. Quand les propriétaires recherchent seulement une plus-value financière dans la vente de leur bien, nous n’avons pratiquement aucune chance parce que, pour négocier le prix, il faudrait renoncer à certains de nos principes. Lorsque nous avons participé à ce type de procédures, nos offres étaient entre 10 % et 20 % plus basses que celles de nos concurrents.

En revanche, dans le cas, par exemple, d’une usine qui a fermé et appartient encore à une famille attachée à un site et à son identité, nous pouvons plus facilement entrer en dialogue et générer une relation de confiance. Notre expérience montre qu’un propriétaire peut renoncer à certains revenus en vue d’un autre modèle d’investissement. L’autre situation avantageuse se forme dans des contextes complexes et contraignants, lorsqu’il faut conserver certains bâtiments, intégrer certaines fonctions ou une grande diversité de locataires en place, situation qui peut freiner d’autres types d’investisseurs.

Comment concilier rentabilité et architecture de qualité à des prix équitables ?
En développant nous-mêmes nos projets, souvent en coopération directe avec les futurs locataires et les utilisateurs. Cela exige de l’engagement, de la discipline et de la patience. Grâce à des mandats d’études d’architecture qui permettent d’aboutir à des solutions spatiales intéressantes et efficaces à la fois, nous réussissons à créer quelques marges de manœuvre. Nous parvenons ainsi à concilier des concepts d’exploitation sensés et durables, des loyers abordables, des espaces urbains et de l’architecture de qualité avec une rentabilité suffisante par rapport aux impératifs de rentabilité d’une caisse de pension « conforme au marché ».

Est-ce que ces exigences de rentabilité ont évolué avec la financiarisation du secteur de l’immobilier ?
Les caisses de pension n’ont plus le droit d’estimer elles-mêmes la valeur de leurs biens immobiliers. La loi les oblige à mandater des experts immobiliers afin de définir la valeur de leurs biens conformément au marché. Il y a 20 ans, ceci n’existait pas encore. Auparavant, on achetait un bâtiment, on investissait dans sa rénovation, et l’addition des deux donnait la valeur de l’investissement, qui n’était pas liée aux fluctuations du marché.

L’objectif de ces mécanismes, qui viennent des réglementations du monde de la finance, est la sécurité. C’est une forme de contrôle de la valeur d’un bien. Dans ce sens, ce mécanisme est positif. Mais en même temps, il implique que la valeur des immeubles des caisses de pension n’est pas fixe et fluctue avec les variations du marché et celles des taux d’intérêt. Chaque année, les intérêts baissent, ce qui veut dire que la valeur des immeubles monte indépendamment de nous, mais ça peut aussi basculer dans l’autre sens. C’est un mécanisme de sécurité, qui génère une nouvelle forme d’instabilité.

Vous revendiquez la création de logements et de quartiers « de haute qualité, favorables au voisinage, innovants et durables ». Une partie importante de vos projets concerne la transformation ou la reconversion des sites industriels et commerciaux existants. Comment les abordez-vous ?
Nous sommes convaincus que les structures bâties existantes, si on les préserve et les transforme, disposent toujours de potentiels importants à plusieurs niveaux. Si nous trouvons l’utilisateur adéquat pour une structure existante inexploitée, nous pouvons la transformer avec une intervention réduite, peu de moyens, ce qui se traduit par une réduction de l’énergie grise et des émissions de CO2, un critère de plus en plus important parmi les objectifs de développement durable du parc immobilier. Nous pouvons maintenir des loyers abordables ainsi que le caractère et l’identité du lieu. Ce qui n’est évidemment pas possible avec cette stratégie – et ce qui explique pourquoi de nombreux investisseurs empruntent d’autres voies –, c’est la maximalisation du retour sur investissement et des loyers.

Face à un projet de transformation, nous essayons de valoriser et de réutiliser l’existant dans la mesure du possible. Nous développons d’abord la vision stratégique et le concept d’exploitation pour définir un plan partiel d’affectation basé sur une densification, avec de nouveaux bâtiments qui forment un ensemble architectural et social cohérent avec l’existant. Cette phase est suivie de mandats d’étude parallèles, auxquels nous invitons cinq ou six bureaux dont le profil nous paraît adéquat à la spécificité du projet. La procédure est organisée en deux tours, avec une présentation intermédiaire, ceci afin d’établir un dialogue et d’obtenir des solutions spatiales, typologiques et architecturales innovatrices et de qualité.

Quel est votre projet le plus significatif en matière de transformation d’anciens sites industriels ?
Lagerplatz à Winterthour (ZH) est notre projet le plus important. Il vise à long terme à créer un quartier participatif, durable et diversifié. À l’origine, le site industriel était en vente avec un plan de quartier faisant table rase. L’association des utilisateurs-locataires (Verein Lagerplatz) a contacté Abendrot dans l’espoir de motiver l’achat du site pour mettre en œuvre un projet alternatif au plan de quartier, avec un développement organique à long terme fondé sur le bâti et les utilisateurs existants. Le projet maintient un bon équilibre entre des programmes existants et nouveaux d’échelles différentes (des hautes écoles à des ateliers d’artisans) qui s’identifient avec le caractère du site. Il propose des constructions innovantes en relation avec l’existant comme le projet de rénovation et de densification Kopfbau 1185, qui en ce moment est en train d’être réalisé avec une majorité d’éléments de construction réutilisés.

La transformation d’anciens sites industriels qui a caractérisé une partie importante de l’activité immobilière en Suisse des dernières années va probablement diminuer. Quelles sont des nouvelles opportunités pour des projets de transformation ?
Il y a de moins en moins de sites industriels à développer en Suisse. Il en reste encore, mais à des endroits vraiment difficiles, trop décentrés. Il y aura toujours des structures bâties qui perdront leur fonction, même si ce ne sont pas toujours de beaux bâtiments du 19e siècle, comme celui de l’ancienne filature Flumserei à Flums (SG) que nous allons reconvertir en espace de vie et de travail. Les bâtiments de bureaux qui ne sont plus aux normes ou mal situés (ou les deux !) représentent les nouveaux types d’investissement des années à venir. C’est le cas d’un de nos projets en cours pour la transformation d’un immeuble de bureaux construit en 1988 et hors d’utilisation depuis plusieurs années à Zollikofen (BE) en logements et espaces de travail.

Voyez-vous des opportunités d’investissement dans la transformation du parc de logements issu du boom immobilier des années 1960, lui aussi hors standard au niveau énergétique ?
Dans les cas où ces types d’immeubles sont en vente, généralement avec des locataires, certains investisseurs qui cherchent à placer leur argent dans une perspective de retour sur investissement immédiat peuvent les acheter à des prix très élevés. Mais pour nous, ce n’est pas une option. Notre stratégie est plutôt de transformer des bâtiments vides qui n’intéressent pas ce type d’investisseurs car ils ne donneront pas de rendement avant cinq à dix ans.

Vous accordez une place très importante au rôle des habitants dans les quartiers que vous développez. Quelles sont les actions concrètes pour encourager la vie de quartier et l’implication des habitants ?
Ce sont les habitants ainsi que les locataires des surfaces artisanales et commerciales qui font vivre les bâtiments et les quartiers. Nous développons de préférence nos projets en coopération avec les utilisateurs-locataires et d’autres partenaires locaux déjà présents. C’est ce que nous avons fait dans deux projets – Teiggi, Kriens (coopérative Wohnwerk Luzern) et Bau 141, Lagerplatz, Winterthour (coopérative Zusammen-h-alt) – grâce à des collaborations très positives avec des coopératives d’habitants locales partenaires du projet, souvent de nouvelles coopératives qui n’ont pas encore les moyens de se financer et de construire.

Dans les projets qui ne disposent pas de partenaires préalables, nous mettons en place des structures d’organisation et de participation pour les futurs utilisateurs. Elles leur permettent de gérer et de faire évoluer eux-mêmes les logements et, en s’identifiant avec leur environnement bâti et social, de faire germer une certaine vie communautaire, non anonyme. Le projet d’Erlenmatt Ost est le premier que nous avons développé sans partenaires, en établissant une structure de vie communautaire au moyen d’une association d’habitants qui gère les espaces communs. C’est cette forme que nous essayons d’établir également dans d’autres projets en cours.

Comment l’architecture peut-elle contribuer à encourager l’interaction entre les habitants et la vie de quartier ?
L’architecture a un rôle important, celui de soutenir la vie sociale avec une organisation inspirante des espaces publics et semi-publics, créant une identité et une atmosphère favorables. Mais l’architecture, seule, reste impuissante si le développement urbain n’établit pas un cadre propice, si les concepts d’exploitation ne prévoient ni zones de transition et d’échange ni mixité typologique et innovante, et si les maîtres d’ouvrage et les propriétaires ne favorisent pas activement l’engagement et l’identification des habitants avec leur environnement bâti.

Quelles sont les principales stratégies de la fondation concernant les aspects de durabilité ?
À notre avis, et selon notre expérience, la durabilité est plus complexe que la traditionnelle association des trois piliers : environnement – social – économie. Par exemple, un loyer abordable relève de la dimension sociale ; mais, en même temps, il est une garantie de stabilité et de durabilité économiques. Pour cette raison, nous essayons de définir nous-mêmes les aspects de la durabilité qui sont importants dans notre travail, ainsi que leurs rapports et interdépendances. Le champ qui nous intéresse le plus aujourd’hui est celui de la durabilité sociale.

Nous considérons que l’actuelle législation de la construction, très poussée, permet de répondre en grande partie aux aspects écologiques. Évidemment, on peut toujours aller plus loin (construire en bois, établir des concepts énergétiques autonomes, etc.), ce que nous tentons de faire dans la mesure du possible. Mais souvent ce type d’engagement entre en conflit avec des aspects sociaux, comme les loyers abordables. D’autre part, la durabilité économique d’une caisse de pension est fortement prédéfinie par son besoin de rendement à long terme et sa stabilité dépend largement de plusieurs aspects d’ordre social. C’est pour tout cela que notre engagement porte prioritairement sur des programmes mixtes qui favorisent la vie de quartier et l’identification des utilisateurs avec leur environnement et, dans la mesure du possible, aussi sur des loyers abordables.

Les prix des loyers de vos projets diffèrent-ils sensiblement de ceux du marché ? Quels sont les mécanismes mis en place pour garantir des loyers équitables à long terme ?
Il y a différents facteurs et stratégies qui influencent les prix des logements. Le facteur le plus important est clairement le foncier. Dans le cas d’Erlenmatt Ost, nous sommes vraiment moins chers que le prix du marché parce que le propriétaire du terrain, la fondation Habitat6, ne spécule pas sur le foncier. Cette situation permet d’obtenir un terrain en droit de superficie à un prix modéré, et donc de proposer des loyers qui le sont aussi. Dans d’autres cas, comme le projet de Lagerplatz (coopérative Zusammen_h_alt), les loyers sont conformes au marché, mais, en plus de leurs logements, les habitants profitent de vastes espaces communs compris dans le loyer : grande salle et cuisine collective, bibliothèque, atelier, etc. Dans le projet de Bucherareal à Burgdorf (BE), nous proposons de nouvelles typologies d’appartements-ateliers (« Wohnatelier ») très compactes, atteignant des loyers de 5 à 10 % en dessous du marché.

Des interventions minimales dans des bâtiments commerciaux et artisanaux existants permettent également de proposer des loyers abordables et une grande flexibilité d’utilisation dans des espaces généreux en surface et volume. Ce mode nous garantit des locations stables, qui risquent moins d’être touchées par une crise future. Dans le cas des coopératives, les loyers correspondent aux coûts de construction effectifs et le montant est fixé à long terme dans le contrat de location. En tant que caisse de pension, nous ne pouvons pas bloquer les prix des loyers dans le contrat, mais nous pouvons décider que cette augmentation s’effectuera de manière modérée et sur la durée.

Comme vous l’avez dit, une des principales conditions pour créer des logements équitables est la disponibilité du foncier, une ressource limitée, fortement soumise aux pressions du marché immobilier. Comment assurer sa disponibilité ?
Cette disponibilité est de plus en plus limitée du fait de la hausse de la demande immobilière. La mise à disposition de terrains pour la construction de logements équitables devient donc davantage une question politique ou un défi pour la créativité et la recherche de nouveaux modèles de développement. En Suisse, cette question est traitée au niveau de la politique communale. Il y a des différences importantes entre des communes qui ne font rien et d’autres qui ont des objectifs clairs, non seulement au niveau de la densification, mais également du développement social. Le cas le plus représentatif est celui de Zurich, où les coopératives exercent depuis longtemps un certain poids et où différentes fondations appartenant à la Ville sont orientées vers la construction de logements abordables.

Aujourd’hui, la plupart des communes développent leurs terrains en droit de superficie, le principal intérêt étant qu’elles restent propriétaires à long terme. Le prix ne devrait donc pas être un critère déterminant lors de l’adjudication d’un projet. Là où il y a une contradiction, selon moi, c’est lorsque les communes accordent des droits de superficie au plus offrant et sans établir de principes de développement durable d’intérêt général. Une procédure à mon avis exemplaire est celle qui a été menée à Birsfelden (Entwicklung Zentrum Birsfelden), près de Bâle : la commune a défini des principes de développement de qualité et d’équité dans le but de densifier son centre. Elle a mené des études très approfondies puis fragmenté le terrain afin de ne pas avoir un seul grand investisseur.

Enfin, elle a recherché des projets qui répondaient aux besoins communaux à travers des concours garantissant la qualité architecturale. C’est une stratégie très intéressante à tous les niveaux – urbanisme, architecture, affectation, coopération, diversité –, qui va au-delà des pratiques d’autres villes, comme celles pratiquées souvent à Bâle, qui font des concours, avec des bâtiments de haute qualité architecturale et environnementale, mais donnent les droits de superficie à l’investisseur qui paie le plus. Les communes perdent alors leur influence sur le type de ville qu’elles veulent créer, le prix des appartements ou le rôle des habitants.

Votre stratégie d’investissement peut-elle avoir un impact sur le marché immobilier suisse ?
Il serait présomptueux de prétendre avoir un impact directement sensible sur le marché immobilier. Mais, en tout cas, nous étendons la variété des offres, des lieux, des typologies, des environnements et nous créons des « niches » dans le marché immobilier actuel. Notre espoir est que ces niches permettent de développer, d’un côté, un intérêt de la part des utilisateurs qui cherchent ce genre d’environnement et, de l’autre, une attention et une réflexion de l’opinion publique sur le fait qu’il est possible et intéressant de construire « autrement ».

Isabel Concheiro est architecte et éditrice de TRANSFER Global Architecture Platform. Elle est chargée de cours et coordinatrice du Joint Master à la HEIA Fribourg.

1 La Fondation Abendrot a comme objectif d’avoir une part minimale de 50 % de logements dans son portefeuille immobilier, qui est constitué aujourd’hui d’environ 1200 logements, géré par une division immobilière en charge du développement des projets et par une gérance qui s’occupe de la gestion des immeubles et de la comptabilité.

 

2 Les fondations collectives sont des institutions de prévoyance auxquelles des employeurs indépendants peuvent s’affilier pour appliquer le régime de la prévoyance professionnelle obligatoire, surobligatoire ou facultative. Source : Office fédéral de la statistique, Structure de la prévoyance professionnelle en Suisse (2013), p. 17.

 

3 « Historiquement, les caisses de pension sont disséminées sur le territoire suisse. Une partie importante de leurs fonds étaient traditionnellement investie dans le logement des employés des entreprises. Cette logique de proximité s’est rapidement distendue avec la croissance rapide qui a suivi la généralisation du deuxième pilier en 1985. Depuis, les caisses de pension font face à une tâche beaucoup plus conséquente afin de gérer des fonds considérables. » Source : Thierry Theurillat, « Les logiques d’investissements immobiliers des caisses de pension : peut-on tenir compte de critères de durabilité ? », Mémoire DESS « Études urbaines », Institut de géographie, Université de Lausanne, 2005, p. 3.

 

4 Le droit de superficie est une servitude qui confère à son titulaire le droit de construire et d’entretenir sur le terrain d’autrui et pour une période donnée (en général plusieurs décennies) un ou plusieurs bâtiments. Il permet ainsi de dissocier la propriété du sol de celle des constructions, et donc de faire échec au principe de l’accession, qui postule que le propriétaire d’un terrain est également propriétaire des constructions qui y sont bâties.

 

5 Rénovation et extension du bâtiment K 118, architectes : baubüro in situ. Voir TRACÉS 14-15/2019 sur la filière du réemploi

 

6 Parmi les objectifs affichés de la fondation Habitat, fondée en 1996 : « créer et maintenir des espaces de vie attrayants et abordables dans la région de Bâle, en retirant le sol de la spéculation immobilière. »

Christian Geser est architecte et responsable de la division immobilière de la fondation Abendrot.

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