Im­mer­sions dans la ma­tière brute de la ville

Le programme de la 4e édition du festival Écrans Urbains, organisé par la CUB, présente une impressionnante diversité d’­approches pour interroger les matières premières de la ville et ­susciter des discussions.

Date de publication
09-02-2024

Le film urbain est un genre à part dans la culture cinématographique, capable de réunir cinéphiles, architectes et urbanistes, mais aussi toutes les personnes concernées (ou révoltées) par l’évolution contemporaine des territoires. Écrans Urbains devrait rassembler tout ce petit monde, avec sa programmation critique et diversifiée, ponctuée de ciné-conférences, de performances artistiques et d’événements tous publics.

Brutalisme et brutalités

Le festival interroge frontalement notre rapport au brutalisme. Un film effleure la figure de Le Corbusier, sans l’aborder: …et Pierre Jeanneret (2023) rend hommage au cousin, celui qui dessina et suivit la réalisation de Chandigarh pendant une dizaine d’années, dans l’ombre de l’illustre moderniste. Au lieu de montrer les quelques icônes que l’on ne connaît que trop bien, les réalisateurs nous immergent avec tendresse dans l’urbanisme de la capitale, en une lente dérive qui révèle strate par strate les hiérarchies des rues, son articulation avec les cultures constructives locales, et surtout ses habitant·es. Quant à Brutal Moods (2022), il interroge et déconstruit les imaginaires dystopiques et les fantasmes auxquels le brutalisme a été progressivement associé. Le lendemain, l’artiste Nicolas Moulin poursuivra cette réflexion analogue par un audacieux montage d’extraits de films qui exploitent le registre architectural pour construire leur scénographie.

En contrepoint, un portrait d’un autre bâtisseur est proposé au Forum d’Architectures, Lausanne (F’AR) : Fernand Pouillon, l’architecte le plus recherché de France (2023). En collaboration avec la revue TRACÉS, la projection sera suivie d’une discussion avec le réalisateur Jean-Marie Montangerand et Daphné Bengoa, photographe et réalisatrice.

De brutalité (littéralement), il sera également question avec des films présentant l’extraction, la violence ou l’injustice sociale qui constituent aussi la condition urbaine, comme Kwai Shing West Estate (2023), un portrait des colossaux immeubles sociaux de Hong Kong sur fond sonore d’émeutes de 2020, ou Dry Ground Burning (2022), un docu-fiction digne de Mad Max mettant en scène un gang de femmes qui détournent des usines de pétrole dans une favela brésilienne. «On dirait du Tarantino, mais en vrai», commente Aldo Bearzatto, l’un des deux programmateurs du festival avec Hervé Bougon.

Dans un registre critique mais aussi tendre, parfois burlesque, une sélection de courts et longs métrages se focalise sur Beyrouth et ses chantiers permanents. Deux fables écologiques, enfin, abordent de manière sensible la disparition de paysages naturels: une forêt japonaise (Evil Does Not Exist, 2023) et un glacier norvégien (Song of Earth, 2023). Que ce soit au Japon ou en Norvège, leur sujet résonne directement avec des problématiques familières et pourront générer des discussions sérieuses sur les conséquences de l’urbanisation et du réchauffement climatique.

Ouvrir la culture du bâti à tous les publics

Cette année, la plupart des projections seront suivies de discussions avec des spécialistes de la culture du bâti qui aborderont les sujets du film avec leurs réalisateur·rices. Ainsi le F’AR confronte deux points de vue complémentaires pour aborder les paysages alimentaires et la prolifération de l’agriculture sous serre : par une chorégraphie onirique (Agrilogistics, 2021) et dans un réalisme qui dévoile l’instrumentalisation du travail humain et non humain dans les paysages infinis des villes plastiques espagnoles (Biological Agent, 2023).

En collaboration avec TRACÉS, deux midi ciné-conférences tourneront autour de matériaux écologiques: Toucher terre (2023) aborde le renouveau des techniques constructives en pisé et en terre compactée en France, en Suisse et en Autriche – pas tant comme travail manuel que comme renouveau industriel, par exemple avec une visite de l’usine terrabloc à Gland (VD). Le lendemain, on prendra à nouveau son sandwich pour aborder la pierre sèche du Lubéron, avec Au pays des pierres. Ce documentaire a été produit et réalisé par l’atelier Géminé, une agence d’architecture française très concernée par le patrimoine bâti traditionnel, qui œuvre depuis quelques années à la valorisation de techniques décroissantes en maniant la caméra.

Dès lors, le festival se veut tous publics et même festif. Aux côtés de ces films critiques, le programme est aussi ponctué de quelques perles, comme Le Roi et l’oiseau (1980) ou Chungking Express (1994), l’un des premiers succès de Wong Kar Wai. Enfin deux événements ne doivent être manqués sous aucun prétexte : la cérémonie de remise de prix du désormais prestigieux TRANSFER Architecture Video Award, et une performance artistique unique. Telle l’aiguille d’un gramophone, Architectural Sonarworks Lausanne exploitera la morphologie de la ville pour produire une musique qui lui est propre.

Rencontres cinématographiques – 23-25.02
Écrans urbains 2024
Cinémathèque suisse / MCBA / F’AR / Espace Amaretto
ecransurbains.ch

Ciné-conférences (entrée libre):

 

Toucher terre – 22.02 / 12:00:
Discussion sur la construction terre avec Elsa Cauderay

 

Au pays des pierres – 23.02 / 12:00
Discussion sur la pierre sèche avec l’Atelier Géminé

 

Agrilogistics et Biological Agent – 24.02 / 16:30
Table ronde sur nos modes de consommation

 

Fernand Pouillon, l’architecte le plus recherché de France – 25.02 / 16:30
Discussion avec Jean-Marie Montangerand et Daphné Bengoa

 

Forum d’Architectures F’AR, Lausanne

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