Huis Clos Sidéral
Ici et Ailleurs
Dans ce voyage, Eugène visite le système Zeta Reticuli.
LV 426. Une lune assez moche, paumée quelque part dans le système Zeta Reticuli. Devant moi gît la carcasse d’un vaisseau titanesque en forme d’oméga, dont la carlingue est percée d’ouvertures qui paraissent organiques. Une tempête de sable mugit au-dessus de la chaîne de montagnes rocailleuses qui barre l’horizon. Je suis mort de froid et de peur. J’habite ici depuis 1979. Ou plutôt une partie de mon âme s’y est posée à tout jamais.
Je vous parle bien sûr d’Alien, réalisé par Ridley Scott il y a près de 35 ans. Je suis tendrement attaché à ce film d’épouvante, dont le joyeux slogan était « dans l’espace, personne ne vous entend crier ». A sa sortie, le film était interdit aux moins de 16 ans. Moi, j’en avais 10 : aucune chance d’amadouer la caissière. Comme toute la planète Terre en parlait, je voulais au moins connaître l’histoire. Donc j’ai acheté le roman tiré du scénario. Pour la première fois de ma vie, je me suis rendu dans une librairie pour acheter un livre. Grâce à l’horreur inouïe d’Alien, je suis entré en littérature.
Quelques années plus tard, j’ai loué une cassette vidéo pour voir enfin ce que j’avais lu. Un monstre hideux comme jamais je n’en avais cauchemardé massacre six des sept passagers d’un vaisseau cargo. Le spectateur est aussi démuni et largué que les victimes. Tous les codes sont inversés. Les œufs sont agressifs ; un homme accouche d’un monstre ; l’ordinateur central est appelé « maman » mais laisse l’équipage crever à petit feu ; le sang de l’Alien est si corrosif que celui qui lui inflige une blessure risque sa vie
Aujourd’hui, Ridley Scott propose un retour sur LV 426, grâce à son blockbuster Prometheus. Sauf que nous sommes officiellement sur LV 223. Quoi ? Une autre lune ? L’histoire est censée se dérouler avant le premier film, mais certains raccords ne fonctionnent pas. Le scénario, trop alambiqué, crée de nouveaux mystères qui ne nous passionnent pas. Et surtout, la formidable réflexion sur la notion de huis clos a totalement disparu. Décidément, dans l’espace personne ne vous entend rater un film
Retour en 1979. Voici un long métrage aux six premières minutes dépourvues de personnages. Les séquences s’enchaînent, montrant un vaisseau cargo traversant l’univers, des corridors silencieux, un casque d’astronaute vide. L’histoire avance par contrastes. A la promiscuité du cargo s’oppose le gigantisme délirant du vaisseau extra-terrestre. La blancheur de la salle des commandes se transforme peu à peu en noirceur labyrinthique. L’idée géniale est de créer un huis clos étouffant au milieu de l’espace infini. Les sept passagers poursuivent l’Alien accroupis dans des conduits d’aération ténébreux ; le lieutenant Ripley se réfugie dans une minuscule capsule de sauvetage, où bien sûr le monstre l’attend.
Cinq ans avant la sortie du film, Joseph Beuys avait organisé un huis clos avec un coyote sauvage. Durant trois jours, enfermés dans une galerie de New York, l’artiste avait cohabité avec un animal du désert. Alien démontre qu’on ne négocie pas avec l’animalité. La seule forme de cohabitation implique une mort prochaine. C’est le moment où l’Alien n’est qu’un fœtus dans le ventre de sa proie. Le monstre et sa victime occupent le même espace : le huis clos parfait.