Grand hô­tel: den­sité et qua­lité de vie

Le grand hôtel rassemble plusieurs caractéristiques qui servent aujourd’hui à définir des lotissements durables. Compact, dense, combinant habitat et travail, il constitue un lieu de mixité sociale conçu pour offrir, avec ses espaces et ses services, une grande qualité de vie. Le modèle du grand hôtel pourrait-il dès lors être une source d’inspiration pour l’urbanisme contemporain?

Date de publication
13-02-2014
Revision
13-10-2015

La croissance actuelle de la Suisse se manifeste intra muros, là où de grands lotissements voient le jour. Sorte d’extensions internes des villes, ces derniers sont, par leur taille, comparables aux projets d’urbanisation des années 1960-1970. S’ils exprimaient l’apogée et le développement ultime des concepts fonctionnalistes des années 1920, la critique contemporaine condamne unanimement cet urbanisme monofonctionnel, fait d’immeubles entourés de végétation mais sous-équipés et souvent mal desservis par les réseaux de transport publics. Ce sont les questions de densification, de qualités urbaines et de mixité qui importent aujourd’hui. 

Qu’est-ce qu’un lotissement durable?


De nombreux investisseurs cherchent à revaloriser des emplacements bien situés en y développant des quartiers attractifs qui s’étendent jusqu’en périphérie. Ces nouvelles implantations urbaines s’inspirent souvent d’images du 19e siècle et leur valorisation se fait par association d’idées avec la ville européenne dense. On peut illustrer ces propos avec les quartiers proches des stations de S-Bahn du Grand Zurich, dans le Limmatfeld à Dietikon, dont le slogan publicitaire «Notre petite ville» a été créé dans le cadre d’un plan d’aménagement de Hans Kollhoff. Ou alors citer le quartier de Richti à Wallisellen, composé d’îlots fermés, avec cours intérieures, places et arcades, auquel Vittorio Magnago Lampugnani fait référence au passé. 
Ces grands lotissements ne peuvent toutefois pas servir de modèle au développement durable, car cette stratégie s’applique mal à des échelles plus réduites ou pour des emplacements moins emblématiques. Les activités susceptibles d’engendrer une réelle diversité urbaine font alors défaut; et il n’est pas rare que des lotissements proposent des appartements avec des zones d’accès donnant sur des espaces verts qui ne jouent en aucun cas le rôle de véritables places. Les efforts pour créer une identité à travers une bonne architecture et une matérialisation de grande qualité restent vains et la densité désormais élevée de ces prétendus «zones centres» et «centres de gravité de développement urbain» ne se traduit pas par un regain de vitalité urbaine, mais uniquement par la création de nouveaux espaces confinés.

L’enrichissement par les fonctions sociales


Pour que le lotissement devienne un lieu privilégiant styles de vie durables et grande qualité de vie, il doit être réinventé et enrichi – en intégrant notamment les effets des mutations démographiques et de modes de vie toujours plus complexes. L’organisation collective de la garde des enfants, les nouvelles formes de travail (à domicile ou à temps partiel), l’assistance en cas de maladie et de soins de longue durée, la remise en forme, le sport et la détente, la convivialité et la participation, la coopération pour une production et une alimentation locale: tous ces besoins nécessitent des espaces et peuvent dynamiser les rez-de-chaussée à différents moments de la journée. La culture de la proximité et les phénomènes d’entraide qui s’y rattachent peuvent rendre la communauté plus solide face à une situation salariale et monétaire précarisée. Une telle relocalisation des fonctions sociales dans le contexte de l’habitat pourrait également entraîner certains changements en matière de mobilité.

Aucun modèle historique


Ni les anciennes structures rurales, ni les utopies communautaires en matière d’habitat ne peuvent servir de références pour la planification urbaine contemporaine. Si le monument national du Familistère de Guise1, qui vient d’être rénové, constitue une alternative au capitalisme du 19e siècle, il manque à ce genre d’exemples historiques qui répondent à une coexistence économique forcée la légèreté du volontariat issu d’une société postindustrielle riche. Toute une série de projets coopératifs du Grand Zurich testent actuellement le potentiel des fonctions sociales en matière d’urbanisation. Si ces projets pionniers se montrent souvent extrêmement ambitieux et relèvent avec aplomb divers défis sociaux, ils peuvent facilement être critiqués et considérés comme des cas particuliers pouvant être assimilés à des Gated communities, soit des quartiers résidentiels conçus pour des gens bien pensants.
C’est ce qui nous a conduit à chercher, dans l’histoire de l’architecture, des exemples qui illustrent l’efficacité de constructions hybrides, denses et intégrées. Nous en avons trouvé dans l’hôtellerie de luxe qui s’est développée dans les Alpes suisses à la fin du 19e siècle.

Le grand hôtel comme inspiration


C’est leur caractère artificiel et leur exotisme qui font des grands hôtels des organismes complets. Pour la première fois, une société bourgeoise prospère s’est dotée d’un espace entièrement équipé hors de la ville. Le grand hôtel, une construction compacte qui présente un taux d’occupation élevé, réunit sous un même toit travail et habitat, compte une bonne mixité sociale (clientèle et employés) et tend à produire une certaine qualité de vie grâce à des prestations de services variées. Pour être denses et durables, les lotissements et les quartiers pourraient s’inspirer de ces caractéristiques combinées (TEC21 9/2013). Les qualités, les infrastructures et les prestations de services développées dans ce contexte, notamment les connaissances en matière de « production » de qualité de vie, nous paraissent révélatrices et stimulantes pour le débat actuel sur le développement urbain et territorial, et sur la durabilité. Tout en gardant à l’esprit que le modèle économique d’un hôtel ne correspond pas à celui d’un lotissement résidentiel, nous avons cherché à savoir si, et dans quelle mesure le grand hôtel pouvait servir de source d’inspiration pour la planification urbaine contemporaine. Pour y parvenir, nous avons demandé à la direction de l’hôtel Waldhaus à Sils si elle était d’accord de participer à une inspection approfondie de son établissement pour débattre de cette question.

Andreas Hofer est architecte diplômé de l’EPFZ.

 

 

Notes

1. www.familistere.com 

 

 

Série densité

L’article «Vierfach verdichten» a été publié dans le numéro TEC21 9/2013. Il marquait le début d’une série sur le thème de la densité. Les contributions de cette série se trouvent dans le dossier «Nachhaltigkeit planen» que vous pouvez consulter ici.

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