Ge­nève: quand le po­li­tique pé­nètre le saint des­sein des ar­chi­tectes

Date de publication
11-12-2023

Frissons au bout du lac: la Ville de Genève s’apprête à lancer le très attendu concours pour le Musée d’art et d’histoire (MAH). Étant donné le lourd passif de ce dossier (voir Tracés 7/2023), les membres du Conseil communal ont émis de nombreuses recommandations qui ont fait gonfler son cahier des charges, au grand dam des architectes. Qu’elle plaise ou non, cette manière de procéder sera désormais systématique: à la quasi-unanimité les élu·es ont voté une motion leur conférant plus d’implication dans les projets d’aménagement. On ne veut plus être consulté après le concours, m’a-t-on expliqué.

Initialement, il était même question de forcer les portes du Temple et laisser les laïcs pénétrer jusque dans le chœur de l’édifice: le jury. En général, ceux qui ont été autorisés à participer à ce rite secret en ressortent convaincus de l’autorité suprême des officiants. Mais cette solution s’avère peu compatible avec leur fonction et difficilement applicable, selon l’exégèse que l’on tire des règlements SIA. Dès lors, il a été décidé que les conseillers seront consultés par les officiants pendant la préparation du concours, afin de poser des questions ou émettre des suggestions qui apparaîtront dans le programme.

Confusion dangereuse entre pourvoir temporel et spirituel, me suis-je dit, ne va-t-on pas encore compliquer la tâche des architectes avec des problématiques bassement matérielles ? L’initiateur de la motion, Maxime Provini (PLR), estime au contraire que plus les élu·es seront impliqué·es en amont, plus grandes seront les chances qu’un projet soit accepté. Après tout, le conseil sera ainsi obligatoirement amené à faire une partie du cheminement intellectuel nécessaire pour comprendre les enjeux complexes que soulève tout projet. Et cela sera fort utile quand il s’agira de le défendre au sein de leurs commissions ou sur la place publique, devant le Tiers-État, qui n’y comprend jamais rien.

Aujourd’hui, explique-t-il, les membres du conseil doivent défendre un projet quand tout est déjà ficelé. Il regrette de ne pas avoir pu intervenir dans le cas de la passerelle du Mont-Blanc, l’esplanade des Vernets, ou encore le concours pour la nouvelle plage du Quai Wilson. «Certains diront qu’il y a trop de béton, c’est inévitable. Mais après l’annonce du résultat, impossible de venir demander un revêtement bois, comme cela a été fait à Cologny.»

Derrière ce texte, il n’y a pas que le traumatisme du MAH de 2016, mais aussi des projets qui jurent avec l’esprit du temps, explique Paule Mangeat (PS), comme le parvis glissant de la Nouvelle Comédie. De manière générale, l’élue souhaiterait voir moins de façades brutalistes, ces vieilles litanies qui n’impressionnent plus les fidèles. Elle aimerait plus de bois et de vert, proscrire les immeubles foncés et les terrasses minéralisées, garantir surtout l’accessibilité universelle aux PMR. N’est-ce pas là ce que bien des architectes souhaiteraient aussi, avant de se casser les dents sur les contraintes qui vont de la physique pure aux normes VSS?

Je pensais que cette motion risquait d’introduire du politique dans le concours d’architecture, mais c’est peut-être l’inverse qui arrivera : on introduit de l’architecture dans le politique. Désormais les membres du conseil passeront de longues soirées à discuter d’obscurs problèmes théologiques comme les bilans carbones réels du bois et du béton ou la valeur patrimoniale d’une passoire thermique d’après-guerre… Ils réaliseront ainsi eux même que les voies de l’Architecture sont impénétrables. Amen.

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