Fi­nan­ce­ment pour une 3e cor­rec­tion du Rhône

Les Valaisans trancheront le 14 juin. Les autorités et les milieux économiques et de la construction soutiennent le projet, pas l’UDC et le lobby agricole

Date de publication
03-06-2015
Revision
21-10-2015

Le 14 juin, les Valaisans se prononceront sur le décret pour le financement de la 3e correction du Rhône, accepté en septembre à une large majorité par le Grand Conseil mais qui a fait l’objet d’un référendum lancé par l’UDC, avec le soutien des milieux agricoles. Si le peuple tranche en faveur de ce décret, un fonds de 60 millions de francs sera créé. En prélevant ce montant dans le fonds existant pour les infrastructures du 21e siècle – pour compléter les 60 millions provenant du budget ordinaire du canton – cela permettrait de financer 1 milliard de francs de travaux de protection contre les crues du fleuve pour les dix prochaines années, puisque le montant ainsi réuni autoriserait le canton à toucher une subvention fédérale de 700 millions de francs. L’ensemble des travaux de la 3e correction du Rhône devrait durer au moins vingt ans et coûter plus de 2 milliards de francs. 

Le Rhône, fleuve indomptable


La volonté d’apprivoiser le Rhône ne date pas d’hier. La plaine du Rhône est habitée depuis le Moyen Age. A l’époque, le fleuve se déploie en une multitude de bras, avec des lits secondaires et des prairies. Il est alors plus large et nettement moins profond qu’aujourd’hui ; il peut se traverser à pied, avec du bétail. Mais le Rhône se fait plus menaçant au fil du temps. Pendant plusieurs siècles, on essaie de se protéger de ses excès de manière individuelle et non coordonnée : chacun construit ses propres digues. 

A la fin du 19e siècle et au début du 20e, d’importantes crues font des dégâts considérables et fragilisent l’économie valaisanne. On décide alors de dompter le fleuve de manière conjointe, et la 1re correction du Rhône commence au début des années 1860. Après trois décennies de travaux, 200 km de digues sont dressées : entre sa source et le Léman, le fleuve est contenu entre deux digues parallèles. La plaine est ensuite drainée, les affluents assainis, le terrain est désormais cultivable. L’agriculture, les zones d’habitat et les industries se développent.

L’accalmie ne dure pas. Les crues débordent des digues et les travaux de la 2e correction débutent dans les années 1930. On rehausse les digues, on les consolide, et on effectue un important travail de dragage. 

Le projet de 3e correction 


Après les fortes crues de 1987 et 1993, on étudie la possibilité d’une 3e correction. Cette possibilité devient une nécessité après les intempéries d’octobre 2000 qui conduisent à une rupture de digue, inondant une partie de la plaine – notamment vers Gampel-Bratsch-Loèche dans le Haut-Valais, Chamoson-Saillon dans le Valais central et Evionnaz-Vernayaz dans le Bas-Valais.

Le diagnostic des digues réalisé à la fin des années 1990 témoigne de leur fragilité. Leur noyau limoneux est très ancien, puisque les digues de la 2e correction ont généralement été construites par-dessus celles de la 1re correction. Elles connaissent des phénomènes d’érosion interne et externe, des fissures et des tassements. Outre le risque de débordement en cas de fortes crues – car le fleuve est étroitement canalisé – celui de rupture de digue est ainsi généralisé tout le long du Rhône, de sa source au Léman, excepté là où il y a un remblai (autoroute, chemin de fer). 

Même si le canton est aujourd’hui doté d’un outil permettant de prévenir les crues exceptionnelles (lire encadré MINERVE ci-dessous), les autorités, les experts et les politiques s’accordent à dire qu’une 3e correction du Rhône est impérative. Pour plusieurs raisons. Les zones inondables comptent des secteurs d’habitations mais aussi des zones à bâtir qui font l’objet d’interdictions en raison des risques. Le fleuve manque de surfaces naturelles et de diversité : le déficit écologique est prononcé. Depuis la 2e correction, les zones industrielles et d’habitations se sont développées, nécessitant plus de sécurité : une carte des dangers publiée en 2011 (figures 1 et 2) montre que 13 000 ha de terres vaudoises et valaisannes sont actuellement menacées d’inondation (11 000 pour le seul Valais), dont plus de 1000 ha de zones à bâtir. Les dommages potentiels de la plaine sont estimés à quelque 10 milliards de francs et 100 000 personnes sont concernées. 

Un plan d’aménagement pour cette 3e correction est ainsi mis en consultation publique en 2008. Il s’articule en deux axes majeurs : la gestion des débits et des risques résiduels ; le redimensionnement du fleuve pour augmenter sa capacité d’écoulement. « Avec la 3e correction du Rhône, l’objectif est de pouvoir faire passer une fois et demi plus d’eau qu’aujourd’hui, en toute sécurité. Pour cela, il faut à la fois élargir et approfondir le fleuve. Il faut en outre renforcer les digues pour éviter qu’elles ne cassent en cas de crue encore supérieure. Si elles sont conçues pour résister aux crues extrêmes, ce ne sont que quelques centimètres d’eau qui passent par-dessus en cas de fortes crues. Et si elles se rompent, ce sont quatre mètres. Les dégâts ne sont évidemment pas comparables », indique Tony Arborino, chef de projet Rhône 3. 

Le projet initial prévoyait que l’élargissement du fleuve aurait un impact sur 380 ha de zones agricoles. Tenant compte des remarques issues de la consultation, ses auteurs ont revu ce chiffre à la baisse. Le plan d’aménagement actuel, validé conjointement par les Conseils d’Etat valaisan et vaudois, prévoit donc un impact sur 310 ha de ces zones. Les quelque 80 communes concernées, qui demandent une sécurisation rapide de la plaine, soutiennent le financement du projet.

Si l’impact sur les zones agricoles a été revu à la baisse, le projet ne convainc toujours pas l’UDC et les milieux agricoles du Valais romand, qui assurent qu’une autre variante est possible, moins longue, moins coûteuse et moins gourmande en terres agricoles. Le lobby a donc lancé un référendum contre le décret pour le financement de la 3e correction du Rhône. Le peuple statuera le 14 juin. 

 

MINERVE

Le système MINERVE est développé par le Centre de recherche sur l’environnement alpin (CREALP) sur mandat du Canton du Valais et fait partie de la stratégie cantonale de la protection contre les crues du Rhône. Il se base sur des développements faits par l’EPFL dans les années 2000 avec le soutien du Canton de Vaud, du Valais et de l’OFEV. Il permet la modélisation des intempéries de nature extrême des rivières valaisannes et de leurs effets, grâce à un outil de simulation numérique du comportement hydrologique du bassin versant basé sur les prévisions météorologiques fournies par MétéoSuisse. Le système produit des prévisions de crues grâce à un modèle de pluie-débit alimenté par les prévisions de précipitations de MétéoSuisse, puis optimise le fonctionnement des barrages. MINERVE poursuit un double objectif : la gestion préventive des crues et le déclenchement d’alarme. Lorsque des crues importantes sont annoncées, le système permet l’abaissement préventif du niveau des retenues. L’horizon de prévision est de 72 heures.
Pour en savoir davantage: lire le numéro de TRACÉS consacré au Rhône et à ses corrections successives, paru le 9 avril 2008. L’émission de Canal9 Les pieds sur Terre s’est aussi penchée sur la problématique (http://canal9.ch/histoire-du-rhone-et-de-ses-corrections et http://canal9.ch/le-rhone-entre--danger-prevention-intervention-et-construction).

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