Et si: ar­chi­tec­ture non cons­truite en Suisse

Le Musée Suisse d’Architecture (S AM) a invité des forums et des associations d’architecture à lui soumettre des projets non réalisés, qui continuent toutefois d’alimenter les débats au niveau régional. L’exposition «Et si» est l’occasion de porter un nouveau regard sur le contexte politique et social, ainsi que sur les courants créatifs.

Date de publication
04-03-2024

Dans un contexte de gestion des ressources, l'exposition de projets de construction restés à l'état de projet est une démarche particulièrement pertinente. Plans, correspondances et articles de presse abondent, décrivant l'ascension et la chute de ces projets et témoignant des débats, parfois houleux, autour de leur reconnaissance. Certains bureaux ont profité de cette occasion pour se défaire des maquettes de concours qui n'ont jamais abouti. En effet, il y a quelque chose de réconfortant dans la reconnaissance, même tardive, de l'énergie intellectuelle et de l'engagement investis en vain.

En comparaison au faible pourcentage de projets de concours finalement réalisés, les projets non réalisés offrent une vision plus tangible de la conception locale de l'architecture. L'équipe de commissaires de l'exposition souligne l'importance de ces projets restés sur le papier. Les idées, encore libres des contraintes architecturales, politiques ou financières, sont souvent d'une grande clarté, même si les véritables utopies restent rares. En tant que volet théorique de l'histoire de l'architecture, ces utopies constituent des repères essentiels pour son évolution.

Sisyphe vous salue

Dans la première salle, une grande étagère regroupe les maquettes rejetées, certaines devenues poussiéreuses avec le temps, d'autres partiellement brisées ou démembrées après avoir subi de multiples remplacements de modules. Les classes scolaires sont invitées à les revisiter, à les démystifier et à leur offrir une nouvelle interprétation.

En arrière-plan, un documentaire de 90 minutes présente des figures emblématiques telles que Jean Nouvel et Frank Gehry. En tant que contribution artistique au concours pour un nouveau musée en Andorre en 2013, le documentaire de l'architecte espagnol Angel Borrego Cubero suit les équipes de ces «stars de l'architecture» pendant les semaines précédant le dépôt des projets. Les images offrent un aperçu frappant du quotidien dans les grands bureaux d'architecture, révélant sans filtre le travail sous pression et les efforts considérables, qui aboutissent rarement à une commande. Cette perspective, contrastant avec le statut mythique de leurs dirigeants, revêt un aspect tragiquement comique. Dans le cas du musée d'Andorre, le projet a été abandonné suite à un changement de gouvernement, avant même la sélection d'un lauréat.

Un sage mélange plutôt qu’un «grand coup»

Dans les salles suivantes, des projets phares «non construits» de toute la Suisse sont exposés. Chaque projet est accompagné de matériaux informatifs –généralement des copies de textes et plans originaux– et présenté sur une table de travail de type «Eiermann», modèle toujours omniprésent dans les agences d'architecture. Çà et là, des réminiscences renforcent la sensation que les réflexions de la personne ayant cherché la meilleure solution possible dans de telles circonstances persistent dans l'espace – invitant ainsi à percevoir également l'humain derrière la maquette.

Le projet de concours de Le Corbusier et Pierre Jeanneret pour le Palais de la Société des Nations à Genève en 1927 est mis en avant. Le jury s'est réuni 65 fois et a examiné 16 km de plans au total, sans réussir à choisir un vainqueur parmi les 377 propositions. Les opinions divergeaient trop sur le message symbolique que la construction devait véhiculer: devait-elle rendre hommage à un passé stable et lointain et adopter un style néoclassique, ou au contraire célébrer la modernité ?

Finalement, c’est un mélange de quatre autres projets qui a été choisi, au grand dam de Le Corbusier, qui n’a pas hésité à dénoncer un plagiat. Pendant des années, il a mené une bataille d’arrière-garde avant de tenter de réaliser le bâtiment ailleurs.

Voie au chapitre: le pour et le contre

Le projet de Jørn Utzon pour un nouveau théâtre à Zurich, né en 1963 en parallèle de la construction de son opéra de Sydney, a alimenté les débats jusqu'en 1973. La renommée internationale a séduit la société urbaine jusqu'à ce que des problèmes sur le chantier australien surviennent et remettent soudainement en question le projet zurichois, largement couvert par la presse. Rétrospectivement, la transformation du bâtiment existant s'est avérée être également une bonne solution.

L'étude de faisabilité pour l'extension du Palais fédéral (1991-1993) par Mario Botta repose sur l'un des rares projets au design excentrique: une arche postmoderne typique de Botta entoure le Palais fédéral depuis le versant de l'Aar. En contraste avec la structure en forme de citadelle de l'extension, le bâtiment central existant gagne ainsi en qualité picturale. Il est regrettable que le projet soit aujourd'hui classé parmi les «enlisés»: en effet, en raison de multiples réserves, le projet a été stoppé par la commission du Conseil national avant même d'être soumis au vote populaire.

Outre les avantages d'une «maîtrise d'ouvrage» conférée à la démocratie directe, le fait qu'une décision bénéficie d'un large soutien a également pour effet d'éviter les extrêmes. Les mouvements citoyens ont réussi à empêcher la réalisation de certains projets architecturaux innovants, comme par exemple la construction de la «couronne urbaine» de Caruso St John, qui devait voir le jour à Saint-Gall suite à un concours privé remporté en 2012.

D'autres luttes sont également documentées, comme celles menées de 2014 à 2020 pour l'extension de la branche ouest de l'autoroute de Bienne, dont le chantier a été confronté à des initiatives citoyennes tenaces qui ont permis d'éviter la création de voies surdimensionnées qui auraient conduit à un morcellement supplémentaire de la ville.

Laisser parler les projets

Finalement, notre paysage bâti est constellé de projets plébiscités par le plus grand nombre. Avec le recul, il est rassurant de constater qu'il est heureux que de nombreux projets, visant à marquer leur époque, soient restés à l'état de projet et que les solutions adoptées, en partant du bâti existant, se sont souvent révélées être le meilleur choix.

Un des points forts de l'exposition est de laisser les projets parler d'eux-mêmes, c'est-à-dire sans leur attribuer de notes. Les visiteurs sont ainsi libres de peser les arguments et de se faire leur propre opinion. Un effet secondaire notable de l'exposition est la participation de 20 forums et institutions d'architecture sur les 27 que compte la Suisse. Ce nouvel élan de coopération se reflète dans le programme d'accompagnement et est encouragé par le S AM.

Le catalogue de l'exposition est disponible aux éditions Christoph Merian.

Exposition

 

L'exposition "Et si" se tient jusqu'au 7 avril 2024 au Musée suisse d'architecture S AM.

ET SI : Architecture non construite en Suisse

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