L’ar­chi­tecte comme ca­re­ta­ker

Il est grand temps de rénover et d’agrandir le Collège Arnold Reymond. À Pully, il porte le titre peu flatteur de «plus grande passoire énergétique de la commune»¹: ses besoins de chaleur sont aujourd’hui deux à trois fois supérieurs aux standards actuels. Mais il ne suffira pas de faire mieux: il faudra faire bien. En effet, alors que la loi sur l’énergie de 2006 (LVLEne) est actuellement révisée dans le canton de Vaud (entrée en vigueur prévue pour 2026), tout porte à croire que la notion d’exemplarité de l’État, qui impose des performances énergétiques élevées à ses bâtiments, devrait bientôt s’appliquer à ceux des communes.

L’énergie est le premier défi; le patrimoine le second, puisque le site scolaire Arnold Reymond – bâtiment des architectes Jean-Pierre Cahen et Michel-Robert Weber et préau paysager de l’artiste André Gigon – est inscrit en note 2 au Recensement architectural du canton de Vaud. Issu d’un concours remporté en 1974 et réalisé en béton, l’édifice constitue un témoin exceptionnel du programme expérimental du Centre de rationalisation et d’organisation des constructions scolaires (CROCS).

Pour concilier respect du patrimoine et performances énergétiques, la Commune a fait le choix d’une procédure de MEP, en commandant en amont différentes études, afin d’avoir une vue globale sur l’état des bâtiments ainsi qu’une stratégie d’intervention: le Laboratoire des techniques de la sauvegarde de l’architecture moderne (TSAM) de l’EPFL a évalué la valeur patrimoniale du Collège Arnold Reymond et de sa salle omnisport, et proposé des solutions techniques et architecturales pour répondre aux objectifs de sauvegarde, d’économie d’énergie et de confort intérieur des usagers; puis une équipe composée d’un expert en physique et énergie du bâtiment (ESTIA) et d’un expert en façade (ARTECO), a évalué différents scénarios. Le rapport rendu préconise pour les façades de conserver les cadres non isolés et de compenser autrement les pertes énergétiques en changeant les verres et en isolant les toitures et les éléments opaques – une solution qui nécessitera toutefois des dérogations car les objectifs énergétiques ne peuvent pas être atteints.

«Nouvelle complexité»?

C’est donc un cahier des charges rigoureux, doté d’exigences «nombreuses, élevées, voire parfois contradictoires» selon la présidente du collège d’experts Nicole Christe, architecte, qui attendait les trois équipes retenues pour ces MEP. Celles-ci, dont le travail impressionnant a été souligné par le collège, ont opté pour une posture claire en faveur de la conservation de la substance bâtie.

À cet exercice de haute voltige, c’est finalement l’équipe pilotée par le bureau Aeby Perneger & Associés (AAPA) qui s’est distinguée, de la grande échelle à celle du détail. La proposition convainc par l’intégration harmonieuse des deux nouveaux volumes. Les aménagements paysagers et urbains du site sont pensés en continuité des toitures (l’équipe était d’ailleurs la seule à intégrer des architectes paysagistes, en l’occurrence MAP, Monnier architecture du paysage). Les investigations menées en collaboration avec le spécialiste en planification de façades Sutter + Weidner sur la restauration des fenêtres à guillotine ont été saluées – un prototype à l’échelle 1:1 sera désormais produit pour vérifier ce qui a été esquissé. Car comme le souligne Christe, «travailler dans le patrimoine exige une maîtrise tant des concepteurs que des constructeurs».

Résumer en quelques lignes la richesse et la pertinence des trois projets proposés à ces MEP serait une atteinte à leur excellence, c’est pourquoi nous invitons nos lecteur·ices à se perdre dans les 30 A0 (!) rendus et disponibles sur competitions.espazium.ch. Cette complexité va-t-elle devenir monnaie courante avec les enjeux liés à l’assainissement énergétique du patrimoine du 20^e siècle ou pourra-t-on, à force d’expérience, revenir à des rendus plus légers? Ici, le cahier des charges était si exigeant qu’il pouvait paraître «frustrant», concède la présidente, tant la marge de manœuvre semblait ténue.

Mais ce concours devrait surtout nous enthousiasmer, car il contribue à l’émergence d’une nouvelle posture professionnelle: celle de caretaker, en comprenant le fonctionnement et l’entretien d’une fenêtre vieille de 50 ans et en développant, à partir de ce savoir(-faire), de nouvelles façades; connaître la valeur de l’espace libre et donc surélever l’existant; faire d’un parking un skatepark; transformer une toiture en jardin.

Toutes les informations et les projets du MEP sur notre plateforme competitions.ch

Notes

1. Besoins de chaleur actuels du bâtiment scolaire (enveloppe classée F) de 98.3 kWh/m²; valeur limite des besoins de chaleur pour un bâtiment transformé de 48.6 kWh/m²/an; valeur cible (exemplarité de l’État) de 
38.7 kWh/m²/an. Besoins de chaleur actuels du bâtiment omnisport (enveloppe classée E) de 120 kWh/m², valeur limite des besoins de chaleur pour un bâtiment transformé de 60.6 kWh/m²/an; valeur cible (exemplarité de l’État) de 48.4 kWh/m²/an.

MEP Site scolaire Arnold Reymond, Pully (VD)

 

Maître d’ouvrage: Ville de Pully

 

Organisateur: Graf + Rouault architectes

 

Procédure: mandats d’étude parallèles (MEP) de projets d’architecture à un degré, en procédure sélective selon règlement SIA 143

 

Budget prévisionnel: 60 mio CHF

 

Équipe lauréate: Aeby Perneger & Associés (AAPA) (bureau pilote), Ingphi, Groupe Pierre Chuard, CICE, Sutter + Weidner Fassadenplanung, Swiss Safety Center, D’Silence Acoustique, Lumière électrique, MAP, Monnier architecture du paysage

 

Équipes sélectionnées:

 

Christian Dupraz Architecture Office (bureau pilote), Thomas Jundt Ingénieurs civils, Effin’Art, BA Consulting, Louis Richard Ingénieurs conseils, Emmer Pfenninger Partner, Ecoservices, AER Acousticiens Experts, FL Partenaires

 

Pont 12 Architectes (bureau pilote), Lüchinger + Meyer, Amstein + Walter, M. Gandini, ISI, EcoAcoustique, Quartal, Carré Mambo