Et en Rou­ma­nie, quoi de nou­veau ?

Date de publication
05-09-2012
Revision
19-08-2015

Je déambule le long de l’interminable Palais du Parlement, reliquat de la folie de Ceausescu qui compte parmi les plus grands bâtiments du monde. Depuis quelques années, le Musée national d’art contemporain s’est installé dans une aile. J’y pénètre et prends directement l’ascenseur. La terrasse du musée est devenue le meilleur poste d’observation de la ville pour contempler le nouveau délire architectural. L’Eglise orthodoxe roumaine a reçu le terrain jouxtant le Palais du Parlement pour y construire… la plus grande cathédrale du pays. Un projet pharaonique, à la Ceausescu. Le patriarche Daniel prévoit une salle capable d’accueillir 5000 fidèles, une bibliothèque religieuse, un hôtel pour les pèlerins, une immense cafeteria, un parking de 300 places et un supermarché religieux. Telle sera la Cathédrale de la Rédemption du Peuple, dont le plus haut clocher devrait culminer à 120 mètres. Un authentique péché d’orgueil.
L’Etat roumain s’est engagé à financer la moitié du projet. Il est vrai que l’Etat roule sur l’or et que la crise de 2008 n’a pas du tout affecté l’économie nationale.
A propos d’argent, au printemps 2011, l’Institut pour les Politiques Publiques, une ONG basée à Bucarest, a révélé que depuis 2007, la Roumanie n’avait réussi à absorber que 3,5% des fonds mis à sa disposition par l’Union Européenne. En 2012, ce chiffre a grimpé à 8%. Il n’empêche que sur les quelque 20 milliards promis par Bruxelles (période 2007 – 2013) pour développer l’agriculture, désenclaver les régions reculées ou améliorer les voies de communication, Bucarest n’a utilisé que quelques centaines de millions.
Il est vrai qu’après quarante-cinq ans de communisme et une quinzaine d’année d’un régime qui avait élevé la corruption au rang des Beaux Arts, le pays n’a nul besoin de nouvelles autoroutes, de nouvelles canalisations et d’aucune nouvelle gare.
Le drame, c’est que le montant du prochain don de l’Union européenne sera influencé par cette gabegie. Tout le monde connaît le principe : si le subventionné n’utilise pas la totalité du budget alloué, l’année suivante, il recevra une somme égale à ce qu’il a réellement dépensé. 
« Vous connaissez la blague de l’optimiste et du pessimiste  », me demande le barman du restaurant Van Gogh. «Le pessimiste dit: ça peut pas être pire. Et l’optimiste lui répond: Mais si, mais si.» Depuis bien longtemps, l’humour noir est devenu le sport national de ce pays, où je suis né il y a quarante-trois ans. Le barman m’explique que la seule chose que les Roumains réussissent pas trop mal, ce sont les bistros. Et il est vrai que le restaurant où je me trouve est très beau. Situé dans le bâtiment de l’ancienne banque Suisse-Roumanie (ça ne s’invente pas !), son éclairage met en valeur les motifs Art Nouveau.
Comme je cherche d’autres cafés spéciaux, on me recommande la terrasse du Club des Architectes Roumains. Des dalles en travertin, marbre ou onyx suspendues verticalement à des cadres métalliques délimitent de grands espaces où sont disposées des tables et des chaises en rotin. Le soir, des spots placés entre les parois rendent la pierre translucide. Une merveille. Durant la soirée, je rencontre deux étudiants en architecture. Si j’aime l’absurdité, je dois aller voir AFI. Je demande ce qu’est au juste «AFI». Ils préfèrent me garder la surprise. Le lendemain matin, un taxi me dépose au 4, boulevard Vasile Milea. 
AFI est le plus grand mall que j’ai jamais vu. Avec 300 boutiques, un supermarché, vingt salles de cinéma, une énorme boule pour projeter des films en Imax, une patinoire permanente, une cascade, un mur de grimpe, une piste de karting et une flopée de restaurants. L’absurdité a trouvé son temple, puisque le prix d’un iPad ou d’une paire de jean sont équivalents à ceux pratiqués en Suisse, alors que le salaire moyen d’un Roumain est de 350 euros.
Je vérifie sur ma carte. Le mall AFI n’est situé qu’à cinq cents mètres à vol d’oiseau du Palais de la Présidence, construit par l’architecte français Paul Gottereau, pour le roi Carol 1er, en 1888. Du coup, on sait enfin ce qu’a fait Trajan Basescu, le président actuel, qui, suite aux manigances du premier ministre, a été destitué durant l’été. Basescu devait déambuler à travers AFI pour profiter des soldes.
Plaisanterie mise à part, une folle envie de quitter Bucarest et ses 38 degrés en août s’empare de moi. Je décide de me rendre dans le delta du Danube, observer les oiseaux migrateurs. Et c’est là que mes ennuis ont commencé...
(suite dans un mois)

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