De l'au­to­no­mie dans l'uni­for­mité

propos recueillis par Aurélie Buisson

Le bâtiment dessiné par les architectes zurichois Gigon/Guyer offrira au parc immobilier de Paris 84 logements sociaux supplémentaires. Un projet timide mais autonome qui contribue à la diversité architecturale de l’ensemble.

Date de publication
03-04-2014
Revision
14-10-2015

Tracés: De quelle manière avez-vous été mandaté pour ce projet? S’agissait-il d’un concours, d’un mandat direct? Quel était l’objet de cette commande?
Gigon/Guyer: Si je me souviens bien, c’était une sélection de la Ville de Paris et de la société immobilière Icade, qui avaient une liste d’architectes sur laquelle nous figurions. Nous avons été appelés directement puis invités à participer à un workshop au cours duquel nous avons présenté les références du bureau et les premières esquisses du projet. La commande n’a été passée qu’ensuite. 
On nous avait assigné la parcelle N3, longue de 64 mètres et sise dans la partie ouest de l’entrepôt, le long du boulevard Macdonald. Nous devions réaliser 84 logements sociaux. 
Les objectifs urbanistiques étaient clairement formulés dans les documents élaborés par l’équipe de l’OMA en 2008. Ils ont été vérifiés et précisés plus tard par Floris Alkemade et Xaveer de Geyter dans un processus de planification consécutif. Tous les architectes participants travaillaient avec une large autonomie et étaient coordonnés de manière globale par l’équipe de pilotage. 

Quelle fut votre première impression à l’égard de ce projet? Aviez-vous déjà travaillé sur une opération de cette échelle?
La situation urbaine de la parcelle au nord-est de Paris le long des voies de chemin de fer, les dimensions inhabituelles du bâtiment industriel – plus de 600 mètres de long – et les impressionnantes structures existantes en béton ont fait de l’entrepôt Macdonald, construit en 1968 par l’architecte Marcel Forest, un bâtiment pertinent sur le plan urbanistique qui a influencé tout un quartier de ville au-delà de sa seule implantation. 
Auparavant, nous avions déjà travaillé sur un projet urbain de taille similaire: nous avons été responsables, en tant que planificateurs urbains, du nouveau Centre de police et justice à Zurich; en tant qu’architectes, nous avons conçu un immeuble d’habitation dont le socle était occupé par un grand magasin dans le cadre du plan d’extension du centre-ville d’Almere aux Pays-Bas élaboré par l’agence OMA.

Quelles ont été les principales restrictions d’ordre technique que vous avez dû affronter (liées à la structure, à l’existant, au choix des matériaux et à la règlementation)? En considérant ces restrictions, quelle a été votre marge créative? Votre projet essaye-t-il de se démarquer de l’ensemble, ou plutôt de se fondre dans la masse? 
Il était clair pour nous dès le début qu’en considérant tous les paramètres du projet global, nous ne pouvions faire qu’une ébauche qui admettrait les objectifs et s’inscrirait précisément dans le projet d’ensemble. En ce sens, notre projet est, comme tous les autres, un nouveau bâtiment posé sur l’édifice existant, avec un type d’habitations propre. Toutefois, il était aussi important que cela reste un projet autonome, qui puisse justement apporter une contribution différente.
Notre projet se déploie donc comme un bâtiment autonome tenant compte des objectifs urbanistiques du projet global et des contraintes liées au logement social. Le plan en peigne avec les noyaux désenclavés à l’intersection du bâtiment principal et de celui à cour produit un grand linéaire de façade, ce qui génère des configurations judicieuses d’habitations variées avec des orientations optimales.
La façade sur cour et les balcons sont pliés de diverses manières en fonction des différents types d’habitation. Ceci définit la conception de la façade autour du thème de l’imbrication de l’espace intérieur et extérieur dans le volume principal. Les façades sont revêtues de tôles verticales, finement ondulées, brillantes, perforées au niveau des garde-corps et opaques entre les fenêtres. Il en résulte une structure horizontale de la façade, qui est supportée par les balcons en saillie et la structure interne (image 1 et 2). La façade du boulevard est fortement influencée par les couches «cristallines» et «minérale» de la base et de la structure qui ont été dictées par le masterplan (image).

D’un point de vue plus global, percevez-vous l’entrepôt Macdonald comme un projet unitaire ou plutôt comme une juxtaposition de projets distincts et variés? Respecte-t-il toujours ses aspirations initiales?
Macdonald est un exemple remarquable: le bâtiment existant détermine les conditions générales de la stratégie d’extension, permettant ainsi la création d’un ensemble extraordinaire de bâtiments qui, dans cette forme de re-conception n’aurait jamais vu le jour sur un terrain vide.
La masse bâtie existante reste aussi après transformation clairement déterminante par rapport aux nouvelles constructions. De plus, si ces dernières sont architecturalement très différentes, elles sont unifiées en une forme urbaine unique par ce socle continu.
On peut effectivement contester les qualités du «nouveau», des architectures apposées, mais l’existant servira de socle unificateur. L’extraordinaire expansion horizontale et la présence architectonique de l’entrepôt fixeront la future perception publique. 

Est-ce qu’un projet présentant de tels attributs (dimensions hors norme, programme mixte, montage d’opération, etc) pourrait se faire en Suisse?
Je ne connais pas de réalisations de dimensions similaires en Suisse, hormis des projets d’infrastructures comme des ponts, des barrages, des tunnels, des installations de chargement ou industrielles. Zurich a donné lieu, à une moindre échelle, à des transformations similaires telles que Löwenbräu ou Toni-Areal.
S’il devait s’agir d’une si grande infrastructure dans le cas d’un changement d’affectation ou d’une extension, il me semble qu’un projet analogue à celui de l’entrepôt Macdonald serait tout à fait envisageable en Suisse.

Traduit de l’allemand par Thomas Lepelletier

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