Culture du bâti: le droit à la qualité
À quoi bon militer pour une culture du bâti de qualité si les lois ne la soutiennent pas? Le colloque annuel de la Fondation Culture du bâti Suisse a été organisé par la Faculté de Droit de l’Université de Fribourg. Dans l’Aula magna, ce sont des questions juridiques très concrètes qui ont été discutées avec des spécialistes du droit.
Le 8 novembre dernier, la Faculté de Droit de l’Université de Fribourg accueillait un colloque important, qui préfigure peut-être une nouvelle phase dans le déploiement de la culture du bâti. Dans sa Stratégie (2020), l’Office fédéral de la culture indiquait parmi les mesures à prendre pour remplir l’un des objectifs principaux était d’inscrire la culture du bâti dans le droit fédéral. Après les déclarations, la recherche (comme le PNR qui vient d’être lancé) et les prix (comme le Prix SIA, en cours de jugement), on s’adresse désormais aux seules personnes qui ont les compétences pour résoudre concrètement ce problème: les juristes.
Actuellement, pour autoriser un projet ou répondre à une opposition, les hommes et femmes de droit, même avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent faire reposer leur jugement que sur des données strictement factuelles, quantifiables: distances aux limites, hauteurs et longueurs des volumes, calculs de surfaces, etc. «Or nous constatons aujourd'hui que la majorité les projets de construction conformes aux lois cantonales et aux règlements communaux n'apportent pas, loin de là, une plus-value qualitative à la société», énonçait en ouverture du colloque Enrico Slongo, le président de la Fondation Culture du bâti suisse, coorganisatrice de l’événement. C’est peu dire: certains règlements semblent parfois carrément conçus pour nuire à la qualité.
Agir dans les communes
C’est surtout au niveau des règlements communaux, qu’il faudrait agir immédiatement, s’inquiétait Stefanie Schwab, chercheuse à l’Institut Transform de la HEIA-FR. À Zurich, à Bâle, à Lausanne, elle observe que les processus mènent déjà à une certaine qualité, mais qu’ils sont complètement défaillants dans les petites communes, où des élus non formés prennent des décisions seul, sans consulter personne. Avec des résultats catastrophiques. Malheureusement, la Culture du bâti – Baukultur en allemand – est souvent perçue comme un thème élitiste, une injonction parachutée depuis Berne, alors qu’au contraire elle vise à promouvoir un ancrage régional. Le paradoxe juridique, c’est qu’il faut exiger de la qualité partout, mais avec des définitions locales… Il faut donc instituer un processus légal qui s’adapterait à chaque contexte, comme des règlementations qui soutiennent la participation citoyenne, que ce soit par la consultation, des ateliers participatifs, ou en invitants les habitant·es à rejoindre des commissions.
Objectiver le subjectif
Des notions aussi abstraites et subjectives que l’«expression architecturale», la «sociabilité», l’«identité» ou encore l’«harmonie» échappent aux cadres règlementaires actuels. Impossible d’argumenter en ce sens pour défendre un projet, même s’il est excellent. Slongo lançait donc la question à l’assemblée: «Comment une culture du bâti de haut niveau pourrait-elle, en tant que notion juridique, pondérer, voire remplacer les facteurs quantitatifs par des facteurs qualitatifs?»
Dans la somptueuse Aula Magna de l’édifice Miséricorde, 200 spécialistes de tous horizons ont donc discuté des manières concrètes de lui répondre, en scrutant les emplacements possibles dans l’ensemble des documents appartement aux régimes juridiques de la Confédération, des cantons et des communes: dans les contrats, dans les plans d’aménagement, dans les processus de mise à l’enquête, et jusque dans notre constitution. La culture est un droit fondamental, rappelait Mylène Bidault Abdulle, docteure en Droit et également fonctionnaire au Haut-commissariat aux droits de l'homme des Nations unies.
Ouvrir les silos
Au niveau fédéral, il faut absolument renforcer la cohésion, chercher les synergies, martèle Oliver Martin. Le chef de la Section Culture du bâti à l’Office fédéral de la culture mène une patiente politique de ralliement, ouvrant les silos les uns après les autres. Il regrette que dans la manière de mener les politiques d’aménagement, on se focalise encore sur les conflits entre les parties concernées au lieu de regarder les intérêts communs. La mobilité vs. le paysage. L’énergie vs. le patrimoine, … C’est à qui imposera ses vues à l’autre, alors que pour atteindre la qualité, il faut de tout. Et donc aborder les problèmes ensemble.
Inscrire une culture du bâti de qualité dans une loi fédérale
Au niveau fédéral, la piste actuellement poursuivie est d’instiller de la Culture du bâti dans la révision de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN). Il est question d’inscrire dans la loi un nouvel article précisant que «la Confédération veille à garantir une culture du bâti de qualité» en coordonnant les activités des services fédéraux concernés et en soutenant les cantons.
La proposition a été intégrée au Message Culture 2024-2026 et elle vient de passer la consultation publique. Elle n’a rien d’irréaliste, loin de là: rappelons qu’en juin 2022, les Espagnols, écœurés par le développement urbain médiocre qui ravage leur pays, sont parvenus à inscrire l’exigence de qualité architecturale dans leur constitution… en se fondant notamment sur la Déclaration de Davos. En Espagne, cette loi a passé le parlement à l’unanimité. Depuis lors, un organe collégial multidisciplinaire, le «Conseil sur la qualité de l’architecture», veille à la promotion et la diffusion de la qualité dans le pays. Les Espagnols l’ont fait, pourquoi pas les Suisses?
Plus d’informations: baukultur-und-recht-2023.ch
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