CSA: l’am­bas­sa­drice des ar­chi­tectes suisses fête ses 30 ans

La Conférence suisse des architectes (CSA) fête 30 ans d’existence. Ce dispositif, assez peu connu de la profession, joue pourtant un rôle précieux en représentant à l’international les intérêts des trois associations d’architectes (SIA – GPA uniquement –, FAS, FSAI) au niveau européen au CAE (Conseil des architectes d’Europe) et au niveau mondial à l’UIA (Union international des architectes) au Conseil des architectes d’Europe (CAE).

Date de publication
13-09-2022

Tracés: Pierre-Henri Schmutz, vous êtes co-fondateur de la CSA et avez représenté la Suisse au CAE à ses débuts (1992-2015) – pourriez-vous nous raconter quelle était la motivation de la création de la CSA il y a 30 ans?

P-H S (Pierre-Henri Schmutz): À la suite du rejet par référendum de l’accord sur l’EEE le 6 décembre 1992, la Suisse gèle les négociations d’adhésion à l’Union européenne (UE), sans retirer formellement sa candidature. Or les architectes et les ingénieur·es suisses ont toujours été reconnu·es pour leurs compétences, et souvent sollicité·es. Nous nous sommes donc intéressé·es à ce que seraient les (nouvelles) conditions d’exercice pour les architectes et ingénieur·es suisses dans ce grand «espace de libre-marché» auquel nous n’aurions pas accès. En tant que délégué·es à la section suisse de l’UIA de la part de la SIA (R. Gonthier), de la FAS (Dieter Geissbühler) et de la FSAI (en ce qui me concerne) au comité suisse de l’UIA, nous nous sommes approché·es du Conseil des Architectes d’Europe (CAE) pour ne pas manquer une bribe de cet instant historique, pressentant qu’une page se tournait pour l’accès des architectes et ingénieur·es suisses au monde. Nous avons sollicité le soutien des président·es de la FAS, de la FSAI, de la SIA et du REG, qui avaient déjà pour habitude de se rencontrer périodiquement. Il n’a pas été difficile de les convaincre de créer une plateforme commune pour traiter les questions «internationales».

Pouvez-vous nous donner un exemple de l’influence de la Suisse au CAE?

P-H S: À ce propos, on peut juste mentionner que lors de l’élargissement de l’UE de 15 à 25 membres, les statuts et le règlement intérieur ont dû être refondus et en tant que co-président de la commission en charge de cette mission, je me suis fixé deux objectifs, (1) garantir l’accès des délégués des petits pays à toutes les fonctions du CAE y compris au Bureau exécutif et à la présidence et (2) empêcher un veto de facto, lié à la taille et donc au nombre de voix d’un grand pays. J’ai donc proposé et appliqué le principe de la double majorité lors des votes, pour garantir ces deux principes. Le CAE, l’association européenne la plus suisse!

Quel rôle la CSA a-t-elle joué dans l’organisation européenne au niveau du Registre suisse?

P-H S: Pour la fondation REG, l’héritage est essentiel, puisque sa restructuration (2006-2014) est fondée sur des hypothèses formulées et des travaux réalisés au CAE portant, d’une part, sur la reconnaissance et, d’autre part, sur l’exercice de la profession. Issues des questions posées par la mondialisation et le développement de l’UE, par la question posée en 1992 de connaître les (nouvelles) conditions d’exercice dans cet «espace de libre-marché», ces principes de validation des acquis sont un modèle de transparence pour garantir l’équité, la diversité et l’inclusion. Ils répondent ainsi non pas à la manière d’enjamber les frontières mais offrent une réponse universelle. La présence de la fondation REG dans la CSA est donc historique et conforme à la volonté des organisations suisses de fonder la reconnaissance sur les compétences.

Regina Gonthier, vous qui présidez la CSA, pourriez-vous nous expliquer son fonctionnement?

RG (Regina Gonthier): La CSA est organisée juridiquement sous la forme d’une association indépendante, mais elle se considère uniquement comme un organe commun des trois associations membres : SIA, FAS, FSAI. Dès lors, en tant qu’organisation faîtière, la CSA ne poursuit pas de politique indépendante, mais se contente de coordonner les opinions et agit dans le sens des associations. Elle est conçue comme une conférence des président·es et fonctionne selon le principe de la parité, avec comme organe suprême l’assemblée des représentant·es des associations membres (les président·es plus un·e autre délégué·e de chaque association). En effet, dès sa création en 1992-1993, il a été admis que les président·es ne pourraient pas, pour des raisons de temps, assurer personnellement la représentation dans les institutions internationales. Cette tâche a été confiée au comité de la CSA. Les mêmes personnes assurent les représentations au sein de l’UIA et du CAE – c’est un modèle qui a fait ses preuves et s’est imposé dans de nombreux pays. Il simplifie la coordination et augmente l’efficacité, car de nombreux sujets sont traités dans les deux organisations.

Quels sont les objectifs prioritaires de la CSA?

RG: Représenter les intérêts des architectes suisses au CAE et à l’UIA, et traiter des questions professionnelles d’actualité à l’échelle nationale et internationale.

Sur quels sujets vous êtes-vous engagé·es au sein de l’UIA et du CAE?

RG: Avec ses moyens et ses forces limités, la CSA n’a pu suivre au sein de l’UIA que ses thématiques principales: l’éducation, la pratique professionnelle et les concours – non sans interruptions et avec une intensité fluctuante. À ces thématiques se sont ajoutés plus récemment les objectifs de développement durable (ODD). Au sein du CAE, la représentation de la CSA a suivi les thèmes de la reconnaissance des titres et de l’accès au marché, des questions liées à la réciprocité ainsi que des exigences de qualité pour la formation et les services, en plus des marchés publics. Avec notre collègue Sibylle Bucher, récemment décédée, comme co-présidente du groupe de travail concours et marchés publics (WG ADC + PP) au CAE (2018-2021) et moi-même comme co-directrice de la commission des concours internationaux (ICC) à l’UIA, nous avons pu influencer la pratique du concours au niveau européen et mondial. On peut donc dire rétrospectivement que les 30 ans d’histoire de la CSA ont donné la priorité au concours, dû aussi aux compétences spécifiques des membres du comité.

Quel rôle la représentation à l’étranger joue-t-elle et quels avantages la profession, ou plus largement la société en retire-t-elle?

RG: La CSA joue à l’étranger un rôle d’ambassadrice polyvalente: d’une part, elle a une fonction de représentation, elle entretient des échanges internationaux et contribue à la solidarité internationale. D’autre part, elle a une fonction d’alerte, elle agit comme une antenne qui signale ce qui se passe d’intéressant à l’étranger, quelle législation ou quels standards vont nous tomber dessus. Elle profite ainsi de l’expérience et des solutions des autres pays et peut sonner l’alarme au niveau national afin de prendre des mesures à temps. La formation professionnelle continue – bientôt imposée en Suisse – en est un exemple. Parfois, la représentation étrangère rapporte des exemples stimulants, comme le pratique et ces publications irlandaises et finlandaises sur le thème Architecture and Children au milieu des années 1990, qui ont (entre autres facteurs) contribué à ce que la FAS prenne le sujet en main.

Pouvez-vous citer quelques exemples concrets de réussites de la CSA?

RG: Dans le meilleur des cas, les représentant·es de la CSA peuvent exercer une influence, par exemple sur la législation de l’UE (par le biais d’une collaboration au sein du CAE) ou sur les standards internationaux (via sa participation à l’UIA). Mais les résultats sont rarement visibles et tangibles. La contribution réside surtout dans le fait d’avoir empêché quelque chose ou d’avoir influencé une direction. Aussi, il est rare que quelque chose de spectaculaire soit atteint et divulgué. Pourtant, l’accession aux postes clés dans ces organisations internationales est une condition préalable pour pouvoir exercer une influence. Un grand succès a été obtenu avec le Guide des concours de l’UIA, qui a interprété de manière contemporaine le règlement de l’UNESCO, référence mondiale, pour les concours d’architecture et d’urbanisme et a propagé des recommandations de bonnes pratiques en accord avec la tradition suisse. L’ICC a également démontré la compatibilité des règles de l’UNESCO avec les lois européennes sur les marchés publics et a conseillé la Commission et le Parlement européen sur l’organisation de leurs propres concours. L’influence va dans les deux sens, de l’étranger vers la Suisse et vice-versa.

Quant à vous, Dieter Geissbühler, vous avez participé à la création de la CSA en 1992 et avez été un représentant actif de la Suisse au sein de l’UIA (1993-2011). Quels ont été les événements constitutifs et importants pour la CSA?

DG (Dieter Geissbühler): Outre les activités de politique professionnelle dans le cadre de l’UE, c’est surtout pour la mise en réseau internationale que les architectes suisses ont commencé à s’engager au sein de l’UIA. La Suisse a été élue au Conseil de l’UIA lors de l’assemblée générale de Pékin en 1999 et a ainsi pu s’impliquer directement dans les discussions internationales. Ensuite, il y a eu les questions urgentes de l’élaboration de la loi sur les architectes au niveau national et au niveau international la charte UIA-UNESCO qui définit les standards de formation en particulier la durée minimale de formation de cinq ans pour le titre d’architecte. Ce dernier point a été pour moi, en tant qu’architecte enseignant, une discussion passionnante. Mais nous avons également pu apporter une contribution importante à la coopération politico-­professionnelle en célébrant le 50e anniversaire de l’UIA, à Lausanne en 1998.

Lorenz Bräker, vous êtes le président de la section suisse de l’UIA et avez été vice-président de l’UIA entre 2017 et 2021. Comment décrivez-vous le rôle de la Suisse en son sein ? Le fait que le siège de l’ONU/ECOSOC se trouve à Genève a-t-il une influence sur ce rôle?

LB (Lorenz Bräker): Hormis le fait que l’UIA a été fondée en Suisse en 1948 et que notre pays est souvent cité comme référence en matière de démocratie, de stabilité et de réussite, la Suisse n’a pas de statut particulier au sein de cette organisation. La réputation et le rôle au sein de l’UIA sont acquis par ses sections membres grâce à leur engagement et aux thèmes qu’elles abordent, mais surtout grâce au sérieux de leurs représentant·es. La Suisse a occupé des postes de responsabilité au sein de cette ONG lors de sa fondation et dans les années qui ont suivi (J. Tschumi), dans les années 1970 (C.-E. Geisendorf) et à nouveau au cours de la dernière décennie (R. Gonthier et moi-même). Mais bien que l’UIA demande toujours plus de présence suisse, les engagements respectifs n’échouent généralement pas faute de candidat·es adéquat·es, mais faute de financement correspondant. Il en va de même pour la représentation de l’UIA auprès des Nations Unies, qui, pour des raisons pratiques, devrait être assurée par des Suisses. Cette présence est particulièrement nécessaire à une époque où les deux organisations sont confrontées non seulement à des questions fondamentales comme l’Agenda 2030/2050, mais aussi à des réformes indispensables de leurs propres institutions.

Jürg Spreyermann, vous êtes le chef de la délégation suisse au CAE et le trésorier de la CSA. Pourriez-vous décrire le rôle que joue la Suisse au sein du CAE et ce qu’on a pu atteindre malgré les tensions politiques entre l’UE et la Suisse?

JS (Jürg Spreyermann): Même si la Suisse ne joue aujourd’hui plus le même rôle au sein du CAE que lorsqu’il y avait P.-H. Schmutz au comité exécutif, et donc un lien direct avec la CSA, nous continuons aujourd’hui – en tant que simple membre –, à jouer le rôle de lanceur d’alerte pour nos associations: le CAE est en contact direct et permanent avec la Commission européenne et donc avec les thèmes qui apparaîtront forcément dans l’agenda politique suisse. Il est en outre tout à fait possible de prendre le leadership sur des thèmes tels que les concours ou la Culture du bâti à partir de cette position, pour autant que des personnes compétentes puissent être déléguées dans les groupes de travail respectifs.

Comment la CSA est-elle financée et quelle est la spécificité du modèle suisse de financement?

JS: C’est une difficulté: la CSA est financée exclusivement par ses trois associations membres (SIA, FAS et FSAI). Or, la moitié du budget de la CSA (qui pèse déjà considérablement sur le budget des membres) sont les cotisations aux deux organisations CAE et UIA. Il reste donc peu de marge pour couvrir les frais d’une présence minimale de la délégation suisse. Dans ces conditions, l’occupation de postes-clés dans les organisations internationales dépasse clairement les limites du système de milice et remet en question la présence de la Suisse dans ces organisations, et ainsi l’opportunité d’y assumer des fonctions d’ambassadrice.

Enfin, Doris Wälchli, vous avez rejoint le comité de la CSA il y a un an et êtes membre suppléante du conseil de l’UIA. Quel regard portez-vous sur les conditions et les perspectives de cet engagement international?

DW (Doris Wälchli): Après une année, j’ai pu constater que la position de la Suisse est écoutée et respectée, aussi bien au CAE qu’à l’UIA. Même en étant un «petit pays» notre influence est notable et, dans l’avenir, il s’agira de conserver cette bienveillance des autres pays pour continuer à défendre les intérêts de notre profession et plus globalement s’engager pour la qualité de l’environnement construit. Je prends comme exemple les discussions sur la Culture du bâti, un sujet amené au niveau européen par la Suisse, notamment à travers la déclaration de Davos. Cette notion est aujourd’hui reprise par l’UE dans son programme New European Bauhaus. Le CAE vient de créer un groupe de travail spécifique dans lequel nous nous engagerons. Dans ce même sens, nous initions une intervention commune entre le CAE et la Région Europe de l’ouest de l’UIA pour amener la notion de Culture du bâti au niveau international. Comme en diplomatie, l’engagement dans la politique professionnelle internationale est un travail de longue haleine – et pas forcément visible. Après une année, je me rends compte qu’il faut des années d’expérience avant de saisir les subtilités du fonctionnement des deux organisations et créer les liens nécessaires pour opérer efficacement. Ces échanges à l’international sont indispensables pour rester informé et influencer les décisions sur la pratique de notre métier.

Regina Gonthier est architecte à Berne, et membre fondatrice et présidente de la CSA depuis 2006, membre du Conseil UIA 2021-2023.

 

Lorenz Bräker est architecte à Lausanne et membre du Comité de la CSA depuis 2011, président de la section suisse de l’UIA.

 

Jürg Speyermann est architecte à Zurich et membre du comité de la CSA depuis 2010, chef de délégation au CAE.

 

Doris Wälchli est architecte à Lausanne et membre de la CSA depuis 2021.

 

Pierre-Henri Schmutz est architecte à Nidau, membre ­fondateur et président de la CSA entre 1998-2006, directeur du REG, fondation des registres suisses depuis 2006.

 

Dieter Geissbühler est architecte et professeur HES à Lucerne, membre fondateur et membre du comité de la CSA 1992-2012.

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