« Ce que les ar­chi­tectes des­si­nent, on peut le cons­truire en bois »

Hermann Blumer, ingénieur spécialisé dans la construction en bois, s’exprime sur les doutes des maîtres d’ouvrage du projet à Stavanger et les arguments qu’il a fallu déployer pour les convaincre des avantages de la construction en bois.

Date de publication
18-05-2021

espazium: Votre ténacité est portée par votre passion lorsqu’il s’agit de réaliser des constructions en bois. En quoi a-t-elle contribué au choix d’une structure porteuse en bois pour le bâtiment de la banque à Stavanger ?
Hermann Blumer: Dans ce cas, la structure porteuse ne devait pas être construite en bois. Le maître d’ouvrage estimait qu’il était plus sûr et plus économique de construire en béton. Même le constructeur bois n’était pas convaincu que le concept architectonique que nous proposions pouvait être réalisé dans ce matériau. Il s’agit en effet d’une construction délicate, risquée dans ses dimensionnements et dans son échelle. Ce n’est pas que la hauteur de ce bâtiment en bois soit exceptionnelle. C’est surtout la longueur et la minceur des porte-à-faux qui les rendaient sensibles aux vibrations et aux déformations. Au départ, nous avons eu du mal à résoudre ces aspects statiques et à satisfaire aux exigences strictes REI90 de protection contre les incendies en Norvège.

Néanmoins, vous avez trouvé des arguments qui ont convaincu les sceptiques.
Mon principe est le suivant : ce que les architectes dessinent peut être construit en bois. Je m’attaque au projet architectonique et au concept correspondant avec la forte envie de le réaliser et j’essaie ensuite, parfois pendant des mois, de trouver une construction qui sous-tende cette image architectonique. Pour ce faire, j’ai besoin d’intuition et de l’inspiration décisive, en espérant qu’elle surgira effectivement la plupart du temps (rires). Mais il faut être patient pour trouver les solutions conceptuelles. Nous avons pu profiter de projets antérieurs tels que le bâtiment Tamedia à Zurich, pour lequel nous avons développé des assemblages avec des chevilles en bois que nous avons réutilisés ici sous une forme similaire. En fin de compte, les facteurs décisifs ont été une comparaison des coûts avec une variante en béton qui n’était pas sensiblement moins chère, et une maquette sur laquelle nous avons testé tout ce qui était considéré comme critique en termes d’exécution. Le revirement du constructeur bois et du maître d’ouvrage n’était pas évident. Mais il a eu lieu.

Saviez-vous alors que la structure porteuse serait réalisable dans tous ses détails et ses assemblages spécifiques?
Non. Au début, le projet architectonique de la structure porteuse induisait de risquer le tout pour le tout et les escaliers étaient un vrai fouillis. Mais avec mes calculs rudimentaires, la phase de recherche de solutions et l’étude de faisabilité, je suis arrivé à un point où j’étais confiant dans le fait de pouvoir prendre le risque de présenter une telle proposition au maître d’ouvrage, avec une conviction que l’on souhaite porter ensemble et assumer en tant qu’équipe. Et ce justement parce que la responsabilité est subjective – combien est-ce que j’attends de moi, combien attendons-nous de nous, combien attendent-ils d’eux-mêmes ? Je suis toujours heureux de rencontrer des planificateurs assoiffés de connaissances et désireux de mettre en œuvre des projets. C’est ainsi que de nouvelles choses peuvent être créées.

Le plus important était d’insérer dans le projet architectonique un système qui répondrait aux exigences statiques et spécifiques à la prévention des incendies, avec ses portées et ses dimensions, sa rigidité et son élancement. Cela nécessite de pratiquer l’art de l’abstraction et de la simplification. On esquisse, on conçoit et on effectue les mesures statiques préliminaires. Tout simplement avec un système de poutraison. Cela nous donne la sensation des déformations. Dans un premier temps, les déformations sont pour moi plus importantes que les contraintes. Un porte-à-faux ne doit pas trop s’affaisser. Et, si c’est le cas, il faut rechercher des solutions comme une surélévation et/ou un raidissement.

Si le système oscille trop, la hauteur statique est augmentée ou une diagonale est intégrée, ce qui n’est généralement pas apprécié par les architectes. Ce sont les aspects statiques importants qui peuvent être estimés ou limités au début avec des moyens rudimentaires. Des recommandations essentielles pour l’architecte peuvent alors être faites dès le processus de conception architectonique. Cependant, pour en arriver là, il faut de l’expérience. C’est élémentaire pour ce processus. Il faut en effet avoir la certitude que cela va marcher pour pouvoir poursuivre.

Ce n’est pas si facile lorsque les structures porteuses sont hors norme.
Ce n’est pas décisif. La question est plutôt de savoir comment obtenir les bases pour concevoir une construction sûre même en dehors de domaines normalisés. Des essais et des expériences peuvent aider dans ce domaine, comme pour le bâtiment Tamedia ou le Centre Pompidou à Metz.

Mais un maître d’ouvrage qui n’est pas convaincu par le projet ne paiera guère pour les essais.
C’était aussi en partie le cas à Stavanger. Ils ont payé pour la maquette mais pas pour les tests, que nous avons assumés financièrement en les comptabilisant en formation continue et en recherche. Il est parfaitement vrai qu’il est très difficile de réaliser une construction en bois quand le client a des doutes, à moins que l’équipe de projeteurs ne soit persévérante et s’accroche à son idée avec passion. Cela permet de donner vie à des projets totalement novateurs. Il vaut donc la peine d’investir sans cesse du temps et de l’argent. Il est également utile d’assister les ingénieurs externes, afin qu’ils soient eux aussi en mesure de construire de telles structures en bois à l’avenir – qu’il s’agisse de grands projets comme celui de Stavanger ou de petits bijoux comme le pavillon Emma Kunz à Waldstatt. Nous obtenons à la fin les connaissances préalables nous permettant de perfectionner nos nouveaux projets. Le maître d’ouvrage est en fin de compte satisfait. Le directeur de la banque s’est excusé officiellement auprès de nous lors de la cérémonie d’inauguration pour avoir douté de nous. Il est lui aussi maintenant mieux informé et, grâce à notre persévérance, il a obtenu un siège qui suscite une attention positive dans le monde entier – une réputation inestimable.

Clementine Hegner-van Rooden est ing. civil dipl. EPFZ, journaliste spécialisée RP et correspondante TEC21.

Cet article a été publié en langue originale allemande dans TEC21 5/2021.

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