Bé­ton en mu­ta­tion

Notre besoin grandissant en ressources naturelles, reflet d’une croissance démographique et d’un niveau de vie élevé, n’est pas durable au vu de l’empreinte matérielle relevée en Suisse. Dès lors, utiliser du béton à partir de granulats recyclés permettrait d’économiser de la matière primaire. Mais d’autres voies se dessinent, comme celle suivie par FAZ architectes, qui réemploient du béton issu de la déconstruction.

Date de publication
20-09-2021

Préservation des ressources minérales et hydriques, des paysages et de la biodiversité, neutralité carbone… Les enjeux écologiques seraient-ils de taille à faire tomber le béton de la place qu’il occupe au sommet de la pyramide des matériaux de construction? Aujourd’hui, il reste abondant et bon marché, et maintient l’attractivité de la construction neuve, car il découle d’un procédé facilement reproductible. Un corps liquide et visqueux fait de sable, de gravier et de ciment additionnés d’eau est coulé dans un coffrage dont il adopte la forme. La matière se fige en dégageant de la chaleur; elle se solidifie irréversiblement. Bien qu’employé en faible quantité – 12 % en moyenne – le ciment péjore fortement l’empreinte carbone du béton1. Pour fabriquer du ciment, deux composants de base, le calcaire et l’argile sont chauffés à 1450° C. S’ensuit une réaction chimique qui transforme le carbonate de calcium (CaCO3) en oxyde de calcium (CaO ou chaux) tout en rejetant du dioxyde de carbone (CO2). Cette émission naturelle appelée «décarbonatation» rejette plus de CO2 que les fours maintenus à haute température. Le clinker obtenu est ensuite additionné de gypse et d’autres additifs qui conditionnent la qualité du ciment.

Le béton recyclé, un pas vers la circularité

La plus grande partie du gravier et du sable, matières primaires qui entrent à plus de 80 % dans la composition du béton, peut théoriquement être remplacée par des composants issus du recyclage, triés pour obtenir des produits satisfaisant aux normes. Le béton recyclé utilise des granulats provenant de la démolition. Cependant, la mise en œuvre du béton recyclé nécessite davantage de matière pour atteindre des propriétés physiques similaires au béton traditionnel. Si pour un béton maigre, aucun ajustement n’est nécessaire, pour un mur porteur par contre, il faudra ajouter de l’épaisseur. En mettant à profit des matières récupérées (85 % du béton traité peuvent être recyclés en granulats et 15 % seulement finissent en décharge), les ressources naturelles sont moins sollicitées et les déchets deviennent moins encombrants. Les ingénieurs peinent pourtant à adopter ce nouveau matériau, car il comporte un surplus de calculs qui ne leur simplifie pas la tâche. Et même s’il n’apporte pas de solution à tout point de vue – il contient autant de ciment – il constitue une réponse intéressante. Pour l’heure, la substitution de matériaux primaires par des composants secondaires est assurée en faible proportion seulement, puisqu’environ 6 millions de tonnes de béton sont issues de la démolition, pour 40 millions de tonnes de ce même matériau malaxé chaque année2.

Une économie verte

Lors de sa séance du 19 juin 2020, le Conseil fédéral a décidé de mettre l’accent sur une meilleure efficacité quant à l’utilisation des ressources et sur la promotion d’une économie circulaire. Ainsi, l’économie verte tiendrait compte du caractère limité des ressources naturelles et des capacités de régénération des ressources renouvelables. En Suisse, l’empreinte matérielle2, qui indique la quantité totale de matières premières extraites, s’établissait à environ 17 tonnes par personne en 2019 (RMC). Or, pour que cet indicateur soit supportable à long terme au niveau de la planète, il faudrait qu’il ne dépasse pas 8 tonnes. Le patrimoine bâti suisse correspond à environ 3200 millions de tonnes de matériaux de construction, principalement du gravier, du sable et du béton3. De là à l’imaginer comme une immense réserve susceptible d’alimenter une économie circulaire, il n’y a qu’un pas, que FAZ architectes a allègrement franchi.

Un béton de réemploi

À Meyrin (GE), une solution originale basée sur le réemploi de béton habille le sol de deux hangars; l’un étant implanté dans le Jardin botanique alpin, l’autre aux abords du stade des Arbères. À l’intérieur de ces espaces, des dalles issues du réemploi sont soigneusement assemblées et se substituent à un radier qu’il aurait fallu sinon couler sur place. Le pavement, dont les joints sont remplis de pesette, se prolonge vers l’extérieur et devient une surface carrossable et perméable. Et lorsqu’elle se transforme en une place de lavage ou en parking pour véhicules, les joints sont étanchés par du sable et de la chaux. L’entreprise chargée des travaux n’avait jamais répondu à un appel d’offres aussi particulier. Les dalles qui ont été sciées proviennent de divers chantiers genevois, dont celui d’un théâtre de Carouge en complète transformation. Ce dernier a fourni des éléments reconnaissables par leurs incrustations en marbre noir. D’autres dalles provenaient de rebuts, dont des éléments préfabriqués mal dimensionnés. La pose des premières pierres artificielles était complexe, mais la technique s’est précisée au fil du temps. Pour les architectes, apprendre du chantier impliquait une certaine dose d’humilité. En contrepartie, sortir des sentiers battus leur offrait une nouvelle liberté.

Un laboratoire bas carbone

Le projet aux Arbères était une commande directe du maître d’ouvrage, qui souhaitait en faire un laboratoire bas carbone et écologique. Outre les dalles de réemploi, un mur d’enceinte a été coulé à partir de fonds de toupies issus de bétons livrés sur divers chantiers. Par ailleurs, ce mur est fondé de semelles ponctuelles qui économisent la matière. Le réemploi de béton, malgré des coûts de déconstruction supplémentaires, s’aligne sur les prix d’une solution classique. Sur ce point, Francesco della Casa est formel, le réemploi est économique. L’architecte cantonal souhaite en effet établir les bases légales d’une économie circulaire à Genève, car elle diminue la quantité de déchets, met en place des circuits courts pourvoyeurs d’emplois. Cela implique cependant d’enrayer une logique de démolition pour une déconstruction. Nonobstant, le réemploi, qui réclame de la créativité, pourrait redonner un élan face à une production jugée trop standardisée. De plus, fonder des projets à partir d’une matière dotée d’une histoire offre une valeur ajoutée à la ville, dès lors qu’elle ne s’efface plus face à la nouveauté, mais se réinvente.

Notes

 

1. Il existe sur les marchés six grands types de béton dont la composition varie selon la nature et la proportion des constituants. Jusqu’à récemment, on utilisait majoritairement le ciment Portland, ou CEM I, comprenant 95 % de clinker. Pour des raisons écologiques, il est remplacé aujourd’hui par le CEM II. Swisstopo, Matières premières nécessaires à la fabrication du ciment – Besoins et état de l’approvisionnement en Suisse, Wabern, décembre 2020

 

2. L’empreinte matérielle indique la quantité totale de matières premières utilisées en Suisse ou à l’étranger pour satisfaire la demande de biens et services. L’indicateur comptabilise les matières premières consommées tout au long du cycle de vie des produits. L’extraction, le transport, l’utilisation et l’élimination des matières premières génèrent des impacts sur l’environnement dans la mesure où ils requièrent des terres et produisent des émissions.

 

3. OFEV, Déchets et matières premières: En bref, bafu.admin.ch, d’après la version en ligne modifiée le 10.05.2021

Deux hangars, au Jardin botanique alpin et au stade des Arbères, Meyrin (GE)

 

Architecte: FAZ architectes, Genève

 

Maître d’ouvrage: Ville de Meyrin

 

Ingénieur civil: Ingeni, Structural Engineering, Genève

 

Entreprise en génie civil: Immotech Construction + Scrasa, Satigny

 

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