Ar­chi­tec­ture et fé­mi­nismes in­ter­sec­tion­nels

Des nouvelles actrices redéfinissent le rôle des femmes architectes

Date de publication
20-04-2017
Revision
24-04-2017

En 2017, l’architecture dans le monde occidental demeure une discipline exercée principalement par des hommes blancs. Aux Etats-Unis, où il est plus simple d’obtenir des statistiques sur ces questions, les hommes blancs représentent 74,9 % de la profession (LA Times, 2016) – on peut supposer que cette proportion est encore plus importante en Europe. Néanmoins, une simple visite dans une école d’architecture peut nous donner des raisons d’espérer que ce chiffre sera nécessairement en chute libre dans les années qui viennent, tant la proportion d’étudiantes semble s’être équilibrée, voire avoir dépassé celles des étudiants. En France, si l’on se sert des chiffres de l’Ordre des architectes français.e.s (47 % des inscrit.e.s étaient des femmes en 2016), la parité semble également être à portée de main, mais il faut lourdement insister sur le fait que les postes à responsabilités sont actuellement tenus par des hommes à 72 % (chiffres 2011) et la différence dans les salaires est également symptomatique de l’inégalité des genres dans le monde du travail. Les chiffres qui pourraient illustrer les discriminations raciales sont quant à eux beaucoup plus difficiles à rassembler, mais la sous-représentation des personnes de couleur dans la profession peut être comprise à l’aune des logiques discriminatoires (souvent postcoloniales) à l’œuvre plus généralement au sein de ces sociétés.
Constatant cette réalité, on peut sans doute se réjouir de toute initiative visant à promouvoir les architectes femmes et/ou de couleur. Des sites d’information en ligne friands des listes de type «25 endroits du monde que vous devez absolument voir avant de mourir!» ou «Ces 15 photos de chatons vont égayer votre journée!» ont ainsi également publié «10 femmes architectes qui ont réussi et que vous devez connaître» (arch2o, 2017) et «16 architectes de couleur parlent du problème racial de leur secteur» (curbed, 2017). De manière plus fondamentale, de nombreuses militantes sont désormais mobilisées pour dénoncer tout panel ou colloque n’incluant aucune femme ou en proportion outrageante. La critique Mimi Zeiger incarne un exemple certain en la matière. En janvier 2017, elle dénonçait ainsi l’annonce de la série de conférences du printemps 2017 de l’école d’architecture de Sci-Arc (Los Angeles) qui n’y avait inclus aucune femme praticienne. Inversement, l’école d’architecture de Carnegie Mellon (Pittsburgh) a provoqué un élan d’optimisme le mois dernier en annonçant que sa série de conférences de 2017 ne compterait que des femmes.
Un militantisme féministe est donc à l’œuvre pour sensiblement changer la donne genrée en termes de représentation au sein de la discipline. Néanmoins, je ne pense pas trahir ce militantisme en observant que la représentation, bien que cruciale, ne peut pas être la seule dimension du combat féministe intersectionnel. Cette observation concerne l’essence même de l’architecture. Celle-ci est fondamentalement une discipline mobilisant les relations de pouvoir dans sa fonction d’organiser les corps dans l’espace. Ainsi l’architecture n’est pas seulement une discipline exercée par des corps « dominants », elle construit également des espaces qui tendent à renforcer une telle domination. Les logiques à l’œuvre par l’intermédiaire de l’architecture sont ancrées à une telle profondeur que seul un travail de déconstruction radicale de ces logiques peut avoir l’ambition de véritablement changer la manière dont le pouvoir s’exerce au sein des espaces créés.
C’est ainsi que me viennent en tête les travaux d’un certain nombre d’architectes ayant entamé une telle déconstruction. Tings Chak documente les centres de détention de personnes sans-papier au Canada, ainsi que les chambres-placards des travailleuses domestiques de Hong Kong. Lori Brown tente de concevoir des petites cliniques dont les conditions architecturales permettraient à des femmes d’avorter protégées des antagonismes extérieurs. Olivia Ahn examine de manière extrêmement précise la manière dont la maison suburbaine américaine est conçue comme un espace de travail genré, ainsi que les conditions d’accouchement en incarcération à Rikers Island (New York). Au même moment, Haneen Odetalla et Adele Jarrar, jeunes diplômées palestiniennes, s’interrogent sur la manière de concevoir une architecture à Gaza indépendamment de l’apartheid israélien. Aux Etats-Unis, Alicia Ajayi, Melisa Betts et Whitney Hansley imaginent chacune des projets résidentiels et culturels combattant les discriminations structurelles à l’encontre des communautés afro-américaines. Avant elles, Madeline Gins et Shusaku Arakawa dessinaient un immeuble d’habitation à Tokyo dont le corps référant était celui, sourd et aveugle, d’Helen Keller. Les exemples d’architectures féministes et/ou antiracistes et/ou décoloniales et/ou queer et/ou orientées autour des corps dits «handicapés» ne manquent pas à qui veut bien les chercher/créer.

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