An­thro­po­lo­gie dans l’es­pace

Rétrospective de l’œuvre d’Yves Bélorgey au Mamco à Genève

Des immeubles modernes d’habitation construits entre les années 1950 et 1970. Voilà le motif pictural exclusif de l’artiste français Yves Bélorgey. Présenter un certain état de l’architecture moderne par le truchement du dessin et de la peinture : un programme qu’il a commencé à s’imposer il y a 20 ans, s’imaginant alors répondre à une commande publique fictive.

Date de publication
12-11-2012
Revision
01-09-2015

L’immeuble, vu de près ou de loin, constitue le sujet des toiles et des dessins de l’artiste français. Destinés à abriter des gens, les édifices reproduits par Yves Bélorgey n’en gardent pourtant que la trace – une porte ouverte, un habit suspendu à un cintre pour sécher, des détritus épars. « En observant ces peintures d’immeubles où vivent des gens, mais sur lesquelles ils ne sont pas représentés, c’est le spectateur lui-même qui devient un habitant », explique Yves Bélorgey l’autre jour, autour d’un café à la table d’un bistro genevois.
« Je ne cherche pas à donner du prestige à quelque chose – l’immeuble d’habitation moderne – dont je peux parfois comprendre le rejet. Je cherche à rétablir une sensation première. » Le travail d’Yves Bélorgey est aussi le témoin d’un moment charnière de l’histoire de l’architecture : dès les années 1950, bien avant l’avènement de l’ère numérique, la construction d’un type particulier d’habitats, aux formes modernistes, se généralise. Des moyens modernes de l’architecture sont mis au monde et transmis à travers lui. A ce titre, le travail du peintre français constitue « un grand testament de la modernité », comme l’a souligné Christian Bernard, directeur du Musée d’art moderne et contemporain de Genève (Mamco), lors de la conférence de presse qui inaugurait le cycle automnal de l’institution.
Pour s’adonner à son programme d’archipeinture, Yves Bélorgey roule sa bosse de ville en ville, photographie des barres sous différents angles, s’informe sur l’histoire des bâtiments et restitue la vision qu’il en a eu à l’aide de la peinture ou du dessin. A ce jour, il a peint plus de 200 immeubles et s’est ainsi constitué une collection d’édifices d’habitation de multiples pays. En terres helvétiques, l’artiste français n’a peint que Les Avanchets1, à la suite d’une suggestion faite par le Mamco, qui lui a proposé de peindre des immeubles genevois. « J’ai choisi Les Avanchets, car la question de la couleur m’intéressait beaucoup dans cet ensemble de logements. Son côté cubiste aussi. » Depuis 2004, Yves Bélorgey se penche sur les travaux d’architectes en particulier, comme Jean Renaudie ou Emile Aillaud. « En Suisse, j’ai le projet de m’intéresser aux constructions de l’Atelier 5. »

Aller-retour entre l’architecture et la peinture

Le travail d’Yves Bélorgey est le témoin d’un certain état de l’architecture, mais englobe aussi plusieurs étapes de l’histoire de la peinture. Bien que figuratives, ses toiles de 2,40 x 2,40 mètres ont adopté le format carré de la peinture abstraite. Des toiles qui rappellent la peinture de paysage, mais aussi l’expressionnisme par certaines couleurs, par la matérialité de la peinture, qui est parfois appliquée au couteau : « Je refuse l’all-overisation2 de la surface picturale, son homogénéisation. » Le support varie : pour la série consacrée aux Avanchets, Yves Bélorgey a appliqué de la peinture sur un panneau Isorel, un support qui induit un « aller-retour entre l’architecture ou la construction et la peinture ».
La rétrospective consacrée au peintre français occupe la quasi totalité du second étage de l’institution genevoise. Elle présente les toiles qu’Yves Bélorgey a réalisées il y a un peu plus de 20 ans et qui anticipent son travail actuel, ainsi que des tableaux et des dessins qui s’inscrivent dans le programme mis en place par le peintre en 1993. Au total, plus de 80 œuvres sont exposées.
Une salle est consacrée à des dessins en noir et blanc, du graphite rehaussé de pastel bleu. Il flotte ici une douceur irréelle, ouatée. D’autres salles présentent indifféremment dessins et peintures, sans que les uns prennent visuellement le dessus sur les autres, sans que soit créé un hiatus plastique entre ces deux médiums. Un troisième espace donne à voir différentes œuvres qui représentent des façades sous un angle de vue très proche. Au milieu de ces toiles immenses, presque collées les unes aux autres, le visiteur se sent un peu voyeur, éprouve le sentiment tout à la fois étrange et excitant de pénétrer dans une cour d’immeubles qu’il n’habite pas.
Plus loin, trois toiles reproduisent les tours de Glasgow, construites par Sam Bunton en 1966. Des tours qui apparaissent d’ailleurs dans un plan du dernier film de Ken Loach, The Angel’s Share. Ce qui nous a particulièrement marqué dans cette exposition ? Une série de dessins en noir et blanc très contrastés, suspendus dans le couloir. La vingtaine d’œuvres, de plus petit format que les autres, a été réalisée au Japon. L’un des dessins représente les « Rokko Housing » de Tadao Ando, datant de 1989. Envoûtant.
A noter aussi une scénographie quelque peu déroutante. L’accrochage, très resserré, donne l’impression de vouloir tout montrer. Un parti pris qui rappelle les vues d’exposition d’avant-garde du début du 20e siècle. « L’espace large entre les tableaux, voire même la règle parfois d’un tableau par mur s’est imposé avec une nouvelle architecture des musées et l’art abstrait américain. Pourquoi devrais-je continuer à subir cette sorte de convention ? », réplique Yves Bélorgey en guise de conclusion. 

 

Notes

 

1 Cité de 6 000 habitants construite dans les années 1970 par Steiger Partner AG, Benjamin Förderer et Franz Amrhein
2 Néologisme tiré du terme « all-over », utilisé pour caractériser le travail de peintres inscrits dans le courant de l’expressionnisme abstrait, notamment Jackson Pollock. Désigne une composition sans points privilégiés. « Anthropologie dans l’espace »Jusqu’au 20 janvier
Mamco, 10 rue des Vieux-Grenadiers, 1205 Genève
Du mardi au vendredi de 12h à 18h / samedi et dimanche de 11h à 18h
Commentaire sur l’exposition en présence de l’artiste le mardi 8 janvier à 18h30

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