J’au­rais tant ai­mé dé­tes­ter

Amphithéâtre romain de Nyon (VD)

Les expériences en réalité virtuelle proposées par la Ville de Nyon (VD) pour remettre en valeur son ­amphithéâtre romain montrent le potentiel de certaines technologies émergentes pour créer un langage commun entre expert·es et profanes; condition fondamentale pour une approche plus critique, plus démocratique et donc plus qualitative de notre cadre de vie.

Publikationsdatum
04-03-2022
Cedric van der Poel
Codirecteur d'espazium.ch, espace numérique des éditions pour la culture du bâti

Ma propre culture du bâti s’est principalement construite et développée en lisant des livres, des rapports, en étudiant des plans de quartier ou encore en prenant part à des visites gui­dées explicitant la rationalité constructive. Et, bien que je sois aujourd’hui entièrement dévoué au développement numérique des éditions espazium, je suis fondamentalement un homme de la fin 20e siècle, dont les structures mentales ont de la difficulté à comprendre, adopter et parfois même accepter la digitalisation du secteur. Mais, dernièrement, une expérience m’a fait basculer corps et âme dans le 21e siècle et m’a amené à comprendre comment les nouvelles technologies de représentation spatiale peuvent être un outil sensoriel, voire sensuel, absolument sans équivalent, tant pour la participation que pour l’aide à la prise de décision politique.

Noviodunum et les péripéties de Jules

En 1996, lors de travaux de terrassement en vue de la construction d’un immeuble de logements, un amphithéâtre de l’époque romaine est découvert au centre de Nyon. Remarquable par sa taille – 50 m dans son grand axe et 36 m dans son petit axe – et par son état de conservation, la Ville de Nyon et le Canton de Vaud entament immédiatement les démarches en vue de sa conservation. Avec succès. En 1997, l’amphithéâtre de Noviodunum est ainsi classé monument historique.

Vidéo: Cedric van der Poel explique son choix.

Dans le but de protéger les vestiges et d’ouvrir le site aux citoyen·nes et à d’autres activités, les autorités lancent un concours d’architecture remporté en 2002 par le bureau Bernard Pahud architectes. Le projet Jules épouse parfaitement la topographie du caveau antique habillé d’une tour à l’ouest et d’un mur monumental à l’est, mais empiète sur des parcelles voisines et rencontre de très nombreuses oppositions. Malgré un redimensionnement et un plan de quartier réalisé dans la foulée, le projet de valorisation s’enlise pendant plus de 20 ans.

Motivé par la création de la Fondation pour le développement du Musée romain et par une motion soutenue par l’ensemble du conseil communal, l’exécutif de Nyon sort en 2020 le projet de sa torpeur. Il mandate le bureau TYPICALOFFICE pour tester auprès de la population les usages possibles du site et «réaliser physiquement un projet contem­porain – issu de Jules – et fruit d’un processus de dialogue participatif et fédérateur».

Le virtuel à la rescousse

Critique par rapport au mandat et à la démarche, le bureau genevois propose dans un premier temps d’interroger l’espace et pose la question, épineuse et lancinante, de la pertinence du projet architectural Jules. En effet, le résultat d’un concours lancé il y a plus de 20 ans répond-il encore aux exigences publiques, environnementales et spatiales d’un espace public contemporain?

Vous pouvez en savoir plus sur la culture de bâti: qualité et critique dans notre e-dossier.

Pour y répondre, les architectes ne vont pas prendre la voie classique de visites et d’ateliers participatifs mais celle, à ma connaissance encore inédite en Suisse, de la réalité virtuelle, pour permettre de comprendre collectivement un enjeu d’urbanisme en développement. Avec les développeurs ARTANIM et la vidéaste Anna MacIver-Ek, ils vont construire une scénographie immersive composée de trois expériences spatiales virtuelles et la présenter à la population nyonnaise et à des professionnels du domaine, lors de deux week-ends organisés sur le site même de l’amphithéâtre. Au menu:

  • Noviodunum: une expérience historique fondée sur la reconstruction scientifique de l’amphitéâtre à l’épo­que romaine;
  • Projet Jules II: une expérience architecturale permettant de découvrir le projet lauréat du concours;
  • Rêverie bestiaire: une expérience artistique durant laquelle les participant·es sont immergé·es dans une illustration colorée et fictive où faune et flore ont reconquis les vestiges de l’amphithéâtre.

Langage commun

Ces scénarios ont plongé in situ visiteur·euses dans plusieurs réalités temporelles et spatiales et ont amené profanes et expert·es à éprouver l’espace et le temps. Pour l’avoir vécue, l’expérience est intense, physique, et presque jubilatoire. Grâce à l’intelligence des concepteur·trices de ne pas avoir séparé le projet virtuel de la réalité physique du site. Superposées aux traces des vestiges romains et à leur environnement bâti et paysager, les réalités virtuelles m’ont plongé dans des entrelacs entre l’intime et le collectif, entre histoire et futur, entre enthousiasme des possibles et perplexités de l’existant.

Mais, au-delà du ressenti individuel, les retours sur expérience recueillis par un questionnaire et lors de deux ateliers d’une journée ont démontré les qualités indéniables de ce processus notamment à l’heure où la participation et le dialogue entre les personnes qui vivent dans un lieu, celles qui mènent des projets et celles qui prennent les décisions politiques, sont les conditions sine qua non de la fabrique urbaine.

En effet, là où les documents techniques – plans, coupes, axonométries, plans de quartier – ont, au mieux, exclu du débat un grand nombre de personnes, au pire, cristallisé les antagonismes, la réalité virtuelle, et l’expérience incarnée et cognitive qu’elle a fait vivre aux personnes présentes, ont permis de développer les bases d’une représentation et d’un langage communs. Elles ont mis au service de la communauté des connaissances multi­disci­pli­naires – archéologique, urba­ni­stique, architecturale et paysagère – et ont permis d’appréhender très directement, de manière intuitive et à échelle humaine, l’impact des projets présentés sur l’environnement et le quartier.

À vrai dire, j’aurais tant aimé détester cette expérience, mais force est de constater le potentiel impressionnant d’un tel outil pour le développement d’un langage commun et donc d’une gestion plus participative et démocratique de l’espace urbain. Quant à l’avenir de l’amphithéâtre de Noviodunum, il est maintenant entre les mains du politique. Deux choix se présentent à la municipalité de Nyon: adapter une nouvelle fois le projet Jules, ou remettre en question le plan de quartier, suivre les pistes, certes plus critiques, mais plus qualitatives qui ont émergé lors des deux ateliers et souligner ainsi que la qualité de notre espace bâti se dessine surtout collectivement dans des processus innovants.

Cet article a été publié dans le numéro spécial «Culture du bâti: qualité et critique». Commandez dès maintenant!

Amphithéâtre romain de Nyon (VD)

 

Intervenants
Maître d’ouvrage
Ville de Nyon

 

Architecte
TYPICALOFFICE, Genève

 

Vidéaste
Anna MacIver-Ek, Zurich

 

Développeur
ARTANIM, Genève

 

Consultants
Musée romain de Nyon, Archeodunum et Bernard Pahud architecte

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