RE:CRE­TE - une pas­se­rel­le en bé­ton de ré­em­ploi

Des chercheurs du Smart Living Lab de Fribourg ont construit une passerelle piétonne de 10 mètres de portée à partir de 25 blocs de béton issus de murs initialement destinés à être démolis. Ils ont présenté ce démonstrateur au public lors de son vernissage à blueFactory, le lundi 11 octobre dernier.

Publikationsdatum
12-10-2021

Le réemploi des matériaux de construction a longtemps été une évidence. De nombreux bourgs et châteaux du Moyen Âge désaffectés ont ainsi servi de carrière pour la réalisation de nouveaux édifices: de l'urban mining avant l'heure! Alors que les questions d'énergie grise s'invitent de plus en plus dans le débat public, l'intérêt pour le réemploi va croissant, particulièrement pour des matériaux à fort impact environnemental comme le béton. "La production de ciment est responsable de 7% des émissions anthropiques de CO2. Le béton constitue 30% des déchets de démolition. En fin de vie, il est aujourd’hui, au mieux, réduit en gravier ou en granulats pour constituer de nouveaux bétons recyclés, ce qui demande à nouveau beaucoup d’énergie. À la place, découper et réemployer les blocs tels quels évite la production de nouveau ciment et la génération de déchet inerte. Le nouveau bilan carbone n’est pas nul mais est drastiquement réduit", explique Corentin Fivet, directeur du Laboratoire d’exploration structurale (SXL) de l'EPFL. «Il y a de nombreuses craintes qui freinent le réemploi du béton. Nous voulons montrer que ces craintes sont majoritairement infondées et que les éléments de réemploi sont fiables et tout aussi utiles que les neufs», poursuit-il.

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Arc précontraint

Pour déconstruire ces craintes, les chercheurs du SXL se sont lancés dans la réalisation de la passerelle. Le chantier de transformation d’un immeuble construit il y a moins de dix ans et situé à environ une heure de route de Fribourg leur a servi de source pour les éléments de béton aux caractéristiques appropriées. À la demande des chercheurs, l'entreprise de démolition a scié les pièces aux bonnes dimensions et percé les blocs ainsi obtenus d’un bord à l’autre afin de pouvoir y faire passer les câbles de précontrainte nécessaires à la construction de l’arc. Ces blocs, d'une épaisseur de 20 cm, ont ensuite été posés sur un cintre en bois. L’ajout de mortiers aux joints a permis de compenser les variations dimensionnelles des pièces, problématique inhérente au réemploi. Après l'application de la précontrainte, l'ouvrage a fait l'objet d'essais de charge. Les mesures effectuées ont confirmé la validité du concept. C'est donc sans crainte que 25 personnes, une par bloc, ont pu monter ensemble sur la passerelle lors de son vernissage.

Réduction de deux tiers des émissions de CO2

Si l'ouvrage répond aux attentes d'un point de vue statique, qu'en est-il de son bilan écologique? Selon les résultats présentés par Maléna Bastien Masse, post-doctorante au Laboratoire SXL, les émissions de CO2 de la passerelle en béton de réemploi correspondent à 30% de celles qu'auraient produites une construction neuve. Ces mêmes calculs ont également indiqué qu'un tiers environ des émissions sont liées au seul transport des blocs du chantier de démolition à l'atelier de construction, démontrant ainsi l'importance du local dans l'économie circulaire. Une autre part importante des émissions est liée à la construction du cintre, qu'il faudrait lui aussi (ré)employer pour diminuer encore davantage le bilan.

La passerelle réalisée par les chercheurs du Smart Living Lab est séduisante sous bien des aspects. On peut toutefois regretter qu'elle ne soit qu’un démonstrateur. La pertinence du concept aurait été bien meilleures si elle avait été intégrée dès le début dans un véritable projet de construction. Avis aux intéressés: la passerelle est à disposition d'un futur acquéreur. Grâce à cette référence, des projets similaires pourraient à l’avenir intégrer cette idée: le réemploi concerne désormais aussi les ouvrages d’art.