«La dé­car­bo­na­ti­on du sys­tème éner­gé­tique con­sti­tue une prio­ri­té ab­so­lue»

Tournant énergétique

Exploitation intelligente des bâtiments visant à optimiser la consommation énergétique, recherche de solutions pour le stockage thermique: le tournant énergétique est un enjeu aux facettes multiples. Peter Richner, directeur adjoint de l’Empa, répond à Susanne Schnell et Luca Pirovino sur les défis qui se présentent sur cette voie et les options envisageables.

Publikationsdatum
05-03-2020
Luca Pirovino
chargé de la thématique Énergie et du groupe professionnel Technique (BGT)

Susanne Schnell et Luca Pirovino: La majorité du parc énergétique suisse repose sur la force hydraulique. La Suisse ne devrait-elle pas en optimiser l’exploitation?
Peter Richner: Il faudrait évidemment étendre ce mode de production, mais il suscite des résistances car les individus ne sont plus disposés à investir dans des projets dont la rentabilité n’intervient que dans les décennies suivantes. Ils ne consentent plus à en payer le prix, non seulement financièrement, mais aussi en sacrifiant un beau paysage naturel pour en faire un lac de rétention. Dès lors, il nous appartient de nous interroger, en tant que société, sur ce que nous sommes prêts à accepter pour bénéficier d’un niveau de vie élevé. En effet, notre mode de vie n’est pas sans conséquences – des conséquences que nous ne pouvons pas nous contenter de reporter sur la génération suivante.

Dans une récente étude, l’Empa expose deux solutions pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en hiver: stocker des grandes quantités d’énergie durant l’été ou l’acheminer depuis le nord venteux ou le sud ensoleillé en hiver. Laquelle vous semble la plus adaptée?
Le problème a atteint des dimensions telles qu’il s’agit d’exploiter toutes les options pour l’endiguer. Dans le domaine du bâtiment, la question se pose de savoir comment faire pour rendre disponible en hiver la chaleur emmagasinée en été. Aujourd’hui, la solution la plus simple est les champs de sondes. Nous disposons dans le quartier d’un système de chauffage à distance et stockons de l’énergie de haute qualité – qui provient par exemple de la climatisation – durant la saison estivale. En été, les champs de sondes peuvent accumuler beaucoup de chaleur, qui peut ensuite être récupérée durant l’hiver. Elle présente alors une température d’entrée élevée, qui nécessite uniquement d’être portée aux quelque 35° C requis pour chauffer. Cela permet de réduire la consommation d’électricité en hiver, lorsque les ressources s’amenuisent.

À propos de stockage d’énergie: il y a trois ans environ, Elon Musk présentait le powerwall, une grande paroi de batteries que les particuliers peuvent installer dans leur garage pour s’auto-approvisionner en énergie. Science-fiction ou réalité?
Déjà, il faut savoir ce que coûte l’électricité produite par une batterie. Il faut compter de 10 à 20 centimes par kWh, uniquement pour acheminer cette dernière vers la batterie et l’y prélever, et avec ça le coût de production n’est pas encore couvert. Bref, c’est relativement onéreux. À cela s’ajoute le fait que, si l’on veut atteindre l’autonomie énergétique, nous aurons besoin d’énormément de batteries. En effet, sous nos latitudes, il est tout à fait possible que le soleil n’apparaisse pas pendant trois semaines en hiver.
Dans le bâtiment, les batteries présentent un intérêt pour l’écrêtement des pointes (en anglais peakshaving), c’est-à-dire afin d’éviter les pics de performance. Ceci augmente également le degré d’autosuffisance. Toutefois, si l’on souhaite une autonomie électrique totale, c’est incroyablement cher. Ce qui n’empêche pas qu’on peut tout à fait couvrir entre 70 % et 80 % des besoins grâce à un tel dispositif. Par exemple, à l’heure du déjeuner en été, si personne ne cuisine ni ne lave son linge, et qu’aucune voiture électrique ne charge, il peut être judicieux de stocker cette énergie solaire photovoltaïque afin de la consommer le soir venu. C’est pourquoi une batterie est déjà avantageuse à l’heure actuelle.

Voyez-vous d’autres solutions?
Nous devons absolument travailler sur l’efficience : moins nous aurons besoin d’énergie en hiver, plus le problème se résorbera. D’importants progrès ont déjà été réalisés dans le domaine du bâtiment, mais nous ne devons pas nous arrêter là. Ce sont toujours les mêmes mesures : remplacer les fenêtres, isoler les toitures, les façades et les plafonds de cave. Et surtout, assurer ensuite une exploitation intelligente des bâtiments. Le pire est d’avoir une solution, mais de ne pas l’exploiter entièrement. Prenons par exemple les centres de données : ce ne sont rien d’autre que des chauffages par résistance caractérisés par une utilisation en cascade. Leurs calculs dégagent de la chaleur qui peut être exploitée, au lieu d’être évacuée, par des tours de refroidissement. À la différence près que cela implique de ne pas les construire dans des lieux isolés, mais dans des zones habitées où ils peuvent contribuer à chauffer des bâtiments via le réseau local. On peut même imaginer les faire fonctionner comme de grands supports de stockage saisonnier. Mais il n’y a pas que les centres de données. Plus les usages mixtes s’imposeront, plus les profils de charge se différencieront. Par exemple, dans une zone intégralement vouée à l’habitation, il est évident qu’il y aura des pics le matin, le midi et le soir, et quasiment rien entre. En revanche, une utilisation mixte permet d’étaler davantage les besoins en énergie. Pensons également à l’échange local : si le système de distribution est cloisonné, les excédents et déficits temporaires sont inévitables, alors que si l’on mutualise, de nouvelles solutions s’ouvrent à nous.

La Stratégie énergétique 2050 ne prévoit pas uniquement la sortie du nucléaire, mais aussi le renoncement aux énergies fossiles. Nous aimerions vous poser la question qui fâche : ces objectifs sont-ils réalisables?
C’est une tâche herculéenne, je veux bien l’admettre. Mais quelle alternative avons-nous? La décarbonation de notre système énergétique n’est pas une option, c’est une obligation. Parce qu’aucun pays, aucune société ne peut subsister à long terme si le climat se dérègle de manière incontrôlée. Si la température augmente de 4° C et plus, nous nous retrouverons face à des déplacements de population aux proportions encore inconnues dans l’histoire de l’humanité.

Bien entendu, il est vrai que l’empreinte carbone des centrales nuclé­aires est très basse. En revanche, là où le bât blesse, c’est au niveau de la sécurité, du stockage définitif des déchets et de l’acceptation. De plus, soulignons que tous les projets de centrales actuellement réalisés en Europe et aux États-Unis ne sont pas en mesure de produire de l’électricité à des tarifs concurrentiels. Même économiquement, l’option du nucléaire n’est pas avantageuse, c’est pourquoi il nous faut concentrer nos efforts sur l’amélioration de l’efficience énergétique et l’encouragement des énergies renouvelables.

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