Si­gna­tu­re coll­ec­ti­ve

Lorsqu’il s’agit aujourd’hui d’investir un espace libre ou une friche urbaine à Berlin, les modèles de développement envisagés impliquent un collectif ou groupe de construction. Une solution que le discours politique aime à prôner comme moralement défendable face à la privatisation de l’aménagement. Or les collectifs en question sont précisément une retombée de cette logique de privatisation. Au-delà de cette problématique, l’auteur du présent article aborde leur potentiel comme modes alternatifs de production architecturale, avec la remise en question de la notion d'auteur liée à un projet.

Publikationsdatum
17-01-2013
Revision
23-10-2015

A Berlin, l’essentiel du bâti s’organise dès l’origine autour de l’immeuble de rapport anonyme, qu’il soit financé de manière privée ou – comme durant l’entre-deux-guerres, puis surtout après la Seconde Guerre mondiale – presque exclusivement réalisé sous la responsabilité des pouvoirs publics. Depuis lors toutefois, la détresse financière des communes a pratiquement éliminé les programmes liés à l’habitat, tandis que le patrimoine foncier public a déjà été aliéné à plus de 95 %. Cela s’est notamment traduit par la mainmise croissante du secteur privé sur les enjeux urbanistiques et la construction de logements. De plus, la fièvre bâtisseuse des années 1990 a été suivie d’un effondrement du marché de la construction. Des circonstances qui ont obligé les architectes à rechercher de nouveaux débouchés. Le modèle du collectif de construction s’est alors développé comme un cadre d’intervention dans lequel ceux-ci acquièrent des parcelles pour y implanter des bâtiments avec le concours de plusieurs micro-investisseurs. A Berlin, plus que dans toute autre capitale européenne, l’évolution vers ce modèle revêt une pertinence majeure, dans la mesure où l’histoire de la ville, ponctuée de destructions guerrières et de changements de système abrupts, a donné lieu à un nombre particulièrement élevé de friches et de vides, qui se prêtent aujourd’hui à divers remodelages à petite échelle.

Elargissement du champ professionnel


Outre l’avantage pratique de pouvoir lancer soi-même un mandat, le modèle offre surtout des occasions d’étendre son propre champ d’interventions professionnelles. Contrairement à la commande traditionnelle pour un immeuble de logements anonymes, le collectif de construction est le modèle idéal pour générer directement avec les futurs usagers un programme urbain complexe, incluant logements et espaces de travail. La collaboration avec les futurs habitants incite également à développer de nouvelles typologies et l’implication renforcée des différentes parties dans le processus de conception débouche sur le partage de la paternité du projet entre architectes et maîtres d’ouvrage.
L’histoire de l’architecture fournit plusieurs exemples de l’originalité que la collaboration entre architectes et maîtres d’ouvrage peut conférer à une réalisation. Ainsi, c’est dans une large mesure à sa commanditaire – l’architecte d’intérieur Truus Schröder-Schräder – que la Maison Schröder bâtie par Gerrit Rietveld en 1924 à Utrecht doit sa densité programmatique et son caractère radicalement novateur. Grâce à la cohérence de ses idées, la propriétaire a en effet contribué de manière significative à la recherche de solutions dans une démarche de projet ouverte. Un apport dont l’importance apparaît par contraste avec les œuvres directement adjacentes de Rietveld, puisqu’aucune n’approche le niveau d’élaboration dont témoigne la Maison Schröder. Dans la même perspective, on peut également évoquer les échanges soutenus entre Adolf Loos et le couple Müller pour lequel il a construit la villa homonyme à Prague en 1930.
Les conditions permettant de définir des projets selon cette méthode itérative se compliquent lorsqu’il s’agit de créer du logement dans un bâti à étages multiples. Il y a certes régulièrement des tentatives pour résoudre le problème par une diversité de typologies dont chacune correspond à un mode de vie bien précis. Un exemple emblématique est l’ensemble résidentiel et commercial James développé par Gmür et Geschwentner à Zurich. Dans le cadre d’une démarche narrative, des scénarios ont été élaborés à l’intention de futurs maîtres d’ouvrage encore inconnus. Le projet va bien au-delà de la représentation souvent convenue que les architectes se font des desideratas et aspirations des futurs usagers. En réponse au conflit de l’architecte désireux de rester l’auteur de son œuvre tout en respectant le mandat du maître d’ouvrage, Gmür et Geschwentner ont retenu une multitude de scénarios d’affectation, afin de ménager un espace de développement aux futurs habitants.
Qu’est-ce qui distingue dès lors ce modèle, qui tient effectivement compte des souhaits diversifiés des maîtres d’ouvrage, de celui du collectif de construction? Une des différences essentielles réside dans le fait que, dans l’exemple zurichois, l’anonymat de l’auteur maintient une distance dans la relation de l’habitant au logement et à son architecture. Une distance qui s’amenuise durant le processus de mise en œuvre groupée qui caractérise le modèle collectif. Le logement devient alors un lieu de construction identitaire personnelle. Outre la possibilité d’accéder à la propriété à moindre frais, le succès des collectifs de construction exprime aussi le besoin de faire pièce à l’anonymat de la communauté urbaine, en investissant un espace privé et intime dans l’unité qu’on a soi-même définie au sein d’un groupe à taille humaine.

Signature collective


Les projets que nous avons conçus et réalisés jusqu’ici incarnent bien moins une nouvelle typologie de l’immeuble d’habitation qu’une forme novatrice de création partagée. Bien plus qu’un immeuble traditionnel, ils offrent aux maîtres d’ouvrage l’occasion de se projeter dans leur logement et d’atteindre sa réalité architecturale. Dans ce sens, le devenir du modèle est aussi lié à la question posée par cette paternité élargie. Cela ne concerne pas le processus de construction participatif – basé sur la prise de décisions par consensus –, mais plutôt le développement toujours plus ouvert d’un complexe à la fois unitaire et différencié pouvant aboutir à de multiples résultats.
Dans le cadre de notre premier projet collectif de la Strelitzer Strasse à Berlin-Mitte, la question de la mise en œuvre est longtemps demeurée au second plan. Nous étions davantage intéressés par l’inscription, dans un immeuble, de divers types de «maisons intérieures» conçues comme autant d’unités. 
La transposition au logement multi-étages du principe de la « maison dans la maison » pose avant tout des problèmes structurels: le plafond de l’un est aussi le plancher de l’autre, si bien que chaque habitant doit partager sa «maison» en conséquence. Dans le projet en question, la «méta-maison» adopte une forme plutôt retenue dont l’enveloppe abrite les formes possibles de «maisons intérieures». Des volumes et des types de logements diversifiés permettent d’y développer différents programmes pour accueillir une mixité d’habitants et des usages multiples et modifiables. Le jardin et la terrasse en toiture sont aménagés en espaces communs. Le rapport à l’espace urbain est assuré par un magasin-bureau au rez-de-chaussée, ainsi que des portes de balcon rabattables sur la façade côté rue, qui devient ainsi le reflet transformable des usages internes.
Ce n’est qu’avec l’arrivée de l’ensemble des propriétaires que nous avons saisi toute la portée de l’expérience, avec le potentiel et l’imprévisibilité liés à la collaboration. En pratique, le groupe dépend de l’avancement des travaux et des coûts afférents, ce qui encourage certes la prise de décision, mais le futur voisinage forcé avec les co-bâtisseurs est également une source d’incertitude. Des enclaves liées à des obligations sans engagement se créent. Nous avons utilisé ces réticences pour instaurer un dialogue approfondi et productif avec les maîtres d’ouvrage. Une démarche qui nous a aidé à gérer les aléas de la dynamique de groupe. Durant cette phase, la maison s’est transformée de l’intérieur sous l’influence des nouveaux «auteurs» – et son architecture en a bénéficié.

Modèle de développement urbain?


En fondant le réseau d’architectes «Netzwerk Berliner Baugruppenarchitekten» (NBBA) motivé par une exposition collective au DAZ en 2007, notre objectif était de fédérer des compétences pour développer de plus grands projets. Cela a notamment débouché sur la collaboration avec plusieurs bureaux d’architectes pour l’étude d’un bloc entier au Ostkreuz à Berlin-Friedrichshain. A la faveur de coûts moins élevés, les huit maisons prévues à cet endroit déploient une articulation urbaine plus complexe, avec une cour intérieure commune, une terrasse en toiture qui s’étend sur plusieurs d’entre elles, et des options programmatiques à portée collective.
De même, le mandat d’expertise décroché avec le bureau Carpaneto Schoening pour la Lehrter Strasse repose sur le principe de l’inscription, dans un cadre défini, de propositions d’habitat et de travail différenciées. A côté du projet, la réflexion initiale a aussi et surtout porté sur le mode de subdivision du foncier. A l’instar de notre modèle de maison-dans-la-maison de la Strelitzer Strasse, nous souhaitions cette fois développer un programme hétérogène à l’échelle urbaine grâce à une parcellisation variable du terrain. Elaboré sur une surface brute de 70000 m2 affectée au logement et au travail, le projet offre un potentiel de diversification qui permettrait une réalisation pilote exemplaire, le soutien financier du propriétaire ainsi que l’appui politique de la ville font pour le moment défaut.
Cela pose la question de la pertinence des modèles de construction collective pour le développement urbain. Actuellement, la condition indissociable d’un projet de groupe est qu’il soit entièrement financé par les participants. En raison de cette contrainte, certains programmes impliquant les arts et métiers, de même que l’intégration d’habitants peu fortunés, ne sont guère envisageables. Pour devenir un choix urbanistique opérant à long terme, la démarche doit susciter de nouvelles formes de soutien par le biais d’incitations ou de fonds, publics ou privés. C’est ainsi qu’une approche circonstanciée, intégrant les multiples défis de l’aménagement urbain, sera en mesure de produire des modèles d’habitat et de travail durables.

Florian Köhl, architecte, a fondé le bureau FAT KOEHL ARCHITEKTEN en 2002. En 2009, son projet communautaire de la Strelitzer Strasse a été distingué par le Prix d’architecture de Berlin.

Article paru dans le numéro d’ARCH+ 201/202 consacré à Berlin. Traduit de l’allemand par Maya Haus

 

 

Maison des cultures du monde

Le principe de «maison dans la maison», cher à Florian Köhl, peut être éclairé par un projet d’envergure réalisé en 2011 à la maison des cultures du monde. Il s’agit d’un aménagement temporaire pour un festival, dans le bâtiment réalisé en 1957 par l’architecte américain Hugh Stubbins.
Dans la halle, sous l’impressionnante ellipse en béton, Köhl aménage une dizaine d’espaces paramétrés sur l’événement. Une fois démontées, les parties distinctes de cet aménagement (salles, gradins, passerelles) ont été réutilisées dans divers autres projets, dans la toute nouvelle friche qui fait rêver les berlinois: l’aéroport désaffecté de Tempelhof.
«La maison dans la maison» serait un équivalent domestique de cette occupation légère: sa transposition dans le contexte du foyer.
Dans sa forme absolue, on peut s’imaginer des pièces meubles disposées dans un appartement en open space. Il s’agirait alors d’une variation sur le concept de « boîte sous une serre » développé par Lacaton et Vassal dans les années 2000. Plus concrètement, Florian Köhl transpose cette expérience en proposant des aménagements démontables pour ses futurs acquéreurs: des cloisons amovibles, un évier dans une boîte, ou encore des wc et des douches désolidarisés de la construction. L’occupation légère permet à l’habitant de faire évoluer l’espace dont il dispose en fonction de ses besoins.
Christophe Catsaros 

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