Pe­tit mais vail­lant

Editorial paru dans Tracés n°02/2014

Publikationsdatum
30-01-2014
Revision
10-11-2015

Les petits projets ont la cote auprès de nombreux architectes japonais et le manque de place sur l’archipel n’est pas la seule explication. Certes, les prix de l’immobilier et la fiscalité sur les héritages obligent souvent à vendre la moitié d’un terrain pour en conserver l’autre. Momoyo Kaijima de Bow Wow explique bien comment, en trois générations, une maison classique des années 1970 avec garage et jardin peut croître et se démultiplier sur le même terrain.

Ces particularités du marché nippon ne sont qu’un aspect de l’engouement pour les petits formats. Il y aurait une autre explication à chercher, qui serait plutôt de l’ordre d’une redéfinition du moderne. Le récit occidental de la modernité architecturale la fait débuter au 19e siècle, comme une conséquence de l’industrialisation et de l’urbanisation.

Le Japon, tout en adhérant à cette filiation, peut en revendiquer une autre : celle qui discerne dans son histoire millénaire les principes structurants de l’esprit moderne. La sobriété, la fonctionnalité, la modularité sont des qualités incontestables de la construction traditionnelle nippone. 

Pour un pays qui a vécu l’industrialisation comme un traumatisme (il fut suivi d’une guerre des plus destructrices), il semblerait que la réappropriation du récit de la modernité puisse constituer un enjeu. C’est probablement ce que font les architectes japonais qui choisissent les petits formats. Ils redéfinissent la modernité en la déclinant par rapport aux us et coutumes de l’archipel. 

L’idiome nippon qui apparaît alors, ce fin mélange de transparence, de légèreté, de poésie et de domesticité, serait bien plus qu’un effet de mode. Il aurait une portée historiographique, presque une mission : rendre au Japon ce qui lui revient légitimement, en montrant que, si la modernité occidentale prend pied sur l’archipel comme partout ailleurs au 19e siècle, elle le fait au détriment d’un savoir-vivre ancestral dont les principes sont tout aussi modernes. Si le minimalisme japonais séduit aujourd’hui les Occidentaux, c’est parce qu’il établit peut-être pour la première fois aussi clairement l’idée que le moderne puisse se travailler à une autre échelle que celle dont nous avons l’habitude : une échelle humaine.

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