Na­tu­ra­li­ser l'­ar­chi­tec­tu­re, ver­si­on rel­oa­ded

Editorial paru dans Tracés n°23-24/2013

Publikationsdatum
11-12-2013
Revision
01-09-2015

Nous y avions déjà consacré un article, mais l’importance de cette exposition méritait qu’on y revienne: la session 2013 d’ArchiLab, qui se tient à Orléans jusqu’au 2 février 2014, pose les jalons d’une nouvelle ère pour la construction. Les croisements qu’elle opère entre architecture, biologie moléculaire et mathématiques avancées élargissent le champ des possibles et obligent de repenser les catégories qui ordonnent nos pratiques constructives.

Sur ce nouveau terrain d’investigation, la nature est une fois de plus érigée en modèle. Sauf qu’à la différence des précédentes «naturalisations» (baroque tardif, Art nouveau), celle-ci ne serait plus une affaire de représentation. Le vivant serait sur le point de devenir une composante effective du bâti. Il est question de mousses végétales isolantes qui pousseront sur les bétons, de bactéries capables de produire de nouveaux alliages, de nouveaux matériaux qui évoluent par eux-mêmes et, plus généralement, d’une dimension organique qui irait bien au-delà de l’expérimentation formelle. ArchiLab explore le scénario d’une nouvelle intelligence des processus et des matières constructives. Hypothèse cauchemardesque pour certains, mais qui n’en constitue pas moins une évolution tout à fait probable.

Au-delà des nouveaux modèles constructifs que la nature et les sciences pourraient offrir aux architectes et aux ingénieurs, le perfectionnement des outils de calcul génère une catégorie d’applications qui, tout en restant des artefacts, se comportent comme du vivant. C’est cette nouvelle espèce d’outils, de produits et de processus qu’ArchiLab essaye de faire tenir ensemble. Plus qu’un déplacement de la frontière entre artefact et nature, l’exposition révèle une nouvelle porosité qui serait en train de se mettre en place. Nous serions donc engagés dans une phase transitoire, à mi-chemin d’un objectif qui reste encore à définir. Cette indétermination est à la fois source de fascination et d’inquiétude.

Si la révolution technologique des 30 dernières années a simplifié certaines procédures, permettant de réaliser facilement ce qui auparavant nécessitait d’importants moyens humains, elle semble à présent engagée dans une toute autre voie. L’importance des nouveaux outils computationnels, mais surtout leur autonomisation, pourrait, à terme, constituer un nouvel intermédiaire techno-scientifique entre le bâtisseur et le commanditaire. Plus inquiétant, cette évolution préfigure des démarches constructives mécaniques, capables de se passer de l’intelligence humaine. Un peu comme les pilotes de ligne qui regrettent aujourd’hui de ne plus piloter les avions qu’ils commandent, l’architecte et l’ingénieur pourraient dans un avenir proche cesser d’être ceux qui déterminent le bâti en dernière instance.

ArchiLab ne s’aventure pas sur ces chemins critiques. Naturaliser l’architecture préfère s’inscrire dans la lignée des grandes expositions visionnaires qui marquent le basculement d’une ère à l’autre. Elle donne la parole à ceux qui comprennent et envisagent ces évolutions avec optimisme. Elle se concentre avec une certaine candeur sur nos nouvelles frontières plastiques et tectoniques. Elle expose les monstres, les anormaux, en prenant bien soin de souligner que ce qui les éloigne aujourd’hui de la norme pourrait se révéler déterminant pour la normalité à venir. 

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