Mé­ta­ville

Editorial paru dans Tracés n°23/24 2012

Publikationsdatum
12-12-2012
Revision
19-08-2015

La multiplication et l’interconnexion des supports numériques seraient-elles en train de nous faire franchir un cap, en amplifiant l’effet d’irréalité du monde qui nous entoure? Cette préoccupation trouve des éléments de réponse dans notre rapport à la ville. 
La matière urbaine est-elle aujourd’hui moins concrète, moins tangible qu’elle ne l’était il y a 200 ans? La ville est-elle plus chimérique à l’époque de Street view qu’à celle de l’invention du chemin de fer?
La ville des données, celle qui est mise à notre disposition par le maillage des outils numériques usuels, renforce cette sensation. La couche supplémentaire qui s’ajoute à la ville réelle, que certains qualifient déjà de «réalité augmentée», est-elle pour autant un voile? Sommes-nous en train de remplacer le monde par sa représentation ?
Il n’est pas certain que la ville ait été moins imaginaire, moins fictive, par le passé. Car le phénomène urbain ne se résume pas à une condition matérielle donnée (densité, production, fluidité des échanges), mais à la représentation que l’on peut se faire de ces données concrètes. La ville est, avant toute chose, une affaire d’images, de récits, de symboles et de mises en scène. Cela est vrai aujourd’hui, l’était au tout début de la révolution industrielle, et semble l’avoir toujours été d’ailleurs. L’idéal urbain précède la ville matérielle : la ville existe par ses représentations, par la constitution progressive d’une archive palimpseste de ses gloires et ses déclins.
Si cette metaville est aujourd’hui numérique, elle a été auparavant filmique, photographique, picturale, gravée, imprimée ou récitée. La ville a été, dès le début, une opération de sublimation, de déréalisation d’une condition matérielle donnée.
Cela veut peut-être dire que la révolution numérique, tout en accentuant certains effets d’irréalité, ne modifierait pas pour autant l’essence de notre rapport à la matière urbaine. 
Il se peut finalement que ce soit l’inverse qui s’est produit. Non pas que la ville se soit altérée sous l’effet des nouveaux médias, mais que l’avènement de l’ère de l’information se soit fait en prenant pour modèle la condition urbaine. En instaurant la société de l’information, nous avons créé des réseaux urbains à l’échelle de la planète.
Car l’architecture des réseaux qui nous accompagnent est éminemment urbaine : elle mime les effets de la ville, en adopte le mode opératoire. Ce n’est donc pas Internet qui change la ville, mais la ville qui dicte son mode à Internet. C’est bien ce que McLuhan préfigurait en 1967, en faisant état de village global
Ce dossier, élaboré par la théoricienne des médias Madeleine Aktypi, constitue l’ébauche d’un questionnement sur la ville et les nouveaux médias, qui va se pour-suivre en 2013. Première étape de ce travail : la notion de décor. 

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