Le bâ­ton et la roue

Editorial paru dans Tracés n°10/2015

Publikationsdatum
20-05-2015
Revision
10-11-2015

Depuis quelques semaines, Genève est le théâtre d’un conflit entre adhérents et opposants au projet d’agrandissement du Musée d’art et d’histoire (MAH) proposé par Jean Nouvel. Au cœur du grief architectural, les aménagements apportés au patio central de l’édifice de style Beaux-Arts réalisé par Marc Camoletti et inauguré en 1910. Si tous affirment qu’une rénovation est nécessaire, les premiers soutiennent que ce projet architectural donnera au MAH l’espace et la modernité qui lui manquent aujourd’hui pour devenir l’une des principales attractions culturelles et touristiques de la ville; les seconds rejettent avec force un projet qui dénaturera sérieusement le centre névralgique de la composition du bâtiment. 

A l’heure où paraîtra ce numéro, le crédit de 132 millions de francs, aura probablement été accepté par le Conseil municipal. Quant aux opposants au projet, ils seront certainement en train de sillonner les rues de Genève afin de récolter les 4000 signatures nécessaires au référendum. De toute évidence, le peuple aura le dernier mot. 

Dans une de ses chroniques1, Etienne Dumont, journaliste et fin connaisseur de la scène culturelle, ouvre le débat sur le projet muséographique de l’institution genevoise. Est-il vraiment nécessaire d’accroître d’autant les surfaces d’exposition du musée? Relativisant les «trésors cachés» dans les réserves du MAH, il répond à sa propre question par un «non» catégorique et avance qu’une belle rénovation et une nouvelle approche muséale basée sur des collections «qui tournent, qui vivent et non pas sur des accrochages momifiés» auraient été plus convaincantes. Cette distance, qui évite au critique d’art de refaire pour la énième fois l’inventaire des avantages et des inconvénients du projet de Jean Nouvel, peut également être prise en considérant le MAH à une échelle métropolitaine. 

Il y a quelques mois, lors du rendu du concours d’urbanisme du secteur de l’Etoile du grand projet Praille Acacias Vernets, les autorités cantonales annonçaient, non sans une certaine fierté, avoir «enfin» trouvé le «grand référent identitaire» de ce nouveau centre en devenir: le palais de justice... Etrange symbole pour un quartier que l’on veut mixte, vivant et tourné vers l’avenir! N’aurait-il pas été préférable de choisir l’éducation, par exemple la Haute école d’art et de design (HEAD), l’un des fleurons éducatifs de Genève, pour investir l’Etoile? En faisant se côtoyer les étudiants et les cols blancs qui logeront et/ou travailleront dans les tours, cette décision aurait amené la mixité sociale et fonctionnelle tant désirée par les autorités. Elle aurait aussi permis de libérer le bâtiment de l’Ecole des beaux-arts, adjacent au MAH – une des propositions faites par la section genevoise de Patrimoine suisse et par les opposants aux projets – et d’éviter ainsi le projet d’agrandissement intra-muros qui provoque une telle levée de boucliers. 

Pour ce faire, il aurait fallu une collaboration entre la Ville et le Canton d’une tout autre nature: une stratégie capable de développer une vision urbaine dépassant les frontières institutionnelles et sectorielles. Tant que cela n’aura pas été établi, Genève pourra s’asseoir sur ses aspirations métropolitaines.

 

Note

1 La chronique d’Etienne Dumont «Une semaine décisive pour le MAH+. Vraiment?» peut être lue sur le site de Bilan (www.bilan.ch/etienne-dumont/courants-dart/geneveune-semaine-decisive-mah-vraiment)

Magazine

Verwandte Beiträge