Ima­ges à char­ge

Généalogie de la preuve par l’image

Data di pubblicazione
22-07-2015
Revision
10-11-2015

L’exposition Images à charge au BAL, le centre d’art dédié à la photographie aux abords de la place Clichy à Paris, s’efforce de rassembler des objets photographiques liés d’une façon ou d’une autre à la question de la preuve et du témoignage. Avant d’entrer dans le propos de l’exposition, le visiteur doit d’abord se poser la question de la double identité des images qui la constituent. Si aujourd’hui ces clichés s’exposent pour leur valeur esthétique, historique et documentaire, ils avaient pour la plupart des fonctions très différentes au moment de leur réalisation : preuves, relevés scientifiques, éléments d’un état civil, ou archives d’une extermination, ces images n’ont pas été conçues dans la perspective qui nous les présente aujourd’hui.
Il en va ainsi du dispositif photographique conçu par Alphonse Bertillon, afin de cartographier avec le plus de précision possible une scène de crime. Si Bertillon recherche la synthèse de tous les éléments essentiels dans une seule prise, son confrère lausannois Rodolphe A. Reiss, considéré comme un des inventeurs de la police scientifique, opte pour une entrée en matière séquencée, s’appuyant sur une série d’images. Partant d’une vue d’ensemble, il effectue un rapprochement photographique progressif. D’image en image, il s’approche du lieu du crime, jusqu’à l’agrandissement final qui va donner à voir ce qui se cache à l’œil nu. Reiss est comme le photographe dans Blow-Up d’­Antonioni: il présuppose une vocation révélatrice au medium photographique.
De ces pionniers, l’exposition passe aux séquences effroyables des camps nazis et à l’usage qui en a été fait au procès de Nuremberg. On y trouve aussi les portraits des victimes des purges staliniennes réalisés le plus souvent la veille d’une exécution. Est-ce par stakhanovisme que les bourreaux de Staline ont méthodiquement photographié les centaines de milliers de victimes des purges de 1938?
L’exposition est à la fois chronologique et thématique. De la Seconde Guerre mondiale, on arrive rapidement au présent et aux travaux d’Eyal Weizmann autour de l’analyse de séquences filmées afin de déterminer les conditions d’attaques par voie aérienne dans les conflits menés par des machines. L’établissement des conditions d’une attaque de drone à Mishanshan au Pakistan est révélateur de la méthode Weizmann. A partir de brèves séquences vidéo anonymes et non identifiables, et avec l’aide d’outils cartographiques à la portée de chacun, il parvient à reconstituer le contexte exact de ce qui semble être une bavure, qu’autant les Pakistanais qui la subissent que les Américains qui la commettent souhaitent garder secrète.
Dans un autre contexte, les efforts pour rétablir des données de présence de populations bédouines évacuées du Néguev après l’indépendance israélienne constitue un rare matériau à charge pour quiconque souhaiterait enquêter. Ce que Weizman démontre, ce n’est pas tant le caractère inacceptable des conflits surmédiatisés du troisième millénaire que la possibilité d’enquêter à posteriori à partir d’images qui n’ont pas été prises pour constituer des preuves.
Si la première partie de l’exposition évoque une esthétisation de la photographie scientifique, qui nous amène à percevoir comme des images des clichés qui étaient des indices et des documents, le deuxième volet esquisse un cheminement inverse: il parvient à transformer en preuves des images qui n’ont pas été réalisées pour témoigner. A l’heure de la multiplication des captations automatiques, face à l’opacité du maillage de prises de vue qui quadrille notre quotidien, Weizmann pointe un usage tout à fait crédible pour faire parler ces images mécaniques et aveugles. En pratiquant des croisements, il parvient à rétablir du sens à partir de fragments muets. La valeur de son travail n’est pas seulement d’inventer une nouvelle grammaire visuelle, mais surtout de restituer une teneur politique à des images qui l’avaient perdue, ou qui n’en avaient jamais eue.

 

IMAGES À CHARGE. LA CONSTRUCTION DE LA PREUVE PAR L’IMAGE

Jusqu’au 30 août 2015
Le BAL, Paris
www.le-bal.fr/fr/mh/les-expositions/forensic

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