Des hau­ts et des bas

Zabriskie Point, Michelangelo Antonioni, 1970

Le Silo décortique un film qui se penche sur les contradictions des Etats-Unis, un pays où celles-ci «se fracassent les unes contre les autres comme nulle part ailleurs»

Data di pubblicazione
16-07-2013
Revision
23-10-2015

Escomptant réitérer avec Zabriskie Point (1970) le succès remporté par Blow-up (1966), la Metro-Goldwyn-Mayer était loin d’imaginer que le premier film hollywoodien de Michelangelo Antonioni ferait les frais d’une réception aussi calamiteuse. Le film ne déplut en effet pas moins aux partisans de la contre-culture qu’aux apôtres du conservatisme. Dès les premiers plans, les étudiants contestataires réunis en assemblée générale se voyaient représentés comme un corps politique sans consistance, une collection de visages découpés sur fond de ce qui s’apparente tout au plus à un milieu ambiant, jamais à un groupe (même Kathleen Cleaver, militante des Black Panthers, fait de la figuration). L’Amérique puritaine s’offusquait quant à elle devant la scène d’orgie imaginée par Antonioni dans le lit d’un lac asséché du parc national de la vallée de la Mort – métaphore expéditive de l’histoire des Etats-Unis comme colonisation perpétuelle du désert, autrement ressaisie à l’arrière-plan de la fiction via l’épisode des tractations menées par les promoteurs immobiliers de la société Sunny Dunes. 
Réconciliant incidemment les extrêmes, Zabriskie Point organise en outre visuellement leur rencontre en faisant de l’image le théâtre de télescopages permanents. Telle est la fonction des panneaux publicitaires dont la présence insistante renvoie finalement moins à l’imaginaire du pop art qu’elle n’emprunte ses effets de percussion aux collages surréalistes, peuplant le paysage californien d’objets surdimensionnés. En agençant des éléments de grandeurs incommensurables, la mise en scène ménage des faux-raccords dans la profondeur du champ et, suscitant un étrange vertige horizontal, donne au spectateur l’impression d’enjamber le vide à chaque plan. Concrètement, Antonioni fit par exemple construire le décor des bureaux de Sunny Dunes sur le toit d’un immeuble faisant face au Richfield Oil Building afin d’accélérer l’enchaînement des éléments mis en perspective. Plus baroque encore, un film dans le film assurant la promotion d’îlots résidentiels implantés en plein désert brouille tous les rapports d’échelle. Que voit-on exactement? Une maquette, des fragments de paysage réel, des accessoires miniaturisés, des mannequins en grandeur nature? Sans doute un peu de tout cela à la fois. Impossible, devant ces images, de s’installer au sommet de la pyramide visuelle faisant de l’homme la mesure de toute chose.
Au lieu-dit «Zabriskie Point» se côtoient l’un des points les plus bas à la surface du globe (Badwater, situé à une centaine de mètres au-dessous du niveau de la mer) et le Telescope Peak qui culmine à plus de 3000 mètres. Dans un entretien accordé à la sortie du film, Antonioni déclarait: «L’Amérique est actuellement le pays le plus intéressant au monde à cause de ses contradictions, qui existent certes partout, mais se fracassent ici les unes contre les autres comme nulle part ailleurs». Sur le campus du Contra Costa College où les barricades se dressent comme des totems auto-ironiques, il a filmé la rencontre des étudiants et de la police comme une anomalie qui ne devrait jamais cesser de nous sauter aux yeux.

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