Lieu d’(pl)ai­san­ce à ou­chy

Le nouvel édicule sanitaire conçu par Oloom Design vouvoie avec élégance et discrétion l’environnement touristique et portuaire de la place de la Navigation à Lausanne. Cet ouvrage miniature répond avec pertinence aux besoins spécifiques du port, tout en proposant une solution innovante permettant de limiter les problèmes liés à ces espaces d’utilité publique

Data di pubblicazione
02-04-2013
Revision
23-10-2015

Si les lieux d’aisance tutoient parfois avec insolence l’environnement dans lequel ils prennent place, ils n’en demeurent pas moins des éléments résolument nécessaires, dont l’attention portée à leur conception est, dans bon nombre de cas, négligée par les municipalités. Souvent clos et mis à l’écart, ils acquièrent dès le début du 20e siècle une réputation de lieux de débauche, d’agression, de toxicomanie et d’infection. Autant de préjudices qui font la détresse des communes affirmant ne plus pouvoir maintenir leur salubrité. 
Face à cette situation, la commune de Lausanne s’est penchée sur la question, en intégrant dans le cadre d’un projet global visant à revaloriser l’activité portuaire d’Ouchy la modernisation et la rénovation des complexes sanitaires. Partant de la simple déduction que l’augmentation des activités du port renforcerait le manque chronique de toilettes, cet aspect fut considéré comme l’un des facteurs essentiels à la réussite du projet. C’est ainsi que le service d’architecture de la Ville de Lausanne a lancé le 17 juillet 2009, pour le compte de la direction des travaux, du service des routes et de la mobilité, un concours sur invitation ayant pour objet la création de nouvelles toilettes publiques sur la place de la Navigation. Fin novembre, le verdict tombe. Retenu à l’unanimité par les membres du jury, le projet de Oloom Design, représenté par le designer Olivier Rambert, est promu lauréat.

Une invitation au dialogue


Depuis le printemps 2012, le nouvel édicule occupe 92 m2 de la parcelle cadastrale 9890 qui s’éveille quelques mois par an lors de l’hivernage des bateaux. En guise de voisins, le bassin d’eau à géométrie ondulante, l’école de voile ainsi qu’une série de petites constructions hétéroclites abritant la NANA (société vaudoise de navigation) – kiosque, buvette et stockage – lui tiennent compagnie. Dès que le soleil pointe le bout de son nez, les bateaux quittent le port et laissent place à une marée humaine venant se pavaner dans cet espace de détente. Dans ce contexte oscillant au fil des saisons entre euphorie et quiétude, il s’agissait pour les participants de proposer une solution à la fois originale et fonctionnelle.
Là où d’autres ont tenté de se démarquer en proposant forme ronde ou microcosme végétal, Oloom Design a choisi de jouer la carte de la discrétion en adoptant une attitude dialectique. Composé de huit cabines mixtes – dont une accessible aux handicapés –, d’un urinoir et d’un local transversal combinant technique et entretien, le nouvel objet cherche à entrer en dialogue avec les morphologies environnantes. Le volume épuré et fonctionnel de 15 mètres de long par 5 mètres de large s’adapte à la trame normalisée des parcs à bateaux et s’insére parfaitement au milieu des coques colorées. Cette stratégie d’implantation favorise également de bons rapports avec la NANA voisine dont les deux constructions adoptent cette même orientation. 
Outre la logique de forme et d’implantation, le zinc-titane utilisé sur trois des quatre faces de l’ouvrage et en toiture exprime également une analogie évidente avec les hangars à bateaux situés à proximité. Au-delà de la simple considération esthétique, ce revêtement noble a aussi été retenu pour ses avantages techniques – à savoir, sa haute résistance à la corrosion et à la combustion, sa protection anti tag et sa faible nécessité d’entretien.
Cette judicieuse invitation au dialogue valide avec succès la qualité et l’intégration de l’édicule dans le contexte paysagé et bâti existant, critère incontournable et applicable à l’ensemble des règlements de concours d’architecture.

Un concept innovant


Outre son intégration dans le site, le projet devait se montrer pertinent quant aux questions de sécurité. En la matière, le designer Olivier Rambert a plus d’une corde à son arc. Après des études approfondies sur la question, il réfute l’idée selon laquelle les toilettes publiques devraient être cachées. Selon lui, il faut inverser la tendance, repenser les aspects visuels et olfactifs en exposant, voire surexposant ces lieux pour limiter les problèmes. En 2008, il réalise un concept original de cabine au Flon, dont la peau composée de verre à cristaux liquides varie de l’opaque au cristallin selon l’occupation des lieux. Un an plus tard, lorsque fut lancé le concours place de la Navigation, sa tentation fut grande de vouloir appliquer et transposer ce concept à l’échelle supérieure. C’est ainsi que fut imaginée la dernière façade du nouvel édicule sanitaire.
Précédée d’une pergola large de 1,20 m en tubes d’acier, cette quatrième face se dévoile gracieusement, indiquant ainsi l’accès aux cabines. Contrairement aux autres parois borgnes, cette dernière joue de la transparence en alternant baies fixes et ouvertures vitrées aux opacités changeantes. Chaque porte constituée de verre feuilleté à cristaux liquides s’opacifie instantanément grâce à un détecteur de mouvement secondé par l’activation d’un bouton pressoir assurant le verrouillage du WC. L’intimité est ainsi préservée et les risques d’agressions limités. Après vingt minutes d’immobilité, les portes se déverrouillent et retrouvent leur transparence d’origine permettant ainsi d’intervenir en cas de malaise ou accident. Ce dispositif hautement technologique est avant tout préventif et dissuasif. Néanmoins, le doute subsiste chez certains qui n’osent encore y mettre les pieds.

Une architecture modulaire et performante


L’édicule s’ancre sur une chape de béton coulée sur place. Les faibles devers orientés vers une tranchée centrale intégrant une large rigole permettent l’évacuation des eaux usées et facilitent le nettoyage quotidien des modules, dont les parois latérales sont légèrement décollées. Passé à l’hélicoptère, le sol au fini brut a été lissé pour des questions d’hygiène et d’entretien.
A l’intérieur de cette apparente simplicité volumétrique s’aligne une série de huit cabines spacieuses, aérées et fonctionnelles. Conçue en tant qu’objet reproductible, la structure systématique est constituée de tubes en inox soudés de sections carrées 50/50. Chaque module bénéficiant d’un lavabo, l’espace collectif accueillant généralement cet accessoire a pu être supprimé. L’ensemble des cellules s’ouvre donc directement sur l’extérieur où la pergola ajourée aléatoirement tel un code-barres, joue un rôle de filtre visuel obstruant ainsi toute vue directe. La variation de sa trame découle de celle du vitrage et permet toujours une échappatoire rapide en cas d’agression. Boulonnée tel un élément rapporté, la pergola est pourtant loin d’être anecdotique. En effet, elle apporte une véritable protection visuelle à l’ouvrage, tout en lui conférant identité et harmonie.
Plutôt bien doté au niveau technique, ce projet miniature n’a rien à envier aux grands. A l’instar des constructions contemporaines, ses eaux pluviales sont récoltées dans un chéneau encastré, rendant ainsi le dispositif parfaitement invisible du dehors. Pour renforcer sa qualité environnementale, la transparence, conjuguée à la mise en place de sondes crépusculaires qui régulent la lumière diffusée en fonction de la luminosité ambiante, favorise l’éclairage naturel et permet de diminuer considérablement la consommation d’énergie. De plus, le volume bâti témoigne également d’une certaine qualité dans la gestion de sa ventilation. En effet, grâce aux vides de 5 cm laissés volontairement en haut et en bas des éléments vitrés, l’air circule et se renouvelle naturellement, atténuant ainsi les émanations dérangeantes. Pas de chauffage certes, mais cet inconfort satisferait probablement Junichirô Tanizaki1 pour qui « le fait qu’il règne en ces lieux un froid égal à celui de l’air libre serait un agrément supplémentaire ».
Malgré sa taille réduite, ce projet complexe et réfléchi jusque dans les moindres détails par son concepteur recèle de nombreuses qualités. La modularité du système permet de le décliner et de l’adapter à différents lieux. 

Aurélie Buisson est architecte.

 

 

Note

1 Ecrivain japonais (1886-1965), extrait du livre Eloge de l'ombre, éd. Verdier, 2011  INFORMATIONSMaître d’ouvrage : Ville de Lausanne, Service des routes et de la mobilité
Maitre d’œuvre : Oloom Design, Olivier Rambert
Date d’exécution : décembre 2011 à mai 2012
Montant des travaux : CHF 606'000
Surface plancher brut : 92 m2

Etichette

Articoli correlati