Feuil­le de rou­te pour la ré­no­va­tion éner­gé­ti­que du pa­tri­moi­ne bâ­ti

Selon Stefanie Schwab et Jean-Luc Rime de la HEIA-FR, il est essentiel d’aborder la rénovation de façon raisonnable et globale. Il existe des mesures relativement simples à mettre en œuvre qui permettent de maximiser l’impact de la rénovation et d’atteindre au moins 80 % des économies énergétiques recherchées.

Data di pubblicazione
13-12-2022
Stefanie Schwab
dipl. ing. architecte SIA, professeure associée à la HEIA-FR

Il est indispensable de rénover énergétiquement le parc immobilier existant pour affronter les enjeux climatiques. La Confédération et les cantons en ont fait une priorité en mettant sur pied des programmes d’encouragement et en renforçant le cadre légal. Selon l’Office fédéral de l’énergie (OFEN), « l’optimisation de l’exploitation énergétique devient obligatoire pour tous les bâtiments jusqu’en 2030. Jusqu’en 2050, la grande majorité des bâtiments auront fait l’objet d’une rénovation énergétique et les chauffages au mazout ou au gaz ainsi que les chauffages électriques fixes à résistance auront été remplacés par des énergies renouvelables »1. Malgré ces mesures, le taux de rénovation énergétique reste limité à 1% du parc immobilier par an et les interventions ponctuelles sans vision d’ensemble sont la norme. Lorsqu’un projet de rénovation est mené, il se résume souvent à installer des fenêtres en PVC blanches, à emballer l’immeuble avec une isolation périphérique crépie et à poser une pompe à chaleur qui consomme de l’électricité. Ces solutions sont souvent discutables du point de vue du patrimoine, de la physique du bâtiment ou encore de la durabilité.

Depuis 2012, l’institut Transform cherche à comprendre les raisons de cet échec et mène des projets de recherche appliquée sur ces questions. Le dernier en date a été mené en collaboration et avec le financement de l’État de Vaud. Il servira de fil conducteur pour la rénovation énergétique des immeubles protégés et recensés de ce canton.

L’accompagnement de rénovations durables nécessite des compétences en matière d’architecture, de construction, de patrimoine, d’énergie, de physique du bâtiment et d’économie. L’institut Transform œuvre dans cet esprit en étroite collaboration avec les cantons et leurs offices. Son pôle de compétences consacré à la rénovation des bâtiments assure la formation initiale et continue, cultive les échanges de connaissances et élabore des outils pour des rénovations durables.

Manque de planification

La rénovation de bâtiments emblématiques implique généralement l’accompagnement par des spécialistes, ce qui permet d’arriver à des solutions adéquates. Mais cela est rarement le cas pour les bâtiments ordinaires qui caractérisent pourtant les quartiers, villes et villages : les propriétaires ou les gérances mandatent des entreprises sans passer par une étude globale. Parfois un rapport CECB Plus2 est établi, mais il se limite souvent à conseiller l’épaisseur d’isolation nécessaire pour obtenir les subventions. La complexité de la tâche est sous-estimée et aucun détail constructif n’est élaboré. Les conséquences sont alors autant architecturales que techniques : des phénomènes liés à la physique du bâtiment sont négligés, les ponts thermiques ne sont pas résolus, la ventilation est insuffisante et des problèmes de condensation et de moisissures peuvent même apparaître, aggravant la situation sans garantir l’efficacité énergétique. À large échelle, l’application de ces solutions standardisées change progressivement l’aspect des quartiers et banalise l’environnement construit. Les bâtiments vaudois recensés en notes 3 et 4, ainsi que les sites ISOS3 et cantonaux sont particulièrement menacés.

Comment augmenter la quantité des rénovations et garantir la qualité et la durabilité des travaux? Quelles interventions sont réalistes et quelle méthodologie permet d’atteindre ces objectifs?

Typologie des immeubles d’habitation

Le projet de recherche eREN, publié en 2017 par une équipe interdisciplinaire de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) a montré que chaque époque présente des caractéristiques architecturales et constructives propres. Celles-ci sont liées au mode de construction et aux matériaux utilisés à l’origine et la stratégie de rénovation énergétique devrait en tenir compte. L’étude a permis d’établir une typologie des immeubles d’habitation du 20e siècle en Suisse romande, ainsi qu’un outil de travail pour la rénovation énergétique globale de l’enveloppe.

Leurs caractéristiques ont été analysées dans dix études de cas représentatifs, qui ont permis d’identifier les éléments méritant d’être conservés, ainsi que les éléments de construction faciles à améliorer énergétiquement (scénario 1). Dans la plupart des cas, les premières mesures de bon sens permettent d’atteindre environ 80 % de l’objectif énergétique. Elles doivent être complétées par des mesures supplémentaires; or celles-ci ont souvent un impact considérable sur l’usage, l’aspect architectural ou l’aspect économique (scénario 2) (voir graphique eREN).

Patrimoine: désamorcer les confrontations

Plusieurs études menées à l’institut ont soulevé le manque d’accompagnement des propriétaires dans leurs démarches de rénovation, le manque de connaissances et d’outils concrets ainsi que la nécessité de trouver des stratégies interdisciplinaires avec les administrations publiques concernées. Pour y répondre, un projet de fiches typologiques de «restauration énergétique» des bâtiments d’habitation à caractère patrimonial associe les directions de l’énergie (DIREN) et du patrimoine (DGIP) du Canton de Vaud dans une vision commune de «bonnes pratiques». Ces services ont constaté une nette augmentation des demandes mais également des conflits. Ils souhaitent pouvoir proposer aux propriétaires et aux professionnels des solutions pour désamorcer les confrontations, concilier les intérêts divergents et augmenter la qualité des projets déposés.

Afin d’intégrer les enjeux techniques et environnementaux, l’approche globale eREN est complétée par un bilan énergétique et environnemental pour chaque mesure de rénovation, une production de chaleur renouvelable contextualisée, une réflexion sur la ventilation des locaux et l’intégration de l’énergie solaire. Les fiches illustrent les mesures de rénovation et hiérarchisent les interventions selon la vétusté des éléments et la faisabilité des travaux (voir graphique bilan énergétique et environnemental).

Approche globale

D’autres contraintes telles que les exigences en matière de protection incendie, d’isolation phonique, la mise en conformité des éléments de sécurité ou encore la présence de substances nocives influencent fortement un projet de rénovation. Des réflexions sur la pertinence de la typologie du bâtiment, son usage ou le potentiel de densification peuvent lui apporter des plus-values.

Les rénovations ne sont toutefois pertinentes que si elles tiennent compte de la durée de vie des éléments, si elles préservent les qualités existantes et en créent de nouvelles. Ces assainissements doivent donc être considérés comme un processus d’optimisation dans une perspective de « durabilité » qui inclut l’énergie grise des éléments et la durée de vie des interventions. La législation et les labels, destinés jusqu’à présent surtout aux nouvelles constructions, doivent prendre davantage en considération les particularités des bâtiments existants et leurs limites.

Les études de cas montrent qu’on peut améliorer la plupart des bâtiments à caractère patrimonial de la classe énergétique G à la classe D avec un effort raisonnable. Notamment en isolant les dalles et les murs contre les espaces non chauffés, ainsi que les éléments de l’enveloppe extérieure avec un crépi isolant minéral sur les façades. Pour atteindre les exigences légales applicables aux bâtiments non protégés patrimonialement (classe C), une isolation intérieure est souvent nécessaire. Cela implique toutefois des travaux conséquents dans les logements ainsi qu’un soin particulier à apporter aux détails constructifs4.

L’approche privilégie les matériaux minéraux et biosourcés, ouverts à la diffusion de vapeur, pour réduire les risques de condensation et limiter l’énergie grise des rénovations. La substance historique est préservée. On peut ainsi améliorer les fenêtres existantes en changeant uniquement les verres, ou préserver les anciennes portes en créant un sas d’entrée.

Quant à l’isolation intérieure, difficilement réalisable en site occupé, elle peut parfois être évitée grâce à des stratégies de compensation, en intervenant par exemple sur les façades sur cour, les attiques en retraits ou les façades pignon souvent plus modestes, avec une isolation périphérique en panneaux de silicate de calcium.

Rien ne remplace l’expertise professionnelle

Les fiches typologiques sont un outil précieux pour les planificateurs et services concernés. Toutefois, pour garantir des rénovations durables, il est nécessaire d’encourager activement et de subventionner des études globales établies par des professionnels qualifiés qui serviront de base aux autorisations et aux subventions. Une feuille de route individuelle donnerait au propri­étaire une idée fiable des travaux et investissements nécessaires. Ceci est une condition nécessaire pour permettre d’échelonner les travaux en fonction de la vétusté des éléments. Ainsi les rénovations seront techniquement faisables et économiquement supportables tout en respectant la substance historique et en limitant l’énergie grise des travaux.

Notes

 

1. «Parc immobilier 2050 – Vision de l’OFEN», version du 1er mars 2022

 

2. CECB Plus: Rapport de conseil en complément d’un CECB (certificat énergétique cantonal des bâtiments), en vue d’une rénovation énergétique

 

3. ISOS: Inventaire fédéral des sites construits d’importance nationale à protéger en Suisse

 

4. Voir Tracés 19/2011, l’assainissement énergétique des bâtiments historiques

L’étude eREN «Rénovation énergétique – Approche globale pour l’enveloppe des bâtiments » et les 10 fiches typologiques peuvent être téléchargées en français et allemand sur le site web du Smart Living Lab: smartlivinglab.ch/fr/projects/eren-energie-et-renovation/

Les fiches typologiques de «restauration énergétique» des bâtiments d’habitation à caractère patrimonial du canton de Vaud seront publiées début 2023.

vers le 80 %

 

Ce deuxième article de la rubrique «Tout se transforme» poursuit son exploration de la transformation déclinée sous le thème de la rénovation énergétique des bâtiments. Dans l’article précédent (Tracés 10/2022), Reto Mosimann présentait une méthode développée pour aborder la rénovation d’un patrimoine exceptionnel d’après-guerre, dont plusieurs bâtiments classés de l’architecte Max Schlup. La méthode consiste à déterminer le juste degré d’intervention en tenant compte des impacts en termes d’énergies opérationnelles, d’énergie grise, de durée de vie du bâtiment et des matériaux entrants et sortants dans le processus de rénovation. Dans cet article, Stefanie Schwab et Jean-Luc Rime reviennent eux aussi sur la rénovation énergétique, mais avec une approche qui touche le stock bâti dans sa globalité. Ils définissent des typologies de bâtiments qui donnent des principes applicables à la production d’une période.

 

Les auteur·es montrent qu’il existe des mesures relativement simples à mettre en œuvre pour maximiser l’impact de la rénovation et atteindre au moins 80 % des économies énergétiques recherchées. Ce sont ces mesures qu’il faudrait privilégier et généraliser. Au contraire, chercher à atteindre un équilibre parfait au niveau énergétique risquerait d’entraîner des mesures coûteuses, qui ne pourront être accessibles que pour trop peu de propriétaires, au risque de manquer le but poursuivi de généralisation de la rénovation. Qu’elles soient spécifique ou typologique, les deux approches suggèrent la pertinence du principe de Pareto, qui table sur le fait qu’agir sur 20 % des causes permettrait de résoudre 80 % d’un problème. Se pose alors la question du respect des normes et du droit aux subventions qui ne devraient pas être conditionnés à la seule atteinte de valeurs limites quantitatives, mais plutôt à la qualité d’un projet de rénovation global, quitte à ce que celui-ci soit échelonné dans le temps.

 

Comité éditorial : Séréna Vanbutsele et Marco Svimbersky (Institut TRANSFORM, HEIA-FR) ; Isabel Concheiro et Valérie Ortlieb (filière d’architecture HEIA-FR) ; Marc Frochaux et Camille Claessens-Vallet (TRACÉS).