L’as­sai­nis­se­ment éner­gé­tique de bâ­ti­ments his­to­riques

Plaidoyer pour une démarche plus pragmatique et cohérente.

Le secteur du bâtiment est responsable de près de 40?% de la consommation d’énergie en Suisse et présente ainsi un important potentiel d’optimisation qui se situe principalement dans l’assainissement énergétique des bâtiments existants. En effet, près de 70?% de ceux-ci datent d’avant 1970 et la majorité d’entre eux bénéficierait d’une rénovation visant à diminuer leurs besoins en chauffage. Cependant, les exigences énergétiques se heurtent souvent aux questions de conservation du patrimoine, notamment pour les bâtiments dont les façades sont classées.

Date de publication
11-01-2012
Revision
19-08-2015

La volonté de réduire les besoins en énergie des bâtiments s’est traduite notamment par le relèvement des critères inscrits dans les normes de la construction. En particulier, la révision 2009 de la norme SIA 380/1 (SIA, 2009) matérialise les objectifs ambitieux des cibles de la Confédération pour la réduction de la consommation d’énergie fossile. Cette norme vise à limiter la consommation d’énergie des bâtiments neufs et de ceux faisant l’objet d’une transformation. La preuve de conformité peut être apportée par un calcul du besoin de chaleur pour le chauffage (exigences globales), ou par une performance minimale des éléments de l’enveloppe thermique touchés par les travaux (exigences ponctuelles). Au fil de ses révisions, la norme SIA 380/1 a resserré considérablement les valeurs limites autorisées, ce qui a pour conséquence pratique une augmentation des épaisseurs d’isolation thermique (Tab.?A). Ainsi, entre 1988 et 2009, l’épaisseur minimale requise d’isolation pour la rénovation d’un mur en maçonnerie de moellons de 50 cm a presque doublé.
L’isolation thermique peut être appliquée à l’extérieur ou à l’intérieur de la structure porteuse du bâtiment. Dans le cas de l’assainissement énergétique d’une façade protégée, une isolation intérieure est nécessaire afin de préserver l’aspect original de la façade. Cependant, cette méthode requiert des investigations poussées afin de réduire les risques qui y sont associés.
La démarche usuelle pour évaluer les risques de condensation de vapeur à l’intérieur des éléments de construction consiste à calculer la quantité de vapeur condensée chaque mois, sur la base de la température extérieure mensuelle moyenne et de la perméabilité à la vapeur d’eau de chaque matériau. Cette méthode, connue sous le nom de calcul Glaser (ISO, 1999), est notoirement insuffisante pour évaluer les risques dans le cas d’une isolation intérieure. Elle néglige en effet le comportement dynamique des matériaux ainsi que les phénomènes liés au rayonnement, à la pluie battante et aux processus d’infiltration par capillarité et adsorption dans la structure du bâtiment.
Des méthodes de simulation hygrothermique permettent la prédiction heure par heure de la quantité d’eau stockée en chaque endroit d’un élément de construction afin d’évaluer son comportement hygrothermique réel (SIA, 2009; WTA, 2009; WTA, 2002).

Clinique des Salines (Rheinfelden, AG)

L’aile ouest du Grand Hôtel de la clinique des Salines à Rheinfelden a été bâtie entre 1895 et 1896 par l’architecte H.C. Moser. Elle consiste en une grande salle au rez-de-chaussée s’étendant sur deux étages et de chambres d’hôtel aux étages supérieurs. Devant la salle, un portique décore la façade ouest du bâtiment. Sur les trois autres étages, la façade composée de briques n’offre qu’une protection minimale contre la pluie : aucun crépi, un petit avant-toit et des petits balcons.
Suite à son abandon au début des années 1960, un projet de revitalisation prévoit de rendre le bâtiment à nouveau habitable et de le rénover selon les standards contemporains. Pour des raisons de protection du patrimoine, la pose d’une isolation thermique à l’extérieur de la structure est exclue. De plus, en l’absence de protection contre la pluie battante, une isolation intérieure semble à première vue inappropriée. Le calcul du risque de condensation dans la structure selon Glaser ne permet pas d’évaluer l’impact de la pluie contre les façades et le transport d’humidité par capillarité dans la construction. Seule une simulation hygrothermique dynamique permet d’analyser la teneur en eau de l’élément de construction et son potentiel de séchage.
De plus, des épaisseurs importantes de calorifuge sont imposées par la norme SIA 380/1. Cinq variantes ont été étudiées afin de retenir la meilleure solution : isolation en cellulose entre éléments de soutien en bois, isolation en panneaux isolants minéraux, isolation en verre cellulaire, des panneaux silico-calcaires et un crépi isolant.
Une première analyse démontre l’impossibilité de placer une épaisseur d’isolation correspondant aux exigences ponctuelles de la norme SIA 380/1 en vigueur. Seuls les panneaux isolants minéraux ou silico-calcaires s’avèrent capables de gérer l’apport d’humidité dans la façade. Le choix de l’architecte se portant sur des panneaux isolants minéraux, une épaisseur maximale de 8 cm a été évaluée pour ce matériau, correspondant à une valeur U de 0.36 W/m2K. Bien que la solution retenue ne respecte pas les exigences ponctuelles selon la norme SIA 380/1, elle permet de diminuer fortement les pertes thermiques et de garantir le confort thermique dans les chambres d’hôpital, suite à l’augmentation de la température superficielle du mur.

Bûcher de la Pastorale (Petit-Saconnex, GE)

Le bâtiment du Bûcher est rattaché à l’ensemble architectural du domaine de la Pastorale, composé de quatre bâtiments construits entre 1833 et 1836 par l’architecte et entrepreneur M.-F. Brolliet. Ces bâtiments sont classés et hébergent des locaux administratifs pour cinq organisations genevoises et internationales. Le Bûcher représente le dernier bâtiment à rénover dans le domaine. Ses façades du rez-de-chaussée sont composées de murs en moellons, crépis à l’intérieur et à l’extérieur. Une partie des façades massives présente une structure porteuse en bois. Le 1er?étage, matérialisé par une dalle en solives de bois traversant le mur, comporte des façades en bois.
Le risque de pénétration d’eau de la construction est tangible à cause des éléments porteurs en bois dans le mur du rez-de-chaussée et des poutres traversant le mur, d’autant plus que ces éléments en bois représentent des éléments de construction sensibles à l’humidité.
Un isolant capillaire-actif de seulement 6 cm d’épaisseur, à l’intérieur de la structure, a été proposé pour les façades du rez-de-chaussée, ceci afin d’éviter des dégâts dus à l’humidité. En contrepartie, le calorifuge des façades du 1er étage, du toit et du plancher ont été dimensionnés de manière à ce que le besoin d’énergie global pour le chauffage respecte les exigences de la législation. La solution retenue correspond à 21 cm d’isolation en laine minérale pour les façades du 1er?étage, 25 cm pour le toit et 20 cm d’isolation en polystyrène extrudé pour le plancher.
Une solution en accord avec la norme sur l’énergie thermique dans le bâtiment a pu être trouvée, tout en prenant en compte les contraintes de la physique du bâtiment. Les raccordements de l’isolation intérieure ainsi que certains détails de construction restent cependant délicats.

Points critiques de l’isolation intérieure

La pose d’une isolation thermique à l’intérieur de la structure porteuse induit certains risques.
La couche d’isolation y est nécessairement interrompue au niveau des dalles, créant ainsi un pont thermique. Ainsi, à épaisseur égale d’isolant, une isolation intérieure induit des pertes de chaleur largement supérieures à une isolation extérieure.
Dans le cas étudié ici, une isolation intérieure de 6 cm laisse passer un flux de chaleur 58 % supérieur au cas d’une isolation extérieure de même épaisseur. Pour ramener ces déperditions au même niveau qu’une isolation extérieure de 6 cm, il serait nécessaire de poser 16?cm d’isolation intérieure.
Les températures superficielles au niveau du raccord de la dalle peuvent devenir critiques et engendrer l’apparition de condensation, puis de moisissures. En outre, l’augmentation de l’étanchéité de l’enveloppe après travaux empêche la régulation du taux d’humidité par les murs. Si l’aération du bâtiment est insuffisante, l’humidité de l’air intérieur ainsi que l’hygiène du bâtiment deviendront critiques. Du côté de la structure, l’isolation intérieure induit un changement sensible du potentiel de séchage de la construction, car le transit vers l‘intérieur est alors fermé. Après travaux, la structure du bâtiment est entièrement soumise aux conditions climatiques extérieures. Ainsi en hiver, la température derrière la couche d’isolation sera très basse, ce qui crée des risques de condensation. Ce risque de dégâts est amplifié lorsque l’épaisseur d’isolation augmente.
Il est à noter que le climat ambiant ne bénéficie plus de l’inertie des murs, la structure du bâtiment n’étant plus en contact avec l’air intérieur. Ce fait peut conduire à des situations de surchauffe en été. De nombreux types de dégâts ont été observés suite à la pose incorrecte d’une isolation intérieure, notamment des moisissures, de la putréfaction et des dommages causés par le gel, le sulfate de sodium et la corrosion. A ce titre, le cas des poutres en bois est particulièrement critique. Il est à noter enfin que l’exécution d’une isolation intérieure est particulièrement délicate, notamment au niveau de la pose d’un frein vapeur.
Le dimensionnement et l’exécution d’une isolation intérieure sont donc particulièrement délicats et requièrent une évaluation rigoureuse des propriétés hygrothermiques des matériaux impliqués afin d’assurer la pérennité et l’hygiène du bâtiment.

Tenir compte de l’exécution

Il ressort des études présentées ci-dessus qu’il est crucial de procéder à un choix documenté des matériaux d’isolation et de leurs épaisseurs. Le grand nombre d’exemples de dégâts consécutifs à la pose d’une isolation intérieure inadaptée rappelle la nature délicate de ce type de travaux.
Il n’est souvent pas possible de satisfaire aux exigences légales pour les éléments ponctuels (tab. A), les épaisseurs d’isolation nécessaires étant trop importantes pour permettre une diffusion correcte de la vapeur. Toutefois, il est parfois possible de satisfaire aux exigences pour le besoin global en chauffage, par exemple en isolant davantage des éléments de façade moins critiques du point de vue de l’humidité. Dans ces cas, il faut veiller à ce que tous les éléments respectent les critères de la norme SIA 180 (SIA, 1999).
Dans les nombreux cas où il est impossible de satisfaire aux exigences de la SIA 380/1, une dérogation peut être demandée, qui est la plupart du temps acceptée par les services concernés si elle est correctement documentée par une étude de physique du bâtiment.
Dans le cadre de tels projets, il apparaît donc judicieux pour le planificateur de se libérer du strict respect de la norme SIA 380/1, qui conduit à des décisions sur la base d’un calcul théorique ignorant les difficultés d’exécution, l’impact sur l‘hygiène du bâtiment et le comportement des utilisateurs pendant la durée de vie du bâtiment. Il est donc d’autant plus important de développer des solutions adéquates du point de vue de la physique du bâtiment en liaison avec le concept d’isolation thermique. Une réflexion plus globale prenant en compte l’ensemble des questions concernées (isolation thermique, performance globale, mais aussi installations techniques, agent énergétique et cycle de vie des matériaux) constitue une démarche à la fois plus pragmatique et plus cohérente du point de vue du développement durable de l’environnement construit.

Julia Bachinger est architecte et ingénieur en physique du bâtiment.
Frédéric Haldi est physicien et ingénieur en physique du bâtiment.
Bernhard Stamm est Iingénieur civil et ingénieur en physique du bâtiment.
Ils travaillent tous au bureau Gartenmann Engineering SA à Lausanne2.

 

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