Le bois qui ca­che la fi­liè­re

Éditorial de Stéphanie Sonnette du numéro 7/2018

Data di pubblicazione
22-03-2018
Revision
23-03-2018

D'où viennent le bois, l’acier, le sable qui composent nos habitations? De quelle forêt, de quel sous-sol, de quelles usines?

En 2018, TRACÉS lance une série sur les filières des matériaux de construction utilisés en Suisse, de la matière première à la mise en œuvre. L’histoire du chêne français, traité et conditionné en Chine et revendu en Europe comme un matériau local est bien plus qu’une anecdote. C’est la condition du marché globalisé contre laquelle il faut réinventer de nouvelles stratégies de production. Alors que pendant longtemps l’origine des matériaux n’a pas fait débat (d’autant que les plus exotiques, en plus d’être moins chers, étaient souvent de qualité égale), voilà qu’on commence à y réfléchir, à cause du bilan carbone et du bilan social de cette nouvelle condition globale. Et parce qu’on prend soudain conscience d’avoir près de chez soi des ressources insuffisamment exploitées, des territoires à la peine et des savoir-faire qui se perdent. Dans le domaine de la construction comme ailleurs, les préoccupations convergent sous la bannière fédératrice du développement durable: faire vivre un tissu économique local, entretenir les paysages, garantir la qualité et la traçabilité des matériaux. Le sujet des ressources, des écosystèmes, de l’économie circulaire, des circuits courts est revenu en première ligne dans les discours de l’aménagement du territoire. Quoi de plus logique en effet, et cohérent avec les enjeux environnementaux, sociaux, économiques, que d’utiliser des matières premières disponibles sur place (le bois, la terre, la pierre)? Mais ces intentions vertueuses restent souvent des vœux pieux, faute d’un marché suffisant et d’un système d’acteurs économiques structuré. La faute aussi à une concurrence qui, dans un contexte de rentabilité exacerbée, rend le local trop onéreux.

Ce premier numéro «filières» consacré au bois trace le cheminement du matériau, de son exploitation dans les forêts helvètes jusqu’au chantier. Comment les forêts sont-elles gérées ? Le bois local (suisse en réalité, car le «local» a bien du mal à passer les frontières) parvient-il à être concurrentiel? Quelles sont les perspectives d’évolution de la filière?

Comme souvent quand on parle de matériau naturel, plusieurs écoles s’affrontent: les « puristes », garants de l’authenticité, des qualités et des valeurs du matériau, et les «pragmatiques», qui le font rentrer dans un système économique global. L’idéal d’une filière éthique s’oppose nécessairement au pragmatisme d’une filière en phase avec la réalité de la demande – celle-ci étant elle-même paradoxalement dopée par des idéaux empruntés aux idéalistes… Les connotations «naturelles» associées au bois en sont le meilleur exemple.

Pour cette fois, nous laisserons de côté ces débats, pour observer avec curiosité et intérêt comment la filière du bois suisse se construit et quelles stratégies elle déploie dans un contexte concurrentiel et de mutations technologiques majeures. Ce dossier donne un aperçu de la complexité du choix local, au-delà des a priori écologiques, et propose de revenir à l’économie, dans ce qu’elle peut avoir d’englobant, pour justifier et soutenir ce choix.

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