Mo­der­ne Athé­na

A Bandol, Jean Dubuisson a conçu à partir des années 1960 une opération de logements de vacances qui emprunte aux principes de l’urbanisme des grands ensembles: deux barres au milieu des pins, dans un domaine sans voitures.

 

Data di pubblicazione
11-01-2018
Revision
19-01-2018

Une carte postale de l’après-guerre nous montrerait la commune de Bandol couverte de vignes cultivées en terrasses, depuis le village jusqu’aux collines de l’arrière-pays. Aujourd’hui, si le vin lourd et sombre de Bandol a toujours du succès (l’écrivain américain Jim Harrison l’appréciait particulièrement), les vignobles ont été relégués dans de lointains vallons, et le territoire, comme le reste de la côte varoise, s’est couvert jusqu’à ses extrêmes limites de maisonnettes de vacances aux teintes saumonées, bien à l’abri derrière leurs clôtures opaques.

Un plan simple dans un relief chahuté


Pour découvrir Athéna, une résidence de vacances « moderne » au bord de la Méditerranée, conçue entre 1963 et 1975 par l’architecte Jean Dubuisson, il faut rouler longtemps sur des routes sinueuses à travers ce paysage pavillonnaire sans qualités. Quand enfin la route se termine en cul-de-sac devant un portail bien gardé, vous êtes arrivés. C’est ici, à la limite des zones urbanisées et de la côte sauvage, en rebord des falaises calcaires qui s’effondrent sous l’effet de l’érosion, que le domaine se déploie sur 15 hectares de pinède. Sur le relief chahuté du terrain, l’architecte a ordonné simplement l’espace en dessinant deux «barres» parfaitement perpendiculaires et de longueur presque égale (150 mètres environ), strictement orientées : une résidence-hôtel quatre étoiles (est/ouest), de trois niveaux sur rez-de-chaussée située sur un replat boisé, et un immeuble d’habitation (nord/sud) de huit étages au bord de l’eau, Athéna-Port. Une piscine collective, parallèle à l’hôtel, est positionnée en belvédère au-dessus de la falaise. Plus à l’ouest, on bascule dans un vallon autrefois cultivé, recolonisé par les pins, dans la courbe duquel l’architecte a inscrit finement trois terrains de tennis.

Deux barres, 302 cellules


La première barre que l’on rencontre en entrant dans la résidence est perdue dans un paysage de pins, d’eucalyptus et de plantes méditerranéennes bien entretenues, formant une échelle intermédiaire qui atténue la longueur du bâtiment et rompt la régularité de sa façade. L’hôtel et son restaurant, qui occupaient le rez-de-chaussée, ont été fermés dans les années 1980, faute de clients. Il n’en subsiste aujourd’hui que la réception, le grand hall traversant et une entrée monumentale sous un vaste auvent paré de bois. Les dessins de l’époque permettent d’imaginer le bar, les vitrines et le restaurant au mobilier soigné dessiné par le décorateur Pierre Guariche.

Comme toujours chez Jean Dubuisson, le plan du bâtiment est simple et rationnel. A chaque étage, un couloir central dessert des studios situés de part et d’autre, mono-orientés à l’est ou à l’ouest, tous identiques, à l’exception des appartements des pignons. Structurellement, ce bâtiment en béton armé est conçu sur une trame de murs de refend qui détermine la largeur de chaque studio. 

A l’intérieur de ces rectangles de 35 m2, l’espace est divisé en trois parties. Un bloc cuisine-sanitaires-rangements dans l’entrée, une pièce principale, et une loggia assez profonde décaissée d’une cinquantaine de centimètres. L’architecte a modulé les hauteurs sous plafond : assez basse dans la partie cuisine-sanitaires, plus haute dans le séjour, de nouveau basse dans la loggia. Celle-ci est équipée de deux banquettes en bois qui coulissent pour former un lit double ou deux lits simples. Ces subtilités qui visaient à créer une variété de sous-espaces et d’ambiances dans ces petits studios ont disparu au gré des réaménagements successifs. Toutes les loggias, originellement ouvertes, sont maintenant fermées, et les blocs cuisine-salle de bains ont été pour la plupart totalement reconfigurés. Certains propriétaires ont cloisonné pour créer des chambres, d’autres ont complètement ouvert l’espace.

En contrebas de l’hôtel-résidence, au bord de la marina, Athéna-Port est une barre plus fine mais beaucoup plus imposante avec ses huit étages, qui assume une certaine brutalité dans le paysage. Vue de la mer, elle tranche sur les falaises ocres par sa blancheur éclatante. Côté nord, un canyon frais et vertigineux la sépare de la falaise. On y descend par un escalier tortueux accueillant une végétation méditerranéenne, qui contraste avec l’aridité bétonnée de la façade sud. Cet escalier permet d’accéder à chaque niveau aux larges coursives qui desservent les appartements aux typologies variées.

Au sud, face à la mer, la barre se révèle dans toute sa monumentalité, encastrée à l’une de ses extrémités dans la falaise. Si la façade de l’hôtel est neutre et lisse, très homogène, celle d’Athéna-Port est plus rythmée et travaillée en relief. Un socle de duplex sur deux niveaux lui donne son assise. Il est surmonté de six niveaux de logements dont le dernier bénéficie de grandes terrasses. Des encadrements de béton autour des ouvertures alternent avec des loggias. Là encore, les habitants ont progressivement fermé les loggias et les terrasses, lissant la perception de la façade et altérant l’effet de contraste entre les vides et les pleins imaginé par l’architecte.

Un domaine sans voitures


Si le meilleur, voire le seul moyen de venir à Athéna reste la voiture, à l’intérieur du domaine, on se déplace à pied. A l’exception de deux voies de circulation (le dépose-minute de l’ancien hôtel et la voie d’accès à la marina pour y descendre les bateaux), les voitures se garent à l’entrée, sur deux vastes parkings. Celui d’Athéna-Port est particulièrement intéressant : il est installé sur une plateforme en haut de la falaise, à la même hauteur que le dernier étage du bâtiment, dont il est séparé par le canyon. Par une passerelle, les résidents accèdent à la coursive du dernier niveau et à un escalier-ascenseur extérieur.

Le sentier littoral: regagner un accès public à la mer


A la fin des années 1960, rien n’interdit de construire au bord de la mer. Les préoccupations environnementales, la préservation des ressources naturelles et des paysages, le libre accès public au rivage ne sont pas encore à l’ordre du jour. En 1986 pourtant, face aux dérives spéculatives qui touchent les côtes françaises, la loi Littoral change la donne. Elle interdit notamment toute construction et installation nouvelle à moins de 100 mètres du rivage en dehors des zones urbanisées et instaure une servitude de passage de trois mètres en bordure de toute côte : le sentier littoral. Athéna, qui se déploie sur 17 hectares entièrement privatisés et enclos au bord de l’eau, a ainsi dû intégrer, de plus ou moins bonne grâce, un passage public à l’intérieur du domaine pour assurer la continuité de la promenade sur toute la côte, depuis Bandol jusqu’à Saint-Cyr-sur-Mer, à grands renforts de grillages, de portails à codes et de passerelles métalliques.

La température monte...


Construits en béton, sans isolation, les deux bâtiments n’ont pas de réels dispositifs de rafraîchissement naturels. On touche le point faible de l’opération: l’été, les logements, plein sud pour Athéna-Port et mono-orientés dans la résidence, deviennent des fours. Pour lutter contre la chaleur, tous les studios ou presque sont aujourd’hui équipés de climatisations parfaitement énergivores. Même si les copropriétaires semblent préférer ces solutions individuelles, la perspective d’avoir bientôt un climat du Maghreb sur les rives bandolaises justifierait d’engager une réflexion plus globale, à l’échelle des bâtiments eux-mêmes, sur les économies d’énergie et le confort d’été.

A bien regarder le laisser-faire qui sévit dans le Var en matière d’urbanisme – collines colonisées par des milliers de maisons individuelles, multiples routes de desserte et paysages dégradés, menacés par les risques d’incendie et d’inondations –, on peut considérer qu’Athéna offre une réponse plus adaptée au tourisme de masse, en termes d’impacts sur le paysage comme sur l’environnement. L’intelligence de l’implantation des bâtiments, la densité maîtrisée qui permet de préserver la majorité des espaces naturels du domaine, la place limitée de la voiture, la mutualisation des équipements (piscine, tennis) font oublier ses défauts (la faiblesse des performances environnementales...). Ici, chaque été, plusieurs centaines de vacanciers sont logés dans seulement deux bâtiments, au cœur d’un environnement boisé et piéton, dont ils peuvent profiter collectivement.