Le Gaou Bé­nat: stra­té­gie de l'ef­fa­ce­ment

Au Gaou Bénat, 700 maisons de vacances se dissimulent dans les replis de la côte rocheuse des Maures. Réparties en hameaux qui suivent les courbes de niveau et très intelligemment implantées dans la pente, elles cultivent l’art
du camouflage. 

Data di pubblicazione
11-01-2018
Revision
16-01-2018

Construit entre 1958 et 1975 sur le Cap Bénat dans le Var, l’un des plus beaux sites de la côte des Maures, le domaine de vacances du Gaou Bénat compte aujourd’hui 700 maisons réparties sur 160 hectares. Dans un paysage exceptionnel, les architectes André Lefèvre et Jean Aubert ont dessiné le plan masse du domaine selon une organisation vernaculaire, implantant les hameaux et les maisons dans le site sans trop en perturber la topographie. L’architecture du premier hameau qu’ils ont construit, le Village des Fourches, est quasi troglodyte, elle fait corps avec le paysage environnant, privilégiant les vues vers la mer et protégeant les constructions des expositions les plus chaudes et des vents dominants. Les toits-terrasses favorisent la recolonisation par des espèces indigènes, créant un ensemble harmonieux, conjuguant densité construite et végétale. Les principes constructifs très simples de cette première opération, traduits par les architectes dans le règlement du lotissement qui s’applique à tout le domaine, sont autant de règles de «savoir-habiter» qui invitent à un «savoir-vivre» en collectivité. Chacun peut construire sa maison comme il l’entend, dans le respect de ces règles communes.

Vernaculaire bien encadré


André Lefèvre et Jean Aubert ont d’abord dessiné le plan masse qui définit l’implantation générale des hameaux, puis étudié chaque secteur en détail et travaillé chaque bâtiment en coupe pour intégrer tous les paramètres: les orientations, les niveaux, les terrasses et les vues. Il n’y a pas de modèle unique : chaque maison est différente, dessinée sur mesure par un architecte, dans l’esprit du cahier des charges et de la modestie générale de l’opération.

Ce cahier des charges, toujours en vigueur aujourd’hui, énonce quelques principes pour insérer au mieux les bâtiments dans le site et la pente. Aucun élément construit ne doit par exemple émerger à plus de 4,5 mètres au-dessus du terrain naturel, ce qui conduit à enterrer en partie les maisons. Les toitures-terrasses plantées sont obligatoires et tous les murs doivent être en pierre de Bormes1, dont la couleur sombre se fond complètement dans le paysage. Dans un entretien réalisé peu avant sa mort en 20102, André Lefèvre précisait ses intentions: «Je cherchais évidemment à être toujours bien intégré au site, par les volumes, les matériaux, la couleur et j’ai suivi quelques principes : n’utiliser que des matériaux qui ressemblent au sol, par leur texture, par leur couleur, n’avoir aucun matériau qui soit trop arrogant. Et du bois, chaque fois que c’était possible.»

Pour assurer le respect de ce cahier des charges à travers le temps, la copropriété a mis au point une procédure très cadrée: tout projet de construction ou de rénovation doit être réalisé par un architecte et visé par un collège d’architectes avant d’être approuvé. Le propriétaire dépose ensuite un permis de construire, instruit en mairie et visé par l’Architecte des Bâtiments de France.

Petites parcelles, immense domaine


La plupart des maisons sont de taille assez modeste, avec une cuisine ouverte sur le séjour dont les baies vitrées peuvent s’ouvrir complètement sur les terrasses, et des chambres de petite taille souvent situées sur la partie arrière, contre la pente. Toutes les configurations de maisons sont possibles, selon le type d’accès et l’orientation, allant du petit bloc jusqu’à des ensembles plus complexes, organisés sur plusieurs niveaux et desservis par des escaliers extérieurs.

L’intimité de chacun est préservée, sans pour autant que les terrains soient clos, grâce à une variété d’ouvrages qui forment les limites: murs, murets, portillons bas, bosquets et végétation. Les murs relativement hauts permettent d’isoler les maisons phoniquement et visuellement. Toutes les constructions sont imbriquées, mais de telle sorte que chacun profite de la nature, du calme, des vues. Ainsi, lorsque deux maisons sont superposées dans la pente, celle du dessus a vue sur le toit-terrasse de celle du dessous et non sur les espaces de vie extérieurs de son voisin.

A pied dans les gaous


Dans le plan masse d’origine, les architectes ont voulu minimiser les voiries pour limiter l’emprise de la voiture. Chaque hameau est ainsi desservi par des sentes calées sur les courbes de niveau, qui ne font pas plus de trois mètres de large et permettent juste le passage d’une voiture pour desservir les maisons, selon un système de dépose-minute. Les véhicules stationnent ensuite dans des garages regroupés par grappes de quatre ou cinq à l’extérieur du hameau. La mise à l’écart des véhicules change les usages et les rythmes, tout en ménageant le paysage. Chacun circule à pied dans le domaine, par un réseau de chemins piétons, souvent en escaliers et qui s’étend jusqu’à la mer : les gaous. Ces cheminements caractéristiques de la région ont fait l’objet de la même attention de la part des architectes; ils créent des situations complexes très travaillées qui contribuent fortement à la qualité de cet ensemble.

Depuis les années 1980, le paysage de la côte méditerranéenne fait les frais de la construction massive et anarchique de maisons individuelles, bien séparées les unes des autres par des portails et des clôtures et bâties à grands renforts de terrassements le long d’un réseau de voiries toujours plus étendu. Plus de 50 ans après sa création, le Gaou Bénat apparaît comme une alternative heureuse toujours valable pour concilier paysage et habitat individuel dense de loisirs. Une opération sensible qui devrait encore aujourd’hui nous inciter à penser autrement l’aménagement du littoral méditerranéen.

Cet article est une version remaniée d’un texte paru dans le guide Comprendre, Une visite de 15 opérations de logements denses remarquables, édité en 2017 par le CAUE 13 et téléchargeable en ligne.

 

 

Notes

1. La pierre de Bormes est une roche métamorphique hercynienne de type gneiss ; l’unité à laquelle elle appartient fait partie du massif des Maures, un des massifs cristallins externes qui, comme ceux du Mont-Blanc, de l’Aar ou du Gothard, structurent le versant européen de la chaîne alpine. De par sa foliation très prononcée, la pierre de Bormes se débite aisément en dalles.

2. André Lefèvre – Jean Aubert / architectes, film réalisé à l’occasion de l’exposition André Lefèvre et Jean Aubert, architecture de la disparition, Villa Noailles, Hyères, Archibooks, 2009. Commissariat: Jean-Pierre Blanc, directeur, et Florence Sarano, architecte. Réalisation et entretiens: Florence Sarano.