MU­DUN, ou la dif­fi­ci­le mon­stra­tion de la mé­tro­po­le ara­be

L’exposition MUDUN, Urban Cultures in transit, questionne le concept de la métropole arabe.

Data di pubblicazione
12-07-2017
Revision
19-07-2017

L’exposition organisée conjointement par le Vitra Design Museum et la revue dubaïote Brownbook se donne pour ambition de documenter «les dynamiques et les atmosphères urbaines dans une vaste aire géographique couvrant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA)». Les curateurs ont tenté de relever ce défi en organisant l’exposition autour de trois thèmes: Architecture, Places et Societies. Les visiteurs peuvent y découvrir une maquette de l’arche parabolique réalisée par Oscar Niemeyer à Tripoli au Liban, une autre du module octogonal de la luxueuse université à Doha au Qatar. Dans un autre ordre, le visiteur s’arrêtera devant une photographie montrant deux messieurs fixant un smartphone dans un café de Bagdad, ou encore un marché aux poissons de Besiktas à Istanbul. Bien que l’exposition bâloise s’efforce d’examiner un objet d’étude épineux – en l’occurrence la métropole arabe – l’impression générale qui s’en dégage est contrastée, tant l’étalage d’images hétérogènes et décontextualisées rend difficile son appréciation.

Architecture


Disséminées dans la petite salle d’exposition, des maquettes en terre cuite représentent dix extraits de réalisations architecturales emblématiques supposément rattachées au « monde arabe ». Très vite, la volonté affichée par les organisateurs de chercher un fil conducteur homogène à l’intérieur de ce corpus est mise à mal. D’abord, parce que derrière la dénomination MENA, il y a une aire géographique immense, franchissant trois continents. Ensuite, parce que les curateurs choisissent des exemples de bâtiments situés en Europe et en Amérique du Nord, bien loin donc de la zone MENA. Ainsi, dans une aire géographique aussi fluctuante, il est difficile de trouver une quelconque cohérence architecturale. Parmi les rapprochements difficiles, le gymnase posthume de Le Corbusier construit à Bagdad entre 1978 et 1980 n’a pas de parenté avec le cimetière musulman d’Altach en Autriche ou encore avec le jardin du musée Aga Khan à Toronto au Canada, réalisés tous deux dans les années 2000. Paradoxalement, l’absence de l’architecte égyptien Hassan Fathy, dont l’influence dépasse largement le monde arabe, ne manque pas d’étonner. Force est de constater que pour la revue émiratie, l’architecture la plus emblématique du panarabisme n’est pas suffisamment significative pour être retenue.

Places


Pour illustrer le deuxième thème de l’exposition, des cartes de villes et des documents d’archives montrent dix situations urbaines issues de la friction, souvent abrupte, entre la ville traditionnelle et des quartiers récents. L’opposition manichéenne entre une culture locale célébrée pour son «authenticité» et une modernité décriée car « homogénéisante », est d’emblée formulée dans le titre de l’exposition. En langue arabe, Mudun est le pluriel de médina, et signifie ville. L’utilisation de ce terme se confronte à deux difficultés. Premièrement, l’exposition utilise un mot de langue arabe pour désigner des villes situées dans des aires géographiques non arabophones, comme Téhéran ou Istanbul. Notons à ce propos que la prééminence du modèle urbain de la ville arabe serait sérieusement ébranlée si l’on relevait les apports importants de l’art urbain perse ou seldjoukide. La deuxième difficulté découle de l’histoire du signifié du mot Médina. Toponyme de Médine, « ville par excellence » du prophète Mohammed, une utilisation restrictive du terme s’est répandue à partir du début du 20e siècle en France dans le contexte colonial. Le terme « médina » ne renvoie plus alors à la ville dans son entièreté, mais à une partie seulement: la «ville indigène» en opposition à la «ville neuve européenne»1. Bien malgré elle, l’exposition bâloise illustre la virulence du pouvoir de signification du mot sur les représentations collectives. Non seulement l’exposition Mudun assimile au sein d’un seul et même concept, des villes situées bien au delà du «monde arabe», pis encore, elle enferme ce corpus hétéroclite dans une opposition dualiste entre médina ancienne et métropole contemporaine, tradition et modernité. Le tropisme orientaliste semble toujours persistant.

Societies


A travers des photographies, des textes et des enregistrements audio, le dernier volet de l’exposition documente la façon dont dix diasporas issues de la zone MENA participent à la fabrique quotidienne de leurs quartiers d’adoption. Pêle-mêle, on s’arrête devant la photo d’un barbier kurde à Nashville, on lit un texte à propos des membres de la communauté tunisienne du quartier de Belleville à Paris et on traverse un océan à la rencontre de la communauté libanaise du Brésil. L’exposition se risque à un pari impossible. Des groupes sociaux originaires de différents pays et installés dans différentes métropoles sont mis sur un même pied d’égalité. Pourtant, le Little Kurdistan de l’Etat du Tennessee n’a rien à voir avec les immigrations successives des Tunisiens de confession juive puis musulmane dans le quartier parisien ni avec l’implantation séculaire des premières diasporas libano-syriennes à Rio de Janeiro. En voulant, coûte que coûte, trouver une cohérence sociologique à des groupes de personnes si hétérogènes, l’exposition pèche aussi par une forme de tropisme romantique. Le concept de l’homme nomade et multiculturel opère difficilement lorsqu’on l’utilise pour observer les mouvements de population dans le monde arabe. Depuis des décennies, les déplacements de populations en Palestine et plus récemment en Syrie, Irak ou Libye sont provoqués par des situations de guerre. Dans ces situations majoritaires que l’exposition ignore, il est difficile de parler de «cultures en transit», mais plutôt de déplacements forcés.

Quiconque veut écrire, photographier, filmer ou exposer la ville dans le monde arabe, doit surmonter un obstacle méthodologique sérieux : la définition de la métropole arabe. L’exposition MUDUN s’essaie à plusieurs pistes mais démontre, malgré elle, qu’il est impossible d’y échapper. Nous proposons l’hypothèse que la construction du concept de «métropole arabe» ne peut pas se faire sur des bases culturelles, encore moins religieuses ou linguistiques. Elle ne peut l’être que politiquement. C’est, peut-être, sur cette pierre d’achoppement que l’exposition émiratie à Bâle trébuche.

 

Note

1    A propos du mot «médina», je me réfère ici à L’aventure des mots de la vile, à travers le temps, les langues, les sociétés, Sous la direction de Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin, Editions Robert Laffont, Paris, 2010, pp. 729-735.

 

MUDUN, urban culture in transit

Exposition conjointe du Vitra Design Museum et de la revue dubaïote Brownbook
Jusqu’au 20.08.2017. Vitra design museum, Weil am Rhein.