Sols bio­ren­for­cés: vers un chan­ge­ment de pa­ra­dig­me

Des chercheurs du Laboratoire de mécanique des sols de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) développent une méthode permettant de renforcer et imperméabiliser le sol à l’aide de bactéries. Ils démontrent ainsi qu’un changement de paradigme est possible dans un domaine où l’utilisation d’un ciment industriel est actuellement prédominante. A plus petite échelle, la méthode pourrait s’appliquer également au renforcement de briques en terre.

Data di pubblicazione
31-08-2016
Revision
01-09-2016

Le Laboratoire de mécanique des sols de l’EPFL a développé une technique de biominéralisation de la calcite pour produire un géomatériau biocimenté et fournir ainsi des solutions applicables à une large palette de problématiques géotechniques. La biocimentation des sols permet même de reconsidérer leur rôle comme matériau de construction. 

Pourquoi améliorer les sols? 

Le béton, l’acier et le bois sont des matériaux de construction. Tous peuvent être à chaque fois adaptés aux besoins du projet : section des éléments porteurs, composition du béton, armature etc. Mais, pour un ingénieur géotechnicien, les matériaux de travail sont les formations géologiques naturelles. Les sols et les roches in situ représentent un «état donné», une constante qui joue le rôle le plus décisif lors de la conception des fondations et pour la protection des structures contre les risques d’instabilité. Souvent, les ingénieurs se trouvent face à des terrains moins résistants, avec de faibles paramètres mécaniques, qui empêchent la réalisation des projets. Il n’est pas exagéré de dire que les bons sols, surtout dans les régions urbaines, sont déjà occupés et que ceux qui restent sont souvent d’une qualité inférieure. Le renforcement des terrains va, dans plusieurs cas, main dans la main avec la mise en place des fondations, ouvrant ainsi un grand marché pour les techniques d’amélioration de sols. 

La biominéralisation comme technique d’amélioration des sols, mode d’emploi

Sables et graviers sont des matériaux sans cohésion. Plus ils sont denses, plus ils sont résistants. Selon la taille des grains, ces matériaux peuvent se densifier jusqu’à une certaine limite qui correspond à une résistance ultime. Dans la technique de bio-minéralisation, des cristaux de calcite se forment et occupent une partie de l’espace poral, ce qui donne une structure plus dense. Au lieu de points de contact, les forces sont transmises par des surfaces de contact dans le matériau biotraité. De cette façon, il acquière des paramètres mécaniques améliorés. Les résultats obtenus pour des sables biocimentés montrent une résistance au cisaillement, en l’absence de confinement, de plus de 6 MPa, et une cohésion au bout du traitement de l’ordre de 400 kPa. 

La maîtrise du processus permet de créer différents niveaux de cimentation et donc de l’appliquer à différentes problématiques. Par exemple, de faibles quantités de calcite permettent l’obtention d’une résistance suffisante contre la liquéfaction de telle sorte que les sols graveleux puissent résister à des forces de cisaillement lors d’importants tremblement de terre, induire des améliorations au niveau des échanges thermiques entre le sol et les structures et apporter des solutions aux problèmes de stabilisation des pentes ou de restauration de fondations existantes. Avec des contenus de calcite plus importants, le biomatériau peut être considéré comme matériau de construction, ou même pour des applications d’imperméabilisation des sols. Ce dernier cas est illustré sur l'image du colmatage poral, où tout l’espace poral du matériau avant l’application du traitement est désormais occupé par des cristaux minéralisés.

La biocimentation permet de reconsidérer le rôle des sols dans la construction, surtout dans les régions du monde où il y a une pénurie de logements à cause de la surpopulation, des migrations ou des catastrophes naturelles: grâce à de faibles ajouts de calcite dans les matériaux locaux, il devient envisageable de produire des briques de sol biominéralisés et fournir ainsi une solution rapide, économique et surtout durable. 

Le facteur(-clé) biologique
Trois éléments sont nécessaires pour l’application de la technique : des bactéries, et plus précisément de l’espèce Sporosarcina Pasteurii, de l’urée et du calcium. Deux réactions chimiques sont au cœur de la technique: l’hydrolyse de l’urée qui produit des anions de carbonate (CO32-) et la précipitation des cristaux de calcite (CaCO3). La première se fait grâce à l’activité métabolique des bactéries qui décomposent l’urée et utilisent les produits pour se nourrir et améliorer leur microenvironnement. Le carbonate qui se dégage (CO32-) réagit immédiatement avec le calcium (Ca2+) pour former des particules solides de CaCO3. Avec la présence de l’enzyme uréase l’hydrolyse de l’urée se fait 1017 fois plus vite que la réaction non catalysée. Cet ordre de vitesse de réaction fait que, selon le niveau de densification finale souhaité, le traitement se réalise en quelque jours, permettant ainsi de considérer la technique pour des applications réelles.

Les bactéries s’attachent aux grains de sol et se multiplient pour former finalement des biofilms, avant l’introduction dans le système de l’urée et du calcium. Tout le processus susmentionné se développe alors sur les grains de sol, et les cristaux qui précipitent lors la réaction croissent et s’étalent à la surface des grains. Les cristaux remplissent l’espace entre les grains de sol et de cette manière ils agissent comme des «ponts» entre eux, ce qui résulte en une structure cimentée.

La biocimentation vis-à-vis de la cimentation par injection
Si le renforcement du sol par injection de ciment et la biominéralisation de la calcite ont en commun le but de rendre le terrain plus stable afin de permettre la réalisation de projets de construction, ils le font de manière diamétralement opposée. La première technique améliore les propriétés du sous-sol en passant d’abord par la destruction de son état initial pour mélanger, à grande vitesse, les grains du sol avec du ciment. La seconde se réalise dans l’espace poral de la structure initiale où les particules de la calcite se forment, et ne nécessite pas l’application de grande vitesse d’injection pour la circulation des réactifs. 

La technique de biominéralisation vise surtout à élargir l’effet de la cimentation et offrir une méthode contrôlable et adaptable à différentes conditions. C’est une méthode pour améliorer l’injectibilité, grâce à la faible viscosité des solutions employées (égale à celle de l’eau) qui permet d’accéder à un grand volume de terrain sans détruire son état. La technique offre la possibilité de contrôler la masse finale de la calcite, et par conséquent, d’adapter la réponse aux différents problèmes à traiter. De plus, l’utilisation du ciment industriel a suscité des soucis écologiques, surtout quant à l’effet sur les eaux souterraines des produits chimiques employés lors du traitement par injection. Au contraire, la calcite est un élément naturel abondant dans divers types de sols et l’espèce de bactéries employée pour la technique de biominéralisation est un genre non-pathogène qui prospère naturellement dans les sols. 

Etat actuel de la recherche
Actuellement les travaux du Laboratoire de mécanique de sols de l’EPFL se focalisent d’une part sur l’impact de la technique, selon le type de sol, sur la formation de la nouvelle structure, renforcée avec de la calcite et, d’autre part, sur les paramètres mécaniques améliorés en fonction de la masse et de la morphologie des particules de CaCO3. Une étude à micro-échelle nous a fourni des informations cruciales qui permettent de mieux comprendre les principes du fonctionnement de la technique. Des expériences à grande échelle sont actuellement en cours pour compléter le passage du laboratoire au chantier, où la technique sera testée quant à sa capacité à fournir des solutions pour une grande gamme de problèmes géotechniques. Des collaborations ont été forgées avec de partenaires académiques et industriels afin de mettre la biocimentation des sols en première ligne de l’innovation dans l’ingénierie géotechnique et développer l’application industrielle de cette technique. 

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